lundi 29 juin 2020

Dieu veut-il la souffrance des hommes ?


Dieu veut-il la souffrance des hommes ? Du mystère à la contemplation

Père Robert Augé, osb

Paris, Artèg/Lethielleux, 2020. 963 pages.




Présentation de l’éditeur

Si la souffrance humaine appelle avant tout le chrétien à la compassion et à l'engagement, elle n'en exige pas moins un effort de réflexion de la part du théologien. En effet, la manière dont nous concevons l'origine et la fin de la présence du mal dans notre monde conditionne notre vision de Dieu et de son dessein d'amour sur l'humanité. Il y a ici un véritable défi pour l'intelligence de la foi, défi que cet ouvrage s'attache à relever.
On ne saurait, certes, présenter une solution rationnelle et suffisante à ce qui demeure le secret de Dieu. Cependant, un esprit en recherche ne peut esquiver des questions brûlantes : comment concilier amour divin et permission du mal ? Dieu est-il affecté par notre souffrance ? La passion du Christ était-elle nécessaire à notre salut ? Sans tomber dans une apologétique facile, l'auteur apporte des réponses claires et argumentées, offrant au lecteur une vaste synthèse inspirée par l'enseignement de saint Thomas d'Aquin.
Cette étude magistrale nous invite non seulement à une réflexion renouvelée sur le drame de la souffrance, mais encore à la contemplation du visage d'un Dieu innocent et miséricordieux, un Dieu qui a daigné prendre sur lui la peine des hommes afin d'en faire un instrument de salut.

Le Père Robert Augé, né en 1977, est moine de l'abbaye Sainte-Madeleine du Barroux et docteur en théologie (Institut Saint-Thomas-d'Aquin). Il a déjà publié Connaître Dieu par expérience (Artège-Lethielleux, 2016).

Préface du cardinal Robert Sarah



Une présentation du livre par son auteur
Dieu veut-il la souffrance des hommes ?
Voilà un livre qui tombe à pic (1) en pleine pandémie du Covid-19 ! Fruit d’une thèse de doctorat en théologie, ce livre du Père Robert Augé, moine de l’abbaye Sainte-Madeleine du Barroux, représente un travail assez exhaustif sur le sujet et d’une grande clarté. Une référence.


La Nef – Mon Père, pourriez-vous nous présenter brièvement votre livre ?
Père Robert
 –

 Il s’agit de la publication d’une thèse de doctorat en théologie, soutenue à l’Institut Saint-Thomas-d’Aquin de Toulouse en septembre 2018, et consacrée à la place de la souffrance humaine dans le dessein divin. Mon champ de recherche s’étend principalement à l’œuvre de saint Thomas, mais je me suis efforcé de mettre sa pensée en dialogue avec les préoccupations de nos contemporains.

Pourquoi avoir choisi un auteur du XIIIè siècle alors que notre connaissance de la souffrance a largement évolué ?
Assurément la question de la souffrance a suscité à l’époque contemporaine de nombreuses contributions de valeur, tant dans le domaine de la recherche médicale qu’au plan de la psychologie et de la philosophie. La théologie n’est pas en reste, mais force est de constater que les idées à la mode bousculent des certitudes jadis communément admises et jusqu’aux fondements mêmes de notre foi ; il n’est que de mentionner la toute-puissance de Dieu, le dogme du péché originel ou la valeur rédemptrice de la Passion. L’enseignement de Thomas d’Aquin demeure une référence par son enracinement dans l’Écriture, sa cohérence et son équilibre – j’ajouterais volontiers : et par son ouverture contemplative sur le mystère de Dieu et de son dessein d’amour pour l’humanité.

Précisément, c’est ce thème du dessein divin qui sert de fil conducteur à votre réflexion…
En effet, car si le métaphysicien peut apporter une réponse rationnelle à la question de l’existence du mal, c’est à la lumière du dessein divin que le théologien doit rendre compte de la présence et du sens de la souffrance. Celle-ci n’était nullement dans l’intention première de Dieu sur l’humanité. C’est le péché, aucunement voulu mais seulement permis par Dieu, qui a eu pour conséquence d’introduire cette réalité tragique (1re partie). Toutefois, la souffrance se trouve réintégrée par la providence divine pour tourner au bien de l’homme (2e partie). Cette réordination atteint son sommet avec la Passion de Jésus, sacrifice offert pour le salut du monde (3e partie). Désormais, la souffrance est pour tout homme une occasion d’être conformé au Christ, et de participer avec lui et en lui à l’œuvre de la Rédemption (4e partie)
.

Pourtant, dès la création, Dieu sait que le péché sera commis et qu’il enverra son Fils mourir sur la croix ?
Assurément, la réalisation effective du péché ne surprend pas Dieu, qui voit de toute éternité tous les actes libres posés par ses créatures. Dieu « pré-voit » le péché dans son éternelle science de vision, et il y répond par l’Incarnation rédemptrice. Néanmoins, il ne « prévoit » pas le péché, au sens où celui-ci ferait partie intégrante de son dessein bienveillant originel. En d’autres termes : Dieu n’a pas permis le mal en vue du remède, mais il a ordonné le remède à la réparation de la faute. Reste que la chute de nos premiers parents – et la souffrance qui en est la conséquence – n’avait rien d’inéluctable : le premier monde, reflet créé de l’innocence divine, était destiné à perdurer. L’homme était alors gratifié de tous les dons nécessaires à sa persévérance dans l’état de justice originelle. Dieu a cependant préféré laisser le mal se produire, sachant qu’il en tirerait un bien : l’économie de la Rédemption. Tel est le sens de la formule liturgique : « Heureuse faute qui nous a valu un tel Rédempteur ! » (Exsultet).

Faut-il dire que seul le Christ donne un sens et une valeur à la souffrance ?
Oui, car Jésus a porté le poids du péché. Ce faisant, il a changé le sens de la souffrance : elle n’est plus une peine, mais un instrument de salut et une offrande d’amour. Entendons-nous : la souffrance demeure un mal, et il est de notre devoir de soulager les corps et les âmes. L’Évangile nous présente le Christ guérissant les malades et consolant les affligés. Mais plus encore, Jésus a pris sur lui nos souffrances : « Il les a souffertes avant nous, et il a mis en elles, avec la grâce et la charité, une vertu salvatrice et le germe de la transfiguration » (J. Maritain). Avec saint Paul, tout chrétien a ainsi l’assurance de « compléter en sa chair ce qui manque aux tribulations du Christ » (Col 1, 24) et de prendre part à l’œuvre du salut. De la sorte, ceux qui souffrent en union avec le Sauveur sont un trésor pour l’Église, comme le rappelle le cardinal Sarah dans la remarquable préface qu’il m’a accordée. Car en chacune de nos souffrances se trouvent des semences de rédemption et de résurrection.

