Conférence donnée le 2 mai 2014 pour l'inauguration de la maison natale de Benoîte Rencurel
Saint-Etienne d’Avançon en 1664
Le bois, nécessaire pour la cuisson et le chauffage, est très surveillé, qu’il soit tombé ou qu’il soit sur pied. Les vols sont réprimés ! Les droits qui permettent de le ramasser sont recherchés et sont l’objet de contestations sans fin. D’autant plus que ce bois permet la production au vallon des fours.
Ce qui frappe en arrivant dans le village de Saint-Etienne-le-Laus c’est la présence de la montagne. Ce n’est pas seulement une montagne qui marque l’horizon, c’est un roc sur lequel le village est bâti. Ce sont aussi des versants qui dessinent une vallée et donc des routes : la vallée est un lieu de passage, nous le verrons. Nous pourrions dire la même chose pour le hameau du Laus.
Autre élément important dans le paysage quotidien, c’est l’église paroissiale. Celle d’aujourd’hui ne ressemble pas exactement à celle où Benoîte Rencurel a été baptisée en 1647. En effet, cette église, outre les travaux que nous allons évoquer, a été prolongée d’un tiers environ en 1885. Elle a également été restaurée en 2000.
A la fin du XVIe et au début du XVIIe siècles, les évêques d’Embrun demandent que cette église soit réparée (en 1598 par Guillaume de Saint-Marcel, 1568-1600 ; 1602 par Honoré du Laurens, 1600-1611). Nous sommes là à moins de cinquante ans de la naissance de Benoîte Rencurel. En août 1614, maître Blanc maçon de Valserres et maître Gallois charpentier, ont la charge de rebâtir l’église. C’est une époque de reconstruction après les guerres de Religion et durant l’époque de la contre-réforme catholique (le concile de Trente a eu lieu de 1545 à 1563).
L’église paroissiale est entourée du cimetière. Elle est le lieu où l’on a coutume de s’assembler pour délibérer aux affaires de la communauté, notamment sur la répartition des impôts. Le cimetière n’est pas clos puisqu’en 1672, Mgr Charles Brulard de Genlis, au cours d’une visite pastorale demande « la clôture du cimetière telle que le bétail n’y puisse point entrer » et que le terrain proche de l’église soit pavé ou boisé.
En 1675, il est décidé que les consuls achètent les ardoises pour couvrir le clocher. L’année suivante ce sont trois hommes qui sont commis à des travaux. Il s’agit de Pierre Valentin, Pierre Imbert et Pierre Rolland. Pierre Valentin et Jean Giraud reçoivent 16 livres pour avoir placé la cloche correctement. Il faut dire qu’elle marque les moments importants de la journée : un homme, Jean Jouve, est rétribué pour cela en 1684. Il doit sonner tous les matins, à midi et le soir ainsi qu’au moment de l’élévation du Saint-Sacrement.
En mai 1692, alors que la taille royale doit être répartie entre les contribuables, les consuls signalent que l’église menace ruine : réparer les murs est nécessaire « afin d’éviter l’entière perte ». En juin des prixfaicts, des devis par Aubert (maçon), Jean et François Giraud que nous avons déjà rencontrés, montrent que les travaux sont prévus. Cependant, 1692, c’est, dans les semaines qui suivent, l’entrée des troupes de Victor Amédée de Savoie dans les Alpes dauphinoises : épisode local de la guerre de la Ligue d’Augsbourg. A Notre-Dame du Laus, parmi les très nombreuses destructions, la cloche a été volée et des meubles brisés y compris le grand autel. Dans le village de Saint-Etienne, il ne reste que trois maisons entières. Il faut donc reconstruire !
Cette guerre a donc empêché les réparations prévues à l’église. Elles sont de nouveau attribuées à trois maçons et charpentiers de Saint-Etienne, de Théus et de Remollon, en 1699. Mais les artisans tardent à exécuter le chantier. Des négociations entre lesdits artisans et les consuls aboutissent à un projet de voûte en 1704. Mais, l’année suivante, le compte-rendu de la visite pastorale de Mgr Charles Brulard de Genlis stipule que la
communauté doit refaire le pavé de l’église, ainsi que le confessionnal ! Cette demande vient probablement s’ajouter aux travaux prévus antérieurement. De surcroît, des réparations doivent avoir lieu à la cure : si elles n’ont pas lieu l’église sera interdite. En 1707, Jean Laugier, de Valserres, se voit confier le chantier pour 280 livres. C’est une somme très importante.
En 1711-1713, les consuls décident de placer les archives de la communauté à l’église plutôt que chez l’un d’eux. Les archives, en 1692, étaient placées dans un coffre à trois serrures : celles-ci ont été brisées par les troupes savoyardes, les documents, eux sont déchirés et en partie brûlés. En fait, c’est à la cure que les archives sont déposées puisqu’un « cabinet des papiers doit être accommodé » et qu’il faut « y poser les serrures qui ont été achetées pour ce ». En même temps, il est toujours prévu de changer les poutres du clocher.
En 1716, des habitants du lieu ont sonné la cloche « à leur fantaisie », tellement qu’elle a cassé. Les coupables sont invités à payer la réparation : les consuls se réunissent pour en prendre acte.
En mai 1718, enfin, une visite pastorale du vicaire général d’Embrun demande notamment que les portes du cimetière soient fermées par un loquet : 40 ans plus tôt, il n’y avait pas de mur… c’est donc que des travaux ont été exécutés. Enfin, une chaire doit être installée dans l’église.
Saint-Etienne d’Avançon est une communauté où des régents, c’est-à-dire des maîtres d’école, enseignent. Ses habitants ne sont donc pas totalement illettrée. Les consuls décident, le 22 novembre 1684, que le régent sera payé du 1er novembre au 1er mai 1685 par la communauté pour 15 livres. 15 autres livres sont à la charge des enfants – leurs parents évidemment – pour cette année. Somme élevée pour des personnes qui n’ont pas l’habitude du numéraire… mais trente livres sont peu pour vivre pour le régent.
Le 24 octobre 1719, le régent est Jean Jaime. Il est originaire de Vallouise et reçoit garçons et filles. Il doit « leur apprendre à lire, écrire l’arithmétique et cathéchisme et prier dieu soir et matin » jusqu’au 15 avril. La rétribution n’a pas changé en 35 ans, elle est de trente livres qui semblent prises en charge intégralement par la communauté qui donne également une chambre comme salle d’école.
Saint-Etienne d’Avançon est une communauté dont l’ouverture est évidente. En 1692, des habitants se réfugient à Marseille, pensons à
Benoîte Rencurel dont le parcours est bien connu. Nous avons également dit, il y a quelques instants, que des chasubles étaient fabriquées en indienne sans que nous ne sachions d’où elles viennent. Le tissu a pu aussi venir de loin et être travaillé localement. Cependant, au quotidien, les affaires de la communauté se traitent au plus près : le Parlement du Dauphiné est sollicité dans les grands dossiers. Sinon, deux villes se disputent le rôle de capitale administrative : Gap où siège le bureau d’élection des montagnes du Dauphiné et Embrun où se trouve le siège épiscopal de référence. Les paroisses voisines sont évidemment celles où se trouvent des artisans sollicités pour les travaux de la communauté : Valserres, Remollon, Avançon, Théus… Les notaires sont à la Bâtie-Vieille ou à la Bâtie-Neuve. Chorges, localité importante vers Embrun est également citée souvent dans le livre de paroisse.
Communauté ouverte et communauté fragile également. En 1674, les consuls expliquent le ravage des eaux qui ont érodé les terres : à la pluie, il faut ajouter la grêle ! En 1705, les consuls ont demandé l’institution de la fête des saints Abdon, Sennen et Germain et autres, précise la chronique paroissiale ! En effet, ils sont intercesseurs pour la protection contre la grêle, la tempête, le ravagement des eaux et autres maux.
Que sont ces destructions ? En 1711, deux tempêtes ont « ruiné les vignes et raisins […] » une partie des blés, emporté la terre et presque détruits tous les fruits des vignes ». Ces fruits sont ceux des arbres présents au milieu des ceps de vignes. Les parcelles sont petites. Les propriétaires d’animaux peuvent les faire vaquer soit sur des prairies qui leur appartiennent soit sur des prés communaux. La neige ne fait pas partie des calamités.
La guerre, en 1692 a profondément marqué le territoire. Nous avons une représentation (elle est reproduite dans Notre-Dame du Laus, n° 371, décembre 2013) de la maison de sœur Benoîte avant l’incendie de 1850. Cependant, la maison natale a été détruite elle-même en 1692 !
Luc-André Biarnais,
archiviste du diocèse de Gap et d'Embrun
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