Camille Rouxpetel,
L'Occident au miroir de l'Orient chrétien : Cilicie, Syrie,
Palestine et Égypte (XIIe-XIVe siècle),
Rome : École française de Rome, coll. Bibliothèque des écoles
françaises d'Athènes et de Rome, 2015, 581 p., 40 €.
Alors
que l'actualité met en lumière le drame des communautés
chrétiennes orientales, l’École française de Rome publie la
thèse de doctorat de Camille Rouxpetel sur la découverte des
chrétiens de Syrie et de Palestine par les voyageurs à la fin du
Moyen âge.
À
partir d'un corpus de textes rédigés par des croisés, des pèlerins
et des missionnaires établis en Orient, elle étudie la découverte
de ces communautés et les variations dans la perception que l'Europe
en a. Ces textes ont déjà été analysés pour l'étude du
développement de l'Islam, des croisades et des pèlerinages, voir par exemple l'ouvrage d'Alphonse Dupront, Du sacré : croisades et pèlerinages, images et langages, paru en 1987. Les
chrétiens d'Orient constituent un nouvel angle de recherche.
À
titre de comparaison, Camille Rouxpetel tire aussi certains exemples
de la Petite Arménie, de l'Irak, de l’Égypte, de la Nubie et de
l’Éthiopie. Elle laisse volontairement de côté les textes
théologiques et conciliaires.
Son
propos commence avec la première croisade, au XIIe
siècle et court jusqu'au concile de Florence en 1439. L'Orient, en
particulier les terres de Palestine et de Syrie, est le berceau
historique du Christianisme, mais la rupture avec l'Occident a lieu à
la fin de l'Antiquité. Les communautés chrétiennes orientales
connaissent donc une évolution parallèle, encore accentuée par la
conquête musulmane.
Trois
temps émergent des textes : la rencontre, la description de
l'altérité et du semblable, la découverte de soi. Les premiers
voyageurs vers l'Orient sont les croisés, qui arrivent en Terre
sainte avec la conquête pour objectif. Ils partent d'Europe avec un
préalable culturel composé des descriptions bibliques, des apports
des Pères de l’Église et des auteurs antiques. Ils sont d'abord à
la recherche des lieux que le Seigneur a connus et arpentés. Ils
sont confrontés à une réalité différente, dont ils décrivent
abondamment tous les éléments, dans une « tension
constante entre réminiscences évangéliques et constat progressif
de la réalité contemporaine d'un territoire placé par la première
croisade sous souveraineté chrétienne, puis à nouveau perdu au
profit de pouvoirs islamiques »
(p.1). Le pèlerin en Terre sainte est aujourd'hui encore confronté
à la même tension, entre les souvenirs d'un territoire dont il
connaît bien la géographie et la découverte d'un pays en guerre.
Une attention particulière est portée au vocabulaire utilisé, qui
doit décrire des réalités inconnues pour le destinataire du texte,
dire à la fois l'altérité et le semblable. Après des descriptions
essentiellement axées sur le physique et le matériel, la traduction
des langues orientales permet dans un second temps d'avoir accès à
l'intériorité et à l'intime des orientaux.
Les
chrétiens d'Orient sont différents des latins par leur liturgie,
leurs mœurs, leurs vêtements... La diversité des Églises,
séparées les unes des autres par des questions doctrinales,
interroge aussi les Européens, surpris de rencontrer des Arméniens,
des Syriaques, des Nestoriens, des Grecs, des Coptes, des Nubiens,
des Éthiopiens, des Géorgiens... Toutefois, leur appartenance au
christianisme empêche qu'ils soient irréductiblement autres comme
le sont les musulmans. « Les récits des
mémorialistes, des pèlerins ou des missionnaires n'ont pas pour
fonction première de témoigner d'une expérience et de
matérialiser, voire souvent de justifier, dans l'espace textuel, une
entreprise d'abord définie comme spirituelle. Peu importe de savoir
si l'auteur dit vrai ou non. L'intérêt du discours réside dans ce
qu'il révèle de la manière d'envisager un autre ayant la
particularité d'appartenir au même ensemble que le sien, la
chrétienté » (p.7). Cela
entraîne une prise de conscience de la véritable signification de
la chrétienté au sens de l'universalisme. La découverte de soi
fait partie intégrante du pèlerinage ou de la mission.
En
réaction, l’Église latine tente d'intégrer en son sein les
communautés orientales, sans forcément passer par l'uniformisation.
« À un moment où l’Église romaine affirme de
plus en plus sa prétention à l'universalité et développe des
actions en vue de l'unification de la chrétienté sous son
obédience, les Latins partis pour l'Orient découvrent la diversité
et l'altérité de leurs coreligionnaires »
(p.463). Trois réactions cohabitent dans les textes : une
uniformisation théologique, liturgique et ecclésiologique, une
exclusion des chrétiens jugés schismatiques et hérétiques, ou une
reconnaissance de l'altérité orientale.
Les
annexes très développées, caractéristiques des livres de l’École
française de Rome, sont nombreuses et utiles : cartes, index,
bibliographie bien sûr, mais aussi biographies des principaux
auteurs étudiés et un tableau des sources présentant précisément
le statut de chaque texte.
Hélène
Biarnais
responsable
de la médiathèque diocésaine de Gap et d'Embrun