Propos recueillis par Christophe Geffroy

(1) Père Robert Augé, osb, Dieu veut-il la souffrance des hommes ? Du mystère à la contemplation, préface du cardinal Robert Sarah, Artège/Lethielleux, 2020, 964 pages, 39 €.

Publication : Bibliothèque diocésaine d'Aix et Arles

mercredi 24 juin 2020

Jean Raspail (1925-2020)


Jean Raspail


Jean Raspail, né le 5 juillet 1925 à Chemillé-sur-Dême (Indre-et-Loire) et mort le 13 juin 2020 à Paris, est un écrivain et explorateur français dont les romans portent principalement sur des personnages historiques, des explorations et des peuples autochtones. Il est lauréat des grand prix du roman et grand prix de littérature de l'Académie française.
Il est principalement connu, tant en France qu'à l'étranger, pour son roman dystopique Le Camp des Saints, publié en 1973, qui décrit une submersion de la civilisation occidentale, la France en particulier, par une immigration massive venue du tiers monde. Le livre connaît un succès progressif mais important, étant traduit en anglais et en espagnol (1975) puis dans la plupart des langues parlées en Occident. Il est réédité huit fois. Ce roman est qualifié de visionnaire par l'extrême droite française.
Jean Raspail est aussi connu pour son livre Moi, Antoine de Tounens, roi de Patagonie, publié en 1981.

Biographie
Fils d'Octave Raspail, président des Grands moulins de Corbeil et directeur général des mines de la Sarre, et de Marguerite Chaix, Jean Raspail fait ses études au collège Saint-Jean-de-Passy, à Paris, où il est élève de Marcel Jouhandeau, puis à l'Institution Sainte-Marie, à Antony, pour enfin aller à l'École des Roches à Verneuil-sur-Avre1 (Prairie-Colline 1936-1940).
Il se met tardivement à l'écriture, bien qu'il ait pensé devenir écrivain dès le lycée. Néanmoins, l'avis négatif d'un ami de son père, académicien de son état, à la lecture d'un premier roman de jeunesse, le bloque pendant plusieurs années.
Pendant ses vingt premières années de carrière, il court le monde à la découverte de populations menacées par la confrontation avec la modernité. Il est marqué par le scoutisme qu'il a connu jeune, et son premier voyage, en 1949, l'emmène en canoë de Québec à La Nouvelle-Orléans, sur les traces du père Marquette. Il rallie ensuite la Terre de Feu à l'Alaska en automobile (du 25 septembre 1951 au 8 mai 1952) puis dirige une expédition française sur les traces des Incas en 1954, avant de passer une année entière au Japon en 1956.
En 1970, l'Académie française lui remet le prix Jean Walter pour l'ensemble de son œuvre.
En 1973, il revient au roman et écrit son œuvre phare, Le Camp des Saints, dans lequel il décrit la submersion de la France par l'échouage sur la Côte d'Azur d'une flotte de bateaux en ruine venue d'Inde, chargée d’immigrés. Le roman sera traduit en anglais (1975), en espagnol (1975), en portugais (1977), en allemand (trad. part. 1985, trad. complète et autorisée 2015), en italien (1998), en polonais (2006), en tchèque (2010) et en néerlandais (2015).
Jean Raspail écrit par la suite de nombreux d'ouvrages ; un certain nombre d'entre eux seront primés, parmi lesquels SeptentrionSire et L'Anneau du pêcheur. Plusieurs évoquent la Patagonie, à travers la revendication du royaume d'Araucanie et de Patagonie par Orélie-Antoine de Tounens, avoué de Périgueux, dans la seconde moitié du xixe, tout autant que dans l'évocation de l'histoire et du destin de ces régions du bout du monde, notamment dans Qui se souvient des hommes... En 1981, il se proclame consul général de Patagonie, ultime représentant du royaume d'Orélie-Antoine Ier.
Il postule à l'Académie française le 22 juin 2000 et recueille 11 voix (6 pour Max Gallo et 4 pour Charles Dédéyan), sans toutefois obtenir la majorité requise pour être élu au siège vacant de Jean Guitton.
Il est membre de l'association Les Écrivains de marine, fondée par Jean-François Deniau.
Il meurt le 13 juin 20200 à l’hôpital Henri-Dunant de Paris. Ses obsèques sont célébrées le 17 juin en l'église Saint-Roch, suivies de l'inhumation au sein du caveau familial du cimetière du Montparnasse (division 7).

 Ses oeuvres 
Terre de Feu – Alaska (1952) – récit d'aventures.
Terres et Peuples Incas (1955).
Le Vent des pins (1958).
Terres saintes et profanes (1960)) ; rééd. Paris, Via Romana, 2017.
Les Veuves de Santiago (1962) ; nouvelle édition illustrée par Yann Méot, 260 p., Via Romana, Versailles, 2010 ().
Hong-Kong, Chine en sursis (1963).
Secouons le cocotier (Robert Laffont, 1966) – récits de voyage ; nouvelle édition, Via Roman Versailles, 2012 .
Secouons le cocotier : 2, Punch Caraïbe (1970) – récits de voyage.
Bienvenue honorables visiteurs (le Vent des pins)(1970) – roman.
Le Tam-Tam de Jonathan (1971) – nouvelles.
L'Armada de la dernière chance (1972).
Le Camp des Saints (Robert Laffont, 1973) – roman. Nouvelle édition précédée de « Big Other », 2011(
La Hache des steppes (1974). Nouvelle édition Via Romana 2016  – récits de voyage.
Journal Peau-Rouge (1975) – récits de voyage.
Nuage Blanc et les Peaux-rouges d'aujourd'hui (1975) – signé Aliette et Jean Raspail.
Le Jeu du roi (1976) – roman.
Boulevard Raspail (1977) – chroniques.
Les Peaux-rouges aujourd'hui (1978).
Septentrion (1979) – roman.
Bleu caraïbe et citrons verts : mes derniers voyages aux Antilles (1980) – récits de voyage ; nouvelle édition, Via Romana Versailles, 2014(
Les Antilles, d'île en île (1980)
Moi, Antoine de Tounens, roi de Patagonie (1981) – roman.
Les Hussards : histoires exemplaires (1982).
Les Yeux d'Irène (1984) – roman.
Le Président (1985) – roman.
Qui se souvient des hommes... (1986) – roman.
L'Île bleue (1988) – roman.
Pêcheur de lunes (1990).
Sire (1991) – roman..
Vive Venise (1992) – signé Aliette et Jean Raspail.
Sept cavaliers quittèrent la ville au crépuscule par la porte de l'Ouest qui n'était plus gardée (1993) – roman (communément appelé Sept cavaliers…)..
L'Anneau du pêcheur (1995) – roman. 1995.
Prix Prince-Pierre-de-Monaco 1996.
Hurrah Zara ! (1998) – roman ; nouvelle édition en 2019 sous le titre Les Pikkendorff.Grand
Le Roi au-delà de la mer (2000) – roman.
Adios, Tierra del Fuego (2001) 
Le Son des tambours sur la neige et autres nouvelles d'ailleurs (2002).
Les Royaumes de Borée (2003) – roman, dont il a également scénarisé l'adaptation en bande dessinée (Le Royaume de Borée, 2011-2014)..
En canot sur les chemins d'eau du Roi : une aventure en Amérique (2005), éditions Albin Michel – récit de voyage.
Avec Alain Sanders, Armand de La Rouërie, l'« autre héros » des Deux Nations, Atelier Fol'Fer, 2013.
Là-bas, au loin, si loin (réédition de cinq romans suivis de la nouvelle inédite et inachevée La Miséricorde), Bouquins, 2015 (
La Miséricorde, Paris, Éditions des Équateurs (2019) – roman.


Adaptations
Son œuvre a été plusieurs fois portée à l'écran, adaptations qui n'ont pas soulevé l'enthousiasme de l'auteur .
Les adaptations en bandes dessinées de ses romans (Sept cavaliers… et Le Royaume de Borée) par Jacques Terpant sont en revanche, tout à fait revendiquées par l'écrivain.
Au cinéma ou à la télévision
Le Roi de Patagonie (1990), mini-série TV dirigée par Georges Campana et Stéphane Kurc
Le Jeu du roi (1991), film télévisé dirigé par Marc Evans
L'Île bleue (2001), film télévisé dirigé par Nadine Trintignant46

En bande dessinée
Par Jacques Terpant.
Sept Cavaliers
Le Margrave héréditaire (2008), éditions Robert Laffont puis Delcourt.
Le Prix du sang (2009), éditions Delcourt
Le Pont de Sépharée (2010), éditions Delcourt.
Le Royaume de Borée
Oktavius (2011), éditions Delcourt.
Henrick (2013), éditions Delcourt.
Tristan (2014), éditions Delcourt.


Présentation de deux de ses oeuvres


Moi Antoine de Tounes, roi de Patagonie
Sur une modeste tombe d'un petit cimetière du Périgord, on peut lire cette épitaphe: Ci-gît Orélie-Antoine Ier, roi de Patagonie, décédé le 18 septembre 1878. La plus étrange épopée qui se puisse concevoir... Durant les vingt-huit années du règne d'Orélie-Antoine, le rêve et la réalité se confondent aux bornes extrêmes du monde, là-bas, en Patagonie, au détroit de Magellan. Qui est Antoine de Tounens, roi de Patagonie, conquérant solitaire, obscur avoué périgourdin embarqué sur les flottes de la démesure, son pavillon bleu, blanc, vert claquant aux vents du cap Horn ? Un fou ? Un naïf ? Un mythomane ? Ou plus simplement un homme digne de ce nom, porteur d'un grand destin qu'il poursuivra toute sa vie en dépit des échecs, des trahisons, des sarcasmes qui peupleront son existence... Es-tu roi de Patagonie ? Je le suis! Il n'en démordra pas. Roi il fut, quelques jours au moins, et toute une vie. Des sujets, il en eut : Quillapan, cacique des Araucans, Calfucura, cacique des Patagons, mais aussi Verlaine, Charles Cros, le commodore Templeton, le général Chabrier, l'amiral Dumont d'Urville, l'astronome Camille Flammarion, le colonel von Pikkendorff, Véronique, reine de Patagonie, aux multiples visages, et tant d'autres, le cœur débordant d'émotion, qui se déclarèrent un jour ou l'autre, l'espace d'un instant, sujets du roi Orélie-Antoine. Car nous sommes tous des Patagons. Là-bas, en Patagonie, l'homme devient roi. Sa longue nuit s'illumine


Le Camp des Saints

Ce livre est le plus grand succès de l'auteur. Édité en 1973, ce roman est un succès progressif, et atteint 40 000 ventes en 1975. Il devient un des grands succès des ventes dans les années 1980. Accueilli favorablement à cette époque par des critiques littéraires de droite, il sera qualifié par plusieurs de prophétique. Il est traduit dans de nombreuses langues occidentales dans les années 1980. En février 2011, le roman est réédité avec une nouvelle préface, titrée Big Other.

Dans la nuit, sur les côtes du Midi de la France, cent navires à bout de souffle se sont échoués, chargés d'un million d'immigrants.
Ils sont l'avant-garde du Tiers-Monde qui envahit pacifiquement l'Occident pour y retrouver l'espérance. A tous les niveaux, conscience universelle, gouvernements, équilibre des civilisations, et surtout chacun en soi-même, on se pose la question, mais trop tard: que faire? C'est ce choc inéluctable que raconte Le Camp des Saints. Le thème de ce livre prophétique, paru pour la première fois en 1973, relève aujourd'hui de la réalité.
Ce qu'avait imaginé l'auteur il y a vingt ans, nous commençons dès à présent à le vivre. Nous sommes tous les acteurs du Camp des Saints. C'est notre destin, celui de l'homme blanc, qu'il nous raconte. Le Camp des Saints a fait l'objet de nombreuses éditions étrangères.

Dans la préface de la troisième édition, rédigée en 2006, Raspail estime ne rien avoir à regretter de ce qu'il avait écrit. En 2011, il explique :

« Ne l'ayant pas ouvert depuis un quart de siècle, je vous avouerai qu'en le relisant pour sa réédition, j'ai sursauté moi-même, car avec l'arsenal de nouvelles lois, la circonspection s'est installée, les esprits ont été formatés. Dans une certaine mesure, je n'y échappe pas non plus. Ce qui est un comble ! Mais je ne retire rien. Pas un iota. Je me réjouis d'avoir écrit ce roman dans la force de l'âge et des convictions. C'est un livre impétueux, désespérant sans doute, mais tonique, que je ne pourrais plus refaire aujourd'hui. J'aurais probablement la même colère, mais plus le tonus. C'est un livre à part de tous mes autres écrits. On y trouve des accents à la Marcel Aymé, une dose de Shakespeare pour la bouffonnerie tragique, un peu de Céline, un peu d'Abellio, une touche de Jacques Perret. D'où vient cette histoire ? Elle m'appartient, et pourtant, elle m'échappe, comme elle échappera aux possibles poursuites : quelles que soient les procédures, ce roman existe. »


Publication : Biblothèque diocésaine d'Aix et Arles


mardi 23 juin 2020

Une histoire du sentiment religieux au XIXè siècle


Une histoire du sentiment religieux au XIXè siècle

Guillaume Cuchet

Paris, Le Cerf, 2020. 421 pages.




Présentation de l'éditeur

Industriel, scientiste, positiviste, mais aussi mystique spiritualiste et occultiste, tel aura été le paradoxal XIXe siècle français dont Guillaume Cuchet se fait ici le médium historique et littéraire. Un tableau sans précédent du choc des croyances.

Le xixe siècle a-t-il été ce fameux temps de déclin religieux ? Le rationalisme y triomphait-il autant qu'on l'a dit ? Le positivisme y régnait-il en maître ?
Guillaume Cuchet démontre que le xixe siècle a été une époque d'intenses ferveurs religieuses, à la mesure des bouleversements politiques qu'il a connus, aussi bien à l'intérieur des cultes existants, comme le catholicisme, qu'en dehors. Tout un New Age précoce de croyances et de pratiques hétérodoxes a rencontré un grand succès, notamment dans les rangs d'une gauche loin d'être entièrement sécularisée. Apparitions mariales, contestation de l'enfer, renouveau du purgatoire, nouvelles conceptions du paradis, culte de la tombe et des morts, définition de nouveaux dogmes comme l'Immaculée Conception ou l'Infaillibilité pontificale, succès des " philosophies religieuses ", vogue des tables tournantes et du spiritisme, essor de la piété " ultramontaine ", sont autant de manifestations de cette effervescence.
À travers toutes ces pratiques pour le moins surprenantes se dessine le visage d'un autre xixe siècle, plus intime et plus complexe, dans lequel croyants et incroyants se ressemblent souvent, là même, parfois, où ils s'opposent le plus.
Un essai détonnant.


=============

C’est une chose acquise : le XIXème siècle religieux a mauvaise presse. Le catholicisme pris dans la tourmente politique s’est ancré dans le refus du progrès et de la science. Il a généré des pratiques « pieusardes » et une morale étouffante. L’art – sulpicien forcément pourrait-on ajouter à la manière du Dictionnaire des idées reçues de Flaubert – ne plaide pas pour ce siècle, même si un courant historique semble déterminé à réhabiliter l’art religieux du XIXème siècle, beaucoup plus riche et innovant qu’on ne le croit d’ordinaire.
L’ouvrage de Guillaume Cuchet rassemble des articles publiés auparavant dans des revues savantes ou dans des actes de colloque. Il en sort un vrai livre organisé en trois parties : « portraits », « débats », « tendances ».

Cinq personnages – cinq hommes – sont l’objet des portraits : Jean Reynaud (1806-1863), Alphonse Gratry (1805-1872), Henri Perreyve (1831-1865), Charles Gay (1812-1892) et Victor Hugo (1802-1885). Le premier est un polytechnicien saint simonien, député en 1848 qui se retire de la vie politique après le coup d’État du 2 décembre 1851. Personnage écouté et auteur d’un ouvrage très original, Terre et Ciel (1856), il a depuis sombré dans l’oubli. Le retrouver dans les pages que lui consacre Cuchet c’est goûter au flot des idées philosophiques et spirituelles qui disent l’élan du XIXème siècle. Philosophie humanitaire qui espère en un monde meilleur, elle veut croire aux réalités spirituelles d’un monde que la technique et la science transforment. On peut oublier Reynaud, mais pas ce volet « prophétique » du XIXème siècle. Gratry, lui aussi polytechnicien et philosophe, est un essayiste catholique dont l’influence allait demeurer jusqu’à la génération de René Rémond (né en 1918). De son oeuvre abondante, qu’on a comparée à celle de Maritain, on retiendra l’amorce d’un retour vers saint Thomas d’Aquin, mais surtout « l’espoir de voir advenir enfin le champion intellectuel qui triompherait des objections de l’incrédulité contemporaine, tout en donnant du christianisme une présentation conforme aux attentes de l’époque » (p. 104). Prêtre de l’Oratoire, Henri Perreyve a produit une oeuvre, là encore oubliée depuis, mais dont l’importance fut reconnue de ses contemporains. Pour Cuchet, elle est l’exemple même d’une théologie libérale qui n’a pu véritablement porter ses fruits en ces années marquées par la proclamation du dogme de l’Immaculée Conception (dont Perreyve fait une lecture optimiste qui tranche avec les aspects antimodernes que la définition de ce dogme a revêtu à l’époque) et la publication du Syllabus en 1864. Quant au père Gay, tenu pour un mystique du XIXème siècle par le père Laberthonnière, Guillaume Cuchet en propose une relecture qui montre la réalité de ces élans mystiques qui précédent la publication en 1898 de l’Histoire d’une Âme de Thérèse de l’Enfant-Jésus. Ici le travail de l’historien est crucial pour repérer des expressions communes qui disent une époque et dévoilent alors le sens des trajectoires individuelles. Victor Hugo est abordé par la pratique qu’il eut, en exil à Jersey de 1854 à 1856, du spiritisme, un mouvement de mode et de fond qui traduit les interrogations des femmes et des hommes du XIXème siècle sur l’au-delà.
Cinq portraits qui servent tous à démontrer une chose : l’histoire spirituelle du XIXème siècle ne se réduit pas à l’histoire d’une lutte entre croyants et incroyants mais révèle la puissance de la réflexion religieuse, son inscription dans une tradition et son attention aux temps nouveaux, son exposition aux tensions politiques et culturelles d’une époque farouchement politique. Le XIXème siècle est bien le laboratoire de la modernité et donc des efforts catholiques pour savoir où se situer à la fois face à ce mouvement qui emporte tout et dans ce mouvement aussi.

