lundi 12 octobre 2015

Dans son livre d’entretiens avec Nicolas Diat, le cardinal Robert Sarah présente son pays, la Guinée Conakry, comme une terre de témoins

Dieu ou rien : Entretiens sur la foi (Fayard, 2015, 417 p.)


L’ouvrage publié chez Fayard par le cardinal Robert Sarah a été très largement commenté sur ses aspects ecclésiologiques contemporains. En revanche, peu de recensions sont revenues sur l’enfance, la formation ecclésiastique, l’ordination aux ministères du cardinal Sarah. Il est intéressant de comparer cet ouvrage à ceux de son prédécesseur sur le siège de Conakry, Mgr Raymond-Marie Tchidimbo sur les conceptions religieuses des familles ainsi que sur l’attitude par rapport au régime d’Ahmed Sékou Touré (1958-1984).

La première question de Nicolas Diat porte sur l’enfance de Robert Sarah, à Ourous, dans la moyenne montagne de la Guinée Conakry, près de la frontière avec le Sénégal. C’est le terroir Coniaguis, alors animiste. Robert Sarