Quand l'ignorance religieuse devient vertu
Dans un monde devenu païen, le repli dans le "pur religieux" est pour certains l’unique chance de salut
Le refrain est connue : la culture profane a oublié ses racines religieuses ; si les catholiques tentent cependant de rester connectés avec la culture, ou de rétablir la connexion là où elle est interrompue, d’autres au contraire – notamment dans la tradition des «réveils» (protestants, évangélistes ou pentecôtistes) – prennent sans regret le parti de la rupture. À une culture oublieuse du religieux, ils opposent une religion sans culture, repliée sur elle-même, qui a désormais son propre marché. Le phénomène n’est pas propre au christianisme. C’est ce phénomène de retrait, qui culmine dans une religiosité autonome, qu’analyse Olivier Roy. Directeur de recherche au CNRS : il compare son émergence dans différentes aires culturelles , et s’efforce d’en donner les clés pour une interprétation (cf.l’entretien paru dans La Croix du 26 décembre 2008).
Certes, le choc entre religieux et culture n’est pas récent. Il a souvent été violent, (exemple : l’histoire des missions). Mais, jusqu’à une époque récente, alors qu’ils s’affrontaient sur le plan religieux, croyants et incroyants étaient sur un terrain commun car ils communiaient dans la même culture. C’est avec l’apparition d’une «modernité païenne» qu’un changement radical s’est produit. Face au défi d’une culture qui a rejeté toute référence religieuse, deux ripostes deviennent possibles : le repli sur soi ou la reconquête. Le projet d’inculturation est engagé dans un processus de reconquête ; les nouvelles religiosités accentuent le repli et la coupure. L’entre-deux, c’est-à-dire l’espace de la culture, où pouvait se nouer le dialogue a disparu.
Les conversions, qui vont aujourd’hui dans toutes les directions, sont un très bon indicateur de ce repli et de la mutation plus globale du religieux contemporain. Elles révèlent une déconnexion croissante du religieux par rapport à la culture, y compris par rapport à toute culture religieuse. L’expérience intérieure, assez comparable (d’une aire religieuse à l’autre) se suffit désormais à elle-même. Pour le dire dans les termes d’Olivier Roy, le «marqueur religieux», qui jusqu’ici était étroitement connecté au « marqueur culturel », devient «libre et flottant». Le religieux se déploie dans un espace qui a gagné son autonomie.
En tous les cas, analyse le sociologue, «le retour de la religion » dans l’espace public ne se fait plus sous la forme de l’évidence culturelle mais sur le mode de l’exhibition d’un “pur” religieux, ou de traditions reconstruites…» Ce qui revient ainsi, c’est une religiosité indifférenciée, uniformisée, formatée, faite à la fois d’individualisme et de communautarisme identitaire. Cette identité, qui se construisait autrefois autour d’une ethnie ou d’une culture commune, n’a plus désormais d’autre référence que la sphère religieuse. On saisit alors l’ambiguïté d’une expression comme «le retour du religieux»
Un livre passionnant, - illustré par des exemples multiples, -sur un phénomène qui envahit le marché mondial des religions. C’est un ouvrage à ne pas manquer, si l’on refuse de prendre son parti d’une ignorance religieuse qui n’a rien de « sainte »
La sainte ignorance : Le temps de la religion sans culture
par Olivier Roy
Editions du Seuil, 2008
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