Trois chapitres composent la partie « Débats » dont un qui reprend un des grands axes des recherches de Guillaume Cuchet, « le passage du petit au grand nombre des élus dans le discours catholique du XIXème siècle ». On sait depuis son livre Comment notre monde a cessé d’être chrétien, que Cuchet attribue à cette « révolution théologique oubliée » un rôle majeur dans les recompositions croyantes et les pratiques religieuses du XIXème siècle. Plus anecdotiques sont les deux aspects suivants : « la querelle du naturalisme historique » et « la première vague néo-bouddhiste au milieu du XIXème siècle ». Sans entrer dans le détail, ces deux chapitres servent à montrer la vitalité de l’interrogation proprement religieuse qui habite les hommes du XIXème siècle.
Dans la partie « Tendances », Guillaume Cuchet rassemble des articles sur « le tournant sulpicien des années 1850 dans la littérature de piété du XIXème siècle », « la religion du deuil et la communication avec l’au-delà », « Frédéric Ozanam » et « ésotérisme et révolution. Insurgés et initiés en 1848 ». De cette collection d’articles, Guillaume Cuchet tire une conclusion originale qui a le mérite d’une grande clarté. Il rappelle que le XIXème siècle reste un siècle de dogmes. « Ni le vieux dogme, écrit-il, qui a fait montre d’une étonnante capacité à se régénérer et à se développer dans un contexte bouleversé, ni le nouveau puisque le siècle est marqué par une grande effervescence philosophico-religieuse, y compris dans les rangs [de la] gauche » n’ont disparu ou se sont évaporé (p. 395). Du coup, l’historien est frappé de « l’intensité des recompositions religieuses de la période ». Il souligne aussi combien la bourgeoisie et la gauche sont sensibles à ces questions, quelles que soient les formes, même évanescentes, que peuvent prendre leurs préoccupations ou leurs formulations. Enfin, il souligne que la « forme par excellence du sentiment religieux du XIXème siècle [est] funéraire » (p. 401). Le deuil est devenu l’une des sources les plus fécondes de la religiosité.

Une fois refermé l’ouvrage et plein des nouvelles connaissances qu’il apporte au lecteur profane ou peu versé dans le matériau de l’histoire religieuse du XIXème siècle, on réhabilite donc ce « stupide XIXème siècle », selon l’expression parfaitement injuste de ce réactionnaire qu’était Lucien Daudet. Surtout, on mesure qu’une lecture binaire en terme d’affrontement entre croyants et incroyants (ou scientistes, rationalistes, athées) est absolument réductrice. Ne tiendrait-on pas là une clef pour comprendre aussi notre époque ? Héritier du dispositif intellectuel, politique et mental mis en place par les Lumières, la Révolution et la République, ne sommes-nous pas souvent tentés – et plus encore en ces temps où on joue avec la définition même de l’homme dans son incarnation – de penser notre position en terme d’opposition ? Ne faudrait-il pas alors essayer, comme nous y invite le pape François, de regarder le monde alentour en y détectant ses aspirations religieuses ? Le XIXème siècle fut un grand siècle missionnaire. Aller à la fois au-devant de populations ignorantes de la révélation et répondre aux angoisses ou aux critiques de ceux qui, en ayant été nourris, la rejette fut la tâche des pasteurs du XIXe siècle. La mission a-t-elle vraiment changé ?


Source : Fiche de l’Observatoire Foi et Culture (OFC) du mercredi 10 juin sur l’ouvrage d’Une histoire du sentiment religieux au XIXe siècle de Guillaume Cuchet.


Biographie de l'auteur

Professeur d'histoire contemporaine à l'université Paris-Est Créteil, ancien élève de l'École normale supérieure-LSH, Guillaume Cuchet travaille sur l'histoire religieuse contemporaine des sociétés occidentales. Il est notamment l'auteur de Comment notre monde a cessé d'être chrétien . Prix d'histoire religieuse de la Fondation Bernheim et prix Sophie Barluet du Centre national du livre 2018.

Publication : Bibliothèque diocésaine d'Aix et Arles

lundi 8 juin 2020

Place des femmes dans l'Eglise


Quelle place pour les femmes dans l’Eglise ?

L’Eglise, des femmes avec des hommes
Anne-Marie Pelletier
Paris, Editions du Cerf, 2019. 248 pages.



La grande théologienne et bibliste française que le pape François a invité à prêcher au Vatican livre ici son manifeste le plus essentiel sur la place passée, présente et future de la femme dans le christianisme. Renversant.
En ces temps de crise profonde, la relation entre les hommes et les femmes à l’intérieur de l’institution ecclésiale impose plus que jamais son actualité. Certes, le magistère entend, depuis quelques décennies, valoriser la part féminine de l’Église. Mais le constat s’impose : stéréotypes et préjugés sont demeurés intacts, tout comme des pratiques de gouvernance qui maintiennent les femmes sous le pouvoir d’hommes – des clercs en l’occurrence. Sortant de ces ornières, il s’agit d’éprouver ce que le  » temps des femmes  » qui cherche à advenir peut apporter de renouvellement dans l’intelligence des textes scripturaires qui ont modelé l’imaginaire en monde chrétien. Il s’agit aussi de montrer combien la prise en compte des femmes questionne à frais nouveaux l’identité de l’Église, l’économie en son sein du sacerdoce des baptisés et du ministère presbytéral, donc également les modalités de sa gouvernance.
Un livre qui nous montre une série d' » éclats de féminin  » pour suggérer les gains qui seraient ceux de cette ouverture. Et si, la femme était l’avenir de… l’église !


