Respectons la dignité de la
procréation !
Publié le 20 septembre 2018
La dignité de la procréation
Evêques de France (les)
Paris, Bayard, Cerf, Mame, 2018. 110 pages.
A l’approche de l’ouverture
du débat parlementaire en vue de la révision de la loi bioéthique, alors que
l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques va publier son
rapport et que le Comité Consultatif National d’Ethique va donner son Avis,
l’Eglise de France explique sa position sur l’Assistance Médicale à la
Procréation (AMP).
Dans une Déclaration signée par tous les évêques de France : « La dignité de la procréation » (coédition,
Cerf, Bayard, Mame), l’Église catholique rappelle la valeur de la
procréation : acte profondément et spécifiquement humain dont la
manipulation entamerait gravement la valeur de fraternité qui fonde le pacte
social en notre société.
Ce texte en est une synthèse.
——
Donner la vie à un enfant est une expérience des plus
fortes, une source d’émerveillement des plus profondes, une responsabilité des
plus grandes. Les traditions bibliques les considèrent comme un don et une
bénédiction de Dieu. Aussi, l’Église catholique se veut attentive au désir
d’enfant et à la souffrance due à l’infertilité. Elle encourage les recherches
qui visent à prévenir cette infertilité ou à la guérir. Elle insiste sur
l’accueil et le respect bienveillants dus aux enfants, quels que soient les
moyens utilisés pour leur venue au monde.
À l’occasion de la révision des lois relatives à la
bioéthique, des projets d’accès aux techniques d’assistance médicale à la
procréation (AMP) pour des couples de femmes ou pour des femmes seules ont été
formulés et mis en débat. En tant qu’évêques de France, à l’écoute respectueuse
des personnes et de leurs situations de vie, nous souhaitons apporter notre
contribution à ces débats en proposant un discernement éthique posé en raison.
Nous le faisons dans un esprit de dialogue où sont présentés les arguments.
Valeur et norme fondamentales de la
procréation
La dignité de la personne inclut la procréation
Le Conseil d’État a rappelé que la
« dignité » est placée « au frontispice » du cadre
juridique de la bioéthique française et qu’elle a une « valeur
constitutionnelle ». Il a souligné également qu’« une conception
particulière du corps humain » en « découle » et que
« l’enveloppe charnelle est indissociable de la personne ». La
dignité de la personne inclut donc le processus de la procréation – conception
et gestation – où se développe notamment son corps.
La procréation ne doit s’apparenter ni à une
fabrication, ni à une marchandisation, ni à une instrumentalisation
Puisque toute personne, quelle qu’elle soit, a une
dignité, elle doit être traitée comme une fin et jamais comme un simple moyen.
Procréer, c’est désirer faire advenir une personne en la voulant pour
elle-même. Aucune souffrance relative au désir d’enfant ne peut donc légitimer
des procédés de fécondation et des modalités de grossesse qui s’apparenteraient
à une fabrication, une marchandisation ou une instrumentalisation d’un être
humain au service d’autres êtres humains, ou encore au service de la science ou
de la société.
La souffrance liée au désir d’enfant doit être
accompagnée
La souffrance liée au désir d’enfant ne peut être ni
minimisée ni abordée par le seul remède de la technique. Nous souhaitons le
développement d’un accompagnement qui soit respectueux des personnes
concernées, qui sache les informer loyalement pour que leurs décisions soient
prises en conscience, de façon éclairée, et qui porte le souci de la dignité de
la procréation.
Principaux problèmes éthiques liés aux pratiques
actuelles de l’AMP
La loi actuelle encadre les techniques d’AMP en
cherchant à calquer les structures fondamentales de la procréation naturelle,
en particulier la double lignée paternelle et maternelle. C’est tout l’intérêt
du modèle bioéthique français. Cependant, la mise en œuvre de ces techniques
pose des problèmes éthiques dont la gravité diffère en fonction des types de
dissociation qu’elles opèrent : corporelle (fécondation hors corps), temporelle
(congélation des embryons) et personnelle (intervention d’un tiers-donneur).
Les trois principaux problèmes éthiques sont les suivants :
Le devenir des embryons humains
« surnuméraires »
Le devenir des embryons humains
« surnuméraires » est soumis à l’appréciation des conjoints. Selon
leur « projet parental », ils sont implantés pour devenir des
enfants, ou détruits, ou remis à la recherche, ou encore donnés pour être
accueillis par un autre couple. Pouvant tous conduire à une naissance, ces
embryons sont pourtant dignes du même respect.
Le recours à un tiers-donneur
Par le recours, dans certains cas, à un tiers-donneur
de gamètes, l’enfant n’est plus le fruit du lien conjugal et de la donation
conjugale. Le recours à un tiers-donneur porte également atteinte à la
filiation puisque l’enfant est référé à un tiers dont le droit
institutionnalise l’absence par la règle de l’anonymat et prive ainsi l’enfant
de l’accès à ses « origines ».
Le développement de l’eugénisme libéral
L’extension des techniques de diagnostic, qui
permettent de sélectionner les embryons humains in vivo (diagnostic
prénatal [DPN]) ou in vitro(diagnostic
préimplantatoire [DPI]), conduit au développement de l’eugénisme dit
« libéral » parce qu’il résulte de la conjonction de décisions individuelles
et non pas d’une décision d’État.
Principales difficultés éthiques du
projet d’« AMP pour toutes les femmes »
Le projet d’ouverture de l’AMP aux couples de femmes
et aux femmes seules écarte dès le principe la référence biologique et sociale
à un père. La mise en œuvre de ce projet doit s’affronter à cinq obstacles
éthiques majeurs :
« L’intérêt supérieur de l’enfant » exige
une référence paternelle
Puisque l’enfant doit être voulu pour lui-même, le
bien de l’enfant devrait prévaloir sur celui des adultes. Le droit
international semble le ratifier en consacrant la notion juridique
d’« intérêt supérieur de l’enfant » dont la « primauté »
est, pour le Conseil d’État, « incontestable ». Comment
pourrions-nous nous contenter collectivement de l’instauration d’une sorte
d’« équilibre » entre cet intérêt de l’enfant et celui des
adultes ?
La suppression juridique de la généalogie paternelle
porterait atteinte au bien de l’enfant qui serait privé de sa référence à une
double filiation, quelles que soient ses capacités psychiques d’adaptation.
Cette exigence de la référence à un père est confirmée par les citoyens qui se
sont exprimés lors des États généraux de la bioéthique et dans deux sondages
posant explicitement la question du père. La suppression juridique du père
encouragerait socialement la diminution, voire l’éviction, des responsabilités
du père. Une telle dérive poserait non seulement un problème anthropologique
mais aussi psychologique et social. Pourrions-nous accepter collectivement que
l’homme soit considéré comme un simple fournisseur de matériaux génétiques et
que la procréation humaine s’apparente ainsi à une fabrication ?
Le maintien du principe de l’anonymat du tiers-donneur
empêcherait les enfants et les adultes en souffrance d’accéder à leur
« origine masculine », alors même que la légitimité d’un droit à
connaître ses « origines » progresse dans la société. En minimisant
ainsi l’intérêt des enfants, voire en l’occultant, un pouvoir injuste serait
exercé sur eux. Devons-nous accepter cette injustice ?
Enfin, l’ouverture de l’AMP aux femmes seules
impliquerait, selon le principe de non-discrimination, l’autorisation de
l’AMP post-mortem au profit d’une femme seule en raison
du décès de son conjoint. Est-ce l’intérêt de l’enfant d’être engendré orphelin
de père et dans un tel contexte de deuil ?
Le risque de marchandisation
Une demande croissante de sperme serait induite par
l’ouverture de l’« AMP pour toutes les femmes ». Il n’est pas certain
qu’une telle ouverture susciterait plus de dons. Le contraire est sans doute
plus probable si le principe de l’anonymat était partiellement levé. Pour
remédier à la pénurie prévisible, la tentation serait de rémunérer les
donneurs, voire de charger l’État d’importer du sperme. Accepterions-nous collectivement
que ce commerce ruine le principe de gratuité des éléments du corps humain et
tende ainsi à ranger la personne du côté des biens marchands ?
Le principe de gratuité est essentiel pour traduire
juridiquement que ni la personne ni aucun de ses éléments corporels ne sont
assimilables à des choses. L’extension de l’« AMP pour toutes les
femmes » ferait donc, selon le Comité Consultatif National d’Éthique
(CCNE), « courir le risque d’une déstabilisation de tout le système
bioéthique français ». Puisqu’il y a, selon le CCNE, un consensus général
sur le maintien de ce principe en raison de la dignité de la personne en son
corps, il devrait être plus facile de renoncer collectivement à cette extension
légale de l’AMP.
L’impact de la transformation de la mission de la
médecine
La légalisation de l’« AMP pour toutes les
femmes » contribuerait à transformer le rôle de la médecine en y intégrant
la prise en compte des demandes sociétales. Comment établir les priorités de
soin et de son financement si le critère n’est plus celui de la pathologie
médicale ? Sans ce critère objectif, comment fonder la justice relative à
la solidarité et à l’égalité de tous devant le soin ? Comment réguler les
désirs insatisfaits qui convoqueront la médecine ? Comment évoluera la
relation au médecin qui risquera de devenir un prestataire de service ?
Des conséquences prévisibles de la prépondérance du
« projet parental »
L’ouverture de l’« AMP pour toutes les
femmes » serait fondée sur le « projet parental » qui
deviendrait le critère supérieur de régulation des techniques d’AMP. Il donne
un poids prépondérant à la volonté individuelle au détriment d’une référence à
la dignité de la procréation et à l’intérêt de l’enfant. Comment pourrait-on
réguler le pouvoir de ce « projet parental » ? Que deviendrait
la possible évaluation actuelle par le médecin de « l’intérêt de l’enfant
à naître » pour accéder à l’AMP ? Si, comme l’imagine le Conseil
d’État, deux femmes font une déclaration anticipée de filiation devant un
notaire, quels seraient pour lui les critères d’évaluation de « l’intérêt
de l’enfant à naître » ?
La seule référence au « projet parental »,
c’est-à-dire aux volontés individuelles, conduirait également à supprimer la
règle juridique actuelle empêchant le double don (spermatozoïdes et ovocytes).
Il n’y aurait plus aucun lien biologique de l’enfant avec ses parents, tout en
étant conçu selon leur projet.
L’impossible justification par le seul argument de
l’égalité
Le seul argument de l’égalité pour justifier la
légalisation de l’« AMP pour toutes les femmes » est utilisé à tort,
comme le reconnaît le Conseil d’État. En effet, l’égalité juridique ne se
justifie que pour des situations semblables. Or l’infertilité du couple
homme-femme est une situation non identique à celle d’un couple de femmes dont
la relation ne peut être féconde. Si l’argument d’égalité est brandi au
bénéfice des femmes, alors l’ouverture de l’« AMP pour toutes les
femmes » conduira à la légalisation de la gestation pour autrui (GPA),
même si celle-ci fait l’objet, pour l’instant, d’une large réprobation éthique.
En effet, la référence à l’égalité, indissociable de la dignité, s’applique
tout autant aux femmes qu’aux hommes.
La profondeur d’un regard sur la personne en
société : dignité et fraternité
Vers une démarche nouvelle en bioéthique
Considérer l’enfant comme le fruit de l’amour durable
d’un homme et d’une femme n’est pas devenu une option ; cela reste la
norme éthique fondamentale qui doit encore configurer cette forme première de
l’hospitalité qu’est la procréation. Sans nier ses difficultés, le lien
conjugal stable demeure le milieu optimal pour la procréation et l’accueil d’un
enfant. En effet, ce lien offre la pleine capacité d’hospitalité et le plein
respect de la dignité des personnes, enfants et adultes.
Ces réflexions éthiques sur l’AMP ne sont pas
déconnectées des autres problématiques sociales et politiques. Les manières
d’organiser les liens de la procréation humaine rejaillissent sur toutes les
relations sociales et politiques. Le droit ne fait pas qu’arbitrer des
conflits, il institue des relations entre les personnes. Ces relations
façonnent leur identité et doivent structurer les exigences propres à la
fraternité. L’éthique relie indissociablement la dignité, source de droits, et
la fraternité, source de reconnaissance mutuelle et de devoirs qui nous
engagent tous à participer à la vie sociale et politique. Par égard pour la
dignité des personnes et de la procréation, le droit ne peut pas contribuer à
la marchandisation et à l’instrumentalisation de la procréation. Cela serait
gravement contraire aux valeurs essentielles pour la vie de l’humanité et pour
les relations tissées entre les êtres humains : la dignité, la liberté,
l’égalité, l’hospitalité et la fraternité.
Il importe plus que jamais d’aborder l’ensemble des
questions d’éthique biomédicale dans le cadre plus large d’une réflexion
écologique qui relie la préoccupation des personnes à celle de l’environnement.
Nous pouvons résister collectivement à la fascination des techniques et du
marché qui s’en empare, en cultivant l’attention au mystère de la
personne et à sa transcendance. N’est-ce pas la perception intuitive de
ce mystère qui, dans les yeux des parents regardant avec amour leur
enfant, éveille la joie, la gratitude, la sollicitude et une sorte de respect
sacré devant ce qui les dépasse ?
Cette qualité du regard est un appel pour tous. Sans
elle, les débats de bioéthique risquent de se réduire à des discussions
techniques et financières, qui ne parviennent pas à s’ancrer dans la profondeur
du mystère de la personne et de sa dignité. Les défis éthiques
actuels nous invitent tous de façon instante à cette forme de considération et
de contemplation qui s’affinent aussi dans le dialogue. Nous plaidons donc à
nouveau pour le dialogue grâce auquel chacun s’engage à servir une vérité qui
le dépasse comme elle dépasse chacun des interlocuteurs.
Publication : Bibliothèque diocésaine d'Aix et Arles