mercredi 5 février 2020

Tous mes désirs sont devant du Père Jean-François Noël


Tous mes désirs sont devant toi : plaisir, église et sexualités
Jean François Noël
Paris, Salvator, 2019. 195 pages


Résumé
« Seigneur, tous mes désirs sont devant toi » : l’auteur du Psaume n’hésite pas à placer ces mots forts dans sa prière. Et pourtant, la récente révélation des abus sexuels le révèle tristement : l’Église catholique se montre le plus souvent sidérée, peureuse face à la question du désir, du sexe et du plaisir. Davantage, explique ici le prêtre et psychanalyste Jean-François Noel, elle se comporte à la manière d’un adolescent qui découvre avec effroi la réalité de la sexualité.
Comment expliquer autrement sa réticence vis-à-vis des sciences humaines, sa manière de proposer des solutions supposées « spirituelles » à des crises qui relèvent d’un autre ordre, sa tendance même à se focaliser plus sur les pervers que d’avoir le souci des victimes ?
Il est donc urgent pour l’Église de changer son regard sur le sexuel pour dépasser cet effet de peur et de sidération. Car si cette dimension est intégrée de manière positive, elle contribue à l’épanouissement de la personne. Comme l’écrit l’auteur en citant la Genèse : « ”L’homme quittera son père et sa mère.” Le sexuel génital est ce qui nous pousse à aller vers l’autre, à l’extérieur, sans quoi nous resterions bloqués dans une dépendance à notre famille qui, pour avoir été salutaire dans notre enfance, peut devenir mortelle. »

AUTEUR 
Jean-François Noel est prêtre et psychanalyste. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages au Cerf, chez Desclée de Brouwer et chez Salvator dont Travailler à être soi (2015) et Où es-tu ? Présence à soi, présence de Dieu (2017).


Le plaisir et la joie


Père Jean-François, quelle différence faites-vous entre plaisir et jouissance ?
On confond souvent le plaisir avec la jouissance, d’où le fait que le plaisir ait été parfois suspecté. Dans la jouissance, on ne prend pas en compte l’autre. J’utilise l’autre, mon partenaire, comme un objet, et je me satisfais moi-même. Ces jouissances sont en fait assez tristes. Dans le plaisir, il y a une altérité, on prend en compte l’autre. Dans le cas des pervers, ils utilisent les enfants comme des objets. Ils jouissent, et parfois c’est de la jouissance sexuelle, de détruire la vie chez l’autre. Pour le violeur, c’est la femme ; pour le pédophile, c’est l’enfant. A chaque fois, l’autre est réduit à un objet. On retrouve cette jouissance dans toutes les addictions.
Au contraire, dans le plaisir, il y a l’autre… avec sa part d’excitation et d’angoisse qui accompagne la rencontre.


La sexualité a été créée par Dieu, elle relève du plan divin, elle n’est pas qu’un lieu de tentation. Pourtant vous interpelez sur le repli de la chair sur elle-même, vous décrivez « une convoitise cachée et sournoise qui s’ouvre aux pires passions »…

Il existe deux écueils au plaisir. Le premier, c’est que le plaisir se transforme en satisfaction, en jouissance, qui réduit l’autre à un objet. C’est comme le fils prodigue dans la Bible qui veut satisfaire tous ses désirs : jouir des femmes, de l’alcool, de l’argent… Deuxièmement, c’est de passer à côté d’un appel plus grand, de ne pas comprendre que rien dans ce monde ne pourra combler le désir profond d’être reconnu et aimé. C’est l’enjeu d’un amour entre conjoints : pouvoir être fragile devant l’autre. Cet accueil mutuel des fragilités, l’emboitement des fragilités, définit le « sexuel ». Dans le texte de la Genèse, il est dit « ils n’avaient pas de honte » en parlant d’Adam et Eve, nus, au jardin d’Eden. Le sexuel me permet de me déshabiller – dans le sens métaphorique du terme – devant une autre personne qui m’accueille avec respect. On en arrive aux trois termes qui définissent une vraie relation de plaisir entre deux êtres, dans le cadre d’une vie conjugale ou d’une amitié : il faut être attentif, bienveillant et chaste.


Quelle est la différence entre l’éros et l’agapè ?

L’éros est une énergie qui éveille tous nos désirs et nous pousse à apprécier toutes sortes de choses, même le coucher du soleil… La Bible différencie l’éros de l’agapè. L’agapè est l’amour pur, bienveillant, désintéressé. On a souvent eu envie d’opposer les deux types d’amour, l’éros et l’agapè, en associant l’éros à l’homme, et l’agapè à Dieu. Non, les deux sont liés. L’agapè vient épouser l’éros, pour l’ouvrir, pour habiter l’éros. C’est ce que dit Benoît XVI dans son encyclique Deus Caritas Est. Quand on dit de la Vierge Marie qu’elle « gardait toutes ces choses en son cœur », on veut dire qu’elle se laisse habiter par le mystère, elle se déploie à la mesure que le Christ croît en son sein. L’agapè qui habite l’éros, c’est s’exposer à cette part de mystère pour lequel nous sommes faits. Nous sommes faits pour être rencontrés et accueillis.


Je reviens sur cette phrase de la Vierge Marie qui méditait toutes ces choses en son cœur. Le problème de l’homme contemporain n’est-il pas de se laisser balloter affect en affect et de manquer d’intériorité ?

Le sexuel a été la grande trouvaille de Michel Foucault dans Les aveux de la chair. On a toujours pensé que la théologie chrétienne et morale était venue mettre de l’ordre dans le sexuel. Michel Foucault prouve que la grande nouveauté chrétienne ne réside pas seulement dans la promotion de la virginité, mais surtout dans la création d’un lieu d’interrogation intime, un colloque de soi à soi. Dis-moi quel est ton désir et je te dirai qui tu es ! Le sexuel est ce lieu d’appel de l’autre et de retour en soi. Toutes les rencontres me préparent à l’ultime rencontre, celle avec Dieu.


Qu’est-ce que ce « colloque de soi à soi » ?

Cela amène à la dilatation de la conscience, et « dilatatio » en latin, c’est la joie. Pour pouvoir donner à l’autre, il faut être enraciné en soi – mais pas enfermé – pour ensuite me permettre de développer ma ramure à l’extérieur, sans perdre ce que je suis. Le sexuel, c’est risquer l’ouverture à l’autre sans se trahir soi-même. Le colloque est ce lieu où je peux retravailler mes racines pour ensuite déployer l’injonction « aime ton prochain comme toi-même ».


Qu’est-ce que la joie parfaite dont parle l’évangile ?
C’est la communion. Ce qui nous éveille le plus à la joie, c’est d’être en communion. Pas seulement la communion des deux époux dans leur intimité, mais aussi la communion de deux amis qui se réjouissent de passer du temps ensemble.



Publication : Bibliothèque diocésaine d'Aix et Arles

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