Présentation de l’éditeur
La grande théologienne et bibliste française que le pape François a invité à prêcher au Vatican livre ici son manifeste le plus essentiel sur la place passée, présente et future de la femme dans le christianisme. Renversant.
En ces temps de crise profonde, la relation entre les hommes et les femmes à l’intérieur de l’institution ecclésiale impose plus que jamais son actualité. Certes, le magistère entend, depuis quelques décennies, valoriser la part féminine de l’Église. Mais le constat s’impose : stéréotypes et préjugés sont demeurés intacts, tout comme des pratiques de gouvernance qui maintiennent les femmes sous le pouvoir d’hommes – des clercs en l’occurrence. Sortant de ces ornières, il s’agit d’éprouver ce que le  » temps des femmes  » qui cherche à advenir peut apporter de renouvellement dans l’intelligence des textes scripturaires qui ont modelé l’imaginaire en monde chrétien. Il s’agit aussi de montrer combien la prise en compte des femmes questionne à frais nouveaux l’identité de l’Église, l’économie en son sein du sacerdoce des baptisés et du ministère presbytéral, donc également les modalités de sa gouvernance.
Un livre qui nous montre une série d' » éclats de féminin  » pour suggérer les gains qui seraient ceux de cette ouverture. Et si, la femme était l’avenir de… l’église !

Biographie de l’auteur
Agrégée de Lettres et docteur en Sciences des religions, Anne-Marie Pelletier travaille, entre autres, sur la question des femmes dans l’Église. Elle a publié à ce sujet Le christianisme et les femmes et Le signe de la femme . Elle a été lauréate du prix Ratzinger en 2014.

^^^^^^^^^^^^^^^^
 « L’Église, des femmes avec des hommes », c’est le titre d’un article du mensuel de novembre 2019 de L’Osservatore Romano sur la femme, dédié à un ouvrage de la bibliste française Anne-Marie Pelletier (Le Cerf, 2019).
L’auteur y évoque l’attribution du Prix Nobel de la paix 2018 à une femme yazidie – Nadia Murad – et à un médecin congolais – Denis Mukwege. Tous deux, écrit-elle, sont témoins d’une résistance d’humanité plus puissante que les forces du mal qui humilient, asservissent et détruisent.
Ce double prix Nobel invite à ne pas se limiter à « un face à face armé entre les sexes » ni à limiter la parité au partage des pouvoirs et des responsabilités. Les hommes et des femmes, estime Anne-Marie Pelletier, sont des partenaires et des collaborateurs, à la recherche commune de la vie heureuse.
Pour la théologienne, il est urgent de réparer la relation homme-femme : un travail en profondeur où l’Eglise peut et doit être prophétique, en répondant à l’appel du pape François à élaborer une théologie « intrinsèquement féminine ».
Anne-Marie Pelletier plaide, souligne L’Osservatore Romano, pour une plus grande présence des femmes dans les domaines de réflexion et de décision de l’Eglise, et pour une réflexion sur « le signe de la femme » : le fait qu’elle ne puisse pas être ordonnée souligne la centralité du « sacerdoce baptismal », comme annonce du Royaume de Dieu.
La théologienne et bibliste française Anne-Marie Pelletier, Prix Ratzinger 2014, a été choisie par le pape François pour rédiger les méditations du Chemin de croix du Vendredi saint au Colisée en 2017. Elle a été nommée membre ordinaire de l’Académie pontificale pour la vie en 2017 pour un mandat de 5 ans.
Mme Pelletier a accompli sa carrière universitaire comme Maître de conférences puis comme Professeur en Sciences du langage et en Littérature (Université de Paris-X et Université de Marne-la-Vallée), enseignements multiples [Institut en Sciences des Religions (EPHE), STIM (Studium Inter-monastique), etc.]. Elle est Chargée d’enseignement à la Faculté Notre-Dame (Collège des Bernardins) depuis sa création.
Sa thèse de doctorat d’Etat en Sciences des religions (novembre 1986) a été soutenue à l’Université Paris VIII, et elle a été publiée par l’Institut biblique pontifical à Rome en 1989: Lectures du Cantique des cantiques, De l’énigme du sens aux figures du lecteur (coll. Analecta Biblica, 121).





Filles et fils de Dieu – Egalité baptismale et différence sexuelle
Luca Castiglioni
Paris, Editions du Cerf, 2020. 687 pages.



En théologie, il y a trois à quatre ouvrages véritablement révolutionnaires par siècle. En voici un ! Qu’en est-il des genres, de l’Église et de ses sacrements ? Un ouvrage visionnaire, courageux, promis au plus dur débat. Un événement.
Un même baptême pour les hommes et pour les femmes, un seul Dieu, une seule foi. Pourtant, la part masculine de l’Église a souvent peur des voix féminines. Interpellée par celles-ci, qu’est-ce que l’Église a entendu ou a cru entendre ? A-t-elle bien écouté ? Les réponses esquissées sont-elles à la hauteur du cri ? À partir de là, comment progresser ?
Prêtre italien animé d’un esprit de discernement, Luca Castiglioni interroge ici la notion de genre : a-t-elle sa place en théologie ?
À la lumière des interprétations historiques, après un diagnostic sur la manière dont l’Église a conçu la condition des femmes et leur prise de parole, Luca Castiglioni sollicite les ressources de la foi chrétienne, des textes de la Genèse et du Cantique des cantiques aux discours de saint Paul et aux récits des relations de Jésus avec les hommes et les femmes. Se dégagent alors de grands défis pour l’Église, y compris l’accès à des ministères consacrés pour les femmes.
Une étude novatrice.

vendredi 5 juin 2020

Lettre de Mgr Moulins-Beaufort au Président de la République

Le matin, sème ton grain : lettre en réponse à l'invitation du Président de la République
Mgr Eric de Moulins-Beaufort
Paris, Le Cerf, Batyard, Mmame, 2020.


La prise de parole attendue sur la crise sanitaire de Mgr de Moulins-Beaufort, président de la Conférence des évêques de France sous la forme d'une lettre au président de la République Emmanuel Macron.

Lors de sa dernière rencontre avec les responsables des cultes en France, le Président de la République avait exprimé le souhait que chacun d’entre eux puisse contribuer à une réflexion nationale sur les enseignements à tirer de la lutte contre la Covid-19 et sur l’avenir que les religions voient se dessiner.

La Conférence des évêques de France (CEF) publie la lettre de réponse personnelle de Mgr Éric de Moulins-Beaufort, archevêque de Reims et actuel président de la CEF, envoyée jeudi 28 mai au Président de la République.

