D'ailleurs, la révélation
Jean-Luc Marion
Paris, Grasset, 2020. 608 pages.
Quatrième de couverture
«
Des révélations, nous en avons tous eu : tranchant sur l'insignifiance
quotidienne, elles seules, inoubliables, décident de notre vie réelle. Mais nous ne savons pas ce
que signifie une révélation, parce qu'elle ne peut ni se commander ni se
reproduire, donc jamais s'objectiver. Ainsi restons-nous muets devant ce qui
nous caractérise le mieux. Les ignorant, nous nous ignorons. Ce livre voudrait
nous les rendre accessibles.
Le lieu privilégié de la révélation se trouve dans
ce que la tradition juive
et chrétienne a reçu et médité à partir des deux
Testaments. Nous y sommes donc allés voir, malgré leur technicité et les
limites de toute science.
Pourtant il faut d'abord déconstruire, car aucun
terme biblique ne correspond exactement au concept moderne de Révélation. Plus étonnant encore : ce terme ne s'est imposé
que tardivement (Thomas d'Aquin) dans l'opposition de la connaissance
rationnelle à connaissance inspirée de Dieu. La modernité (les Lumières jusqu'à
Kant) n'eut donc aucun mal à récuser la Révélation biblique au nom de sa trop
étroite appréhension de la rationalité.
Puisque les théologiens modernes ont maintenu le
terme de Révélation sans le re-penser à fond, il fallait tenter de le redéfinir
à partir de la phénoménalité. Car les textes bibliques offrent d'abord et surtout des
récits de phénomènes, à la fois simples et hors du commun :
manifestations, apparitions, signes et miracles, éblouissements, des ténèbres
obscures et une Résurrection. On peut par principe les récuser comme des
fables, mais en stricte philosophie et phénoménologie tout ce qui se manifeste
doit, avant qu'on juge de son (in-) existence, se décrire.
D'où l'essai de décrire ce que les textes bibliques proposent obstinément à voir.
Ainsi s'est ouverte une nouvelle définition de la connaissance : non plus
accepter ce que l'on a d'abord cru comprendre, mais voir (on non) ce que
d'abord on accepte (ou refuse) de recevoir, en renversant l'ordre de
l'entendement et de la volonté. Ce qu'Augustin a thématisé d'une formule
: « On n'entre dans la vérité que par la charité ».
Et alors, même l'être et le temps peuvent se
recevoir comme ils se donnent : non dans la clôture de notre monde, mais
comme un don d'ailleurs. Car c'est dans cet ailleurs que nous vivons, respirons et même sommes.
»
Biographie de l'auteur
Jean-Luc Marion a publié, chez Grasset, L’Idole et la distance, Le
Phénomène érotique, Certitudes
négatives et Brève
apologie pour un moment catholique. Spécialiste de Descartes et de l’histoire de la
philosophie moderne, phénoménologue, il a enseigné à l’Université
Paris-Sorbonne et au département de philosophie de l’Université de Chicago. Son
œuvre philosophique est traduite dans de nombreux pays
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“D’ailleurs, la révélation”,
de Jean-Luc Marion
Penseur sans concession, auteur
d’une œuvre parfois très pointue, Jean-Luc Marion n’en est pas moins l’un des philosophes
français les plus lus et étudiés à travers le monde. À la fois historien de la
philosophie, phénoménologue et théologien, c’est principalement en cette
dernière qualité qu’il publie aujourd’hui D’ailleurs, la révélation (Grasset,
2020), même s’il prolonge les analyses qu’il a précédemment menées sur la
phénoménologie de la donation. Cet ouvrage dense et exigeant est une
exploration de la notion de révélation (avec un
“r” minuscule, c’est-à-dire au sens courant et séculier du terme) et
surtout celle de Révélation (avec une majuscule, autrement dit
au sens religieux), qui apparaît comme un défi lancé à une conception qu’il
juge étriquée et auto-satisfaite de la rationalité.
L’expérience de la révélation. L’ouvrage débute par l’analyse du concept de révélation, dans son
sens a priori non religieux. S’appuyant sur des exemples tirés
du domaine de la littérature, du sport ou de l’expérience amoureuse et
érotique, il souligne d’emblée que la révélation échappe à toute volonté et à
toute maîtrise. Elle vient toujours « d’ailleurs » elle
nous saisit et nous surprend. Pourquoi, subitement, parvenons-nous à accomplir
un geste que nous échouions à faire jusqu’alors ? Que signifie ce moment
inoubliable où un monde nouveau s’ouvre à nous ? Dans la révélation, nous
n’avons pas l’initiative même si c’est à nous qu’elle se montre et si c’est
nous qu’elle bouleverse. Vivre une révélation, c’est ainsi vivre une expérience
de dessaisissement dans ce que Jean-Luc Marion appelle la triple
dimension de la révélation : « La révélation du phénomène par
lui-même, la révélation de moi-même à moi-même […], et enfin la révélation à
d’autres de celui que je suis devenu d’ailleurs. »
Le « témoin » et la « résistance ». La révélation se distingue d’une construction de concepts, de
l’élaboration d’un savoir, ou même de toute transmission d’informations :
ce qui se révèle est incommensurable à ce qu’on savait ou à ce qu’on comprenait
jusqu’alors. C’est pourquoi elle appelle ce que Jean-Luc Marion appelle des
« témoins », qui pourront éventuellement raconter ce qu’ils
ont vu ou entendu, même s’ils ne peuvent pourront pas l’expliquer. Ces
témoins pourront d’ailleurs rechigner à accorder quelque crédit que ce soit à
l’expérience qu’ils ont vécue : c’est la « résistance » légitimement
éprouvée devant un paradoxe qui pousse la logique dans ses
retranchements. « La résistance, précise en effet
Jean-Luc Marion, provient de ce que nul ne se trouve jamais d’emblée
préparé, favorable ou acquis à une Révélation, mais que tout un chacun s’y
oppose, en un premier temps du moins, parce qu’elle redéfinit le champ entier
de la possibilité. »
Religion = Révélation ? « Au sens le plus courant, il y a Révélation quand il
y a religion et d’autant plus qu’il y a religion ; et il y a religion
quand et d’autant plus qu’il y a Révélation », constate
Jean-Luc Marion, tout en soulignant qu’il n’en a pas toujours été ainsi. Il
montre en effet que ce n’est que de manière tardive et polémique que le terme
de Révélation a été plaqué sur la religion, plus précisément par les
philosophes des Lumières au moment où ils ont voulu dégager la spécificité
de la science rationnelle en l’opposant à la théologie chrétienne… et mieux
disqualifier celle-ci.
Qu’est-ce qui se montre dans la Révélation ? Reste à préciser de quel type de phénomène la Révélation relève :
c’est ce qui retient longuement Jean-Luc Marion dans le reste de l’ouvrage, où
il étudie les textes bibliques avec minutie. Il s’arrête notamment sur la
manière dont Yahvé s’est montré à Moïse, sans lui donner à voir la moindre
forme visible, mais par sa parole, « en se faisant écouter ».
Jean-Luc Marion écrit : « Rien de visible n’est
découvert, sinon la manifestation même de l’invisible. […] Quand Yahvé se
révèle, il n’y a rien à voir, sinon l’invisible comme tel, la parole, où se
donne le Nom ». Alors qu’un secret cesse d’en être un aussitôt
qu’on le révèle, c’est ainsi au mystère divin, selon Jean-Luc Marion, que cette
Révélation conduit.
https://www.philomag.com/articles/dailleurs-la-revelation-de-jean-luc-marion
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