Publié au sein de la coédition Bayard Éditions-Mame-Éditions du Cerf, ce texte d’une soixantaine de pages s’articule autour de quatre mots-clés: mémoire, corps, liberté et hospitalité.

Par ces mots et cette lettre, Mgr Éric de Moulins-Beaufort souhaite partager les pensées qui ont trouvé écho en lui durant l’épreuve de cette pandémie, il y formule des considérations sur l’état de notre société et des propositions pour l’avenir. 


 Des extraits publiés dans le journal La Croix


« Mon rôle est d’apporter à un responsable politique de quoi nourrir sa réflexion, en essayant de lui être utile, pour être utile au pays et à l’humanité entière. Je sème mon grain selon ce qui m’est donné. » Dans une longue lettre adressée au président de la République, Mgr Éric de Moulins-Beaufort veut faire œuvre utile. Et montrer une Église ouverte, en dialogue avec l’État, traversée par un seul souci : le bien commun.
Dans ce texte d’une soixantaine de pages (1), l’archevêque de Reims ouvre des perspectives pour l’après-Covid-19. Il l’a travaillé notamment avec le conseil permanent de la Conférence des évêques de France (CEF).
Son initiative répond à l’interpellation d’Emmanuel Macron, formulée lors d’une audioconférence organisée par l’Élysée le 21 avril, en temps de confinement. « Le président a demandé aux responsables de culte de partager leurs réflexions sur l’événement singulier qu’est la crise sanitaire que le monde entier traverse », confie Mgr de Moulins-Beaufort, qui a pris l’invitation au pied de la lettre. Le 15 mai, il avait déjà adressé une lettre au président de la République plaidant pour la reprise des cultes pour la fête de Pentecôte. Une deuxième audioconférence, prévue le 25 mai, n’a finalement pas eu lieu, interrompant en apparence le dialogue.
Extrait : « Dans notre pays, l’unité maintenue est particulièrement significative »
« J’ajoute en préambule un constat : nos sociétés sont restées en paix et l’humanité entière aussi. Peut-être une guerre commerciale et économique se prépare-t-elle, mais pour le moment aucune société n’a sombré dans la violence et aucun pays n’a profité du confinement généralisé pour s’emparer par la force d’une portion de territoire. À l’échelle de l’histoire humaine, une telle situation ne doit pas être si fréquente. Pour tous les humains, c’est un motif de soulagement et de fierté, de confiance aussi ; pour les croyants, d’action de grâce pour Dieu qui agit dans les cœurs et les esprits. Dans notre pays, l’unité maintenue est particulièrement significative alors que la fracture sociale est bien présente et que nous avons connu des tensions sociales fortes ces dernières années. »
Il est vrai que la décision du Conseil d’État du 18 mai demandant au gouvernement de revoir sa copie quant à l’interdiction des rassemblements cultuels a pu refroidir l’Élysée. La CEF n’avait pourtant pas crié victoire, soucieuse de préserver le dialogue, après une décision de justice provoquée par d’autres catholiques qu’elle. La lettre-programme de Mgr de Moulins-Beaufort s’impose comme une reprise en main de la parole catholique et la poursuite d’un dialogue voulu de part et d’autre.

Le temps ralenti
Dans le chapitre intitulé « Liberté », le président de la CEF revient sur l’interdiction de rassemblements appliquée aux cultes et lance un avertissement : « L’État court toujours le risque de ne pas prendre les citoyens pour des personnes responsables. » Mais il n’est plus question de revendications : l’archevêque de Reims veut contribuer à la réflexion nationale, aussi bien politique que philosophique. Une initiative dans la droite ligne de la rencontre des Bernardins, le 9 avril 2018, lorsque Emmanuel Macron s’adressait aux catholiques : « La République attend de vous que vous lui fassiez trois dons : le don de votre sagesse ; le don de votre engagement et le don de votre liberté. » Sans attendre la fin de la pandémie et d’une plume vive et personnelle, l’archevêque de Reims déploie des pistes dans l’espoir, confie-t-il, d’une « unité nationale plus forte ».
Extrait : « L’élargissement du regard est sans doute la seule manière de sortir par le haut »
« La pensée chrétienne a développé l’idée de bien commun. Il n’est pas la somme des biens communs (système scolaire, système hospitalier, système routier, distribution de l’eau ou de l’électricité, etc.), mais le bien dans lequel tous peuvent être en communion. L’épidémie s’ajoute à la contrainte écologique pour encourager l’humanité entière, tout homme, tout État, toute structure politique à ne pas limiter le bien commun aux seuls intérêts des humains mais à inclure dans sa visée tous les êtres de notre cosmos. L’élargissement du regard est sans doute la seule manière de sortir par le haut des traumatismes provoqués par l’épidémie et le confinement qui a été imposé aux corps sociaux. S’orienter dans une telle direction serait aussi sortir de la course actuelle des sociétés occidentales vers l’accumulation de moyens techniques permettant de transformer toute frustration en droit à faire valoir sur la société. Le corps social n’a pas à satisfaire les désirs de chacun, mais il devrait aider chacun à croire en son rôle propre, malgré ses manques et ses douleurs. »
Pour envisager l’avenir, l’archevêque de Reims fait d’abord mémoire de l’engagement sans faille des soignants mais aussi des « petits métiers peu estimés qui se sont révélés indispensables ». Il souligne encore ce « temps suspendu » que fut le confinement, à rebours de « l’accélération constante du temps » : « Beaucoup ont entendu de nouveau les oiseaux et ont pu observer l’arrivée du printemps comme jamais au cours de leur vie. »

Et le président de la CEF suggère de garder les fruits de cette expérience en instaurant « un vrai repos dominical qui soit un repos des personnes mais aussi des villes, de la terre, etc. (…) Je suggère, sans doute en un rêve éveillé, qu’une fois par mois un dimanche soit «confiné» partout dans notre pays. »

Bienveillance
Mémoire, encore, de ceux qui ont été touchés par la maladie, les familles endeuillées, et les malades trop isolés, et ceux qui ont dû vivre le confinement dans des conditions matérielles difficiles. Mgr de Moulins-Beaufort souhaite que le « mémorial de l’épidémie » conduise à « des investissements indispensables pour que chacun puisse avoir un logement digne, qui puisse lui être une demeure. »
Extrait : « Le modèle, ce devrait être l’hospitalité »
« Le modèle des relations entre les êtres humains ne devrait pas être le conflit ou la compétition, ni même le commerce. Ce devrait être l’hospitalité. Pour cela, il importe que chacun habite sa maison et habite en lui-même. À l’échelle individuelle comme à l’échelle collective, le modèle du progrès humain ne peut pas être l’extension indéfinie des droits. Il devrait être la croissance dans le don de soi et le service des autres, rendue possible par l’hospitalité mutuelle entre les humains et la maison commune. Il ne s’agit pas là d’une utopie, d’un rêve qui n’a pas de lieu pour se réaliser, mais d’une espérance qui passe par le chemin intérieur de chacun. L’expérience du confinement a peut-être donné quelques clés pour progresser collectivement en ce sens. »
L’épidémie renvoie inévitablement à la dimension physique de l’épisode traversé : « Nous avons craint collectivement d’être victimes du virus et craint d’être porteurs pour les autres ». L’archevêque de Reims souligne à quel point les Français ont été conscients de l’enjeu, dont il fait une lecture spirituelle, le confinement donnant « une signification inattendue et bienvenue, plus riche que la seule nécessité d’éviter la propagation de la maladie et de la mort. »

Prudents non seulement pour eux-mêmes et pour les autres, beaucoup se sont montrés solidaires : « La crainte d’être contagieux a été transmuée en désir de se rendre utile aux autres ou de manifester de la bienveillance et de l’attention au-delà du cercle habituel ».

La place des aumôniers
C’est aussi le corps et la mort qui étaient au cœur de l’incroyable défi du Covid, l’occasion pour Mgr de Moulins Beaufort de demander une nouvelle fois et « solennellement » que les aumôniers soient associés aux plans d’urgence et non pas refoulés comme « personnel non-indispensable ». Dénonçant une fois encore « la tentation de l’euthanasie », l’archevêque rappelle que « la mort appartient à l’aventure personnelle de chaque être humain (…). Au moment de mourir, plus d’affection est préférable à davantage de médecine. »
Extrait : « Nous n’avons jamais réclamé un privilège »
« Il est possible que l’on ne retienne de l’action de l’Église catholique dans ces semaines que la réclamation supposée de retrouver au plus tôt des assemblées liturgiques, «des messes avec assemblée». Ce serait injuste, mais nous assumons ce risque. Nous n’avons jamais réclamé un privilège ou une exemption des règles communes. Nous avons simplement demandé que les règles communes à toute la société s’appliquent à tous les cultes. Comme les branches professionnelles, les cultes en France sont des interlocuteurs possibles pour les pouvoirs publics, capables de s’engager à des mesures sanitaires ou de s’en déclarer incapables. L’interdiction explicite de toute réunion ou rassemblement dans des «établissements de culte» au moment même où les réunions et rassemblements de moins de dix personnes étaient autorisés ne pouvait être conforme au respect de la liberté de culte. La décision du Conseil d’État, le 18 mai dernier, en atteste. »
Le dernier chapitre, le plus long, ouvre résolument les perspectives du « monde d’après » : il est question d’hospitalité. Si le confinement a radicalement appauvri les relations sociales, le besoin de rencontre en sort renforcé : « Comment les conditions de vie concrètes permettent-elles à tous d’exercer l’hospitalité ? (…) Comment nous comportons-nous concrètement dans la «maison commune» qu’est notre planète ? »

La question est posée à l’échelle du monde : « Au sortir du confinement, il est nécessaire de regarder en face le fait des migrations. » Mais la réponse est aussi politique : « Je regrette qu’un pays comme le nôtre ne sache pas donner une place à des personnes qui sont au milieu de nous depuis tant d’années. »

Hospitalité
Enfin, ce fils d’officier, ancien élève de Sciences-Po Paris, réhabilite « la chose politique » et l’implication individuelle : « Nul ne peut dire «je suis innocent de la situation des autres». (…) Quelle responsabilité de notre mode de vie assumons-nous chacun ? »
Une interpellation enthousiaste, une ultime invitation, qui s’adresse à tous, et redit la confiance en l’homme : « La seule vraie force vient de chaque être humain, de notre capacité à tous et à chacun à habiter notre corps, notre maison, et à y donner librement l’hospitalité et goûter la saveur du temps où l’éternité se donne déjà. » Le monde de demain commence aujourd’hui.
Extrait : « N’y a-t‑il pas là une piste pour réfléchir au fait de la migration ? »
« Le caractère universel de l’épidémie et de la réaction qu’elle a suscitée renforce la nécessité de regarder notre humanité comme une unité. Chaque peuple a pu lutter contre l’épidémie parce que tous les peuples l’ont fait aussi. Mais aussi tous les peuples ont été touchés par l’épidémie ou auraient pu l’être sans qu’il soit possible de désigner un coupable initial. Car la propagation si rapide n’a pas été due à la méchanceté de certains mais à la variété des échanges entre humains en notre temps. N’y a-t‑il pas là une piste pour réfléchir au fait de la migration ? Au nom de quoi certains seraient-ils assignés à un lieu sur cette terre où ils ne peuvent réunir les conditions leur permettant de vivre ? Ne peut-on pas «se serrer pour leur faire de la place» ? À quelles conditions pourrait-on le faire, sans reproduire à grande échelle la promiscuité du métro parisien ? Peut-on les aider à rester dans leur pays d’origine, toute la terre devant être peuplée. Mais alors comment les aider à acquérir les moyens d’y vivre ? »

---------------------------
L’Église de France pendant la crise
17 mars : La France entre en confinement. Les messes sont interdites mais les églises restent ouvertes
21 avril : Audioconférence du Président de la République avec les responsables des cultes
11 mai : Première phase de déconfinement. Les rassemblements religieux restent interdits jusqu’au 2 juin
18 mai : Répondant à la saisine de catholiques, le Conseil d’État demande au gouvernement de revenir sur l’interdiction
23 mai : Les messes sont de nouveau possibles, soumises à des contraintes sanitaires
28 mai : La « lettre » de Mgr Moulins-Beaufort est remise au Président de la République
3 juin : La lettre est publiée sous le titre « Le matin, sème ton grain »


Publication : Bibliothèque diocésaine d'Aix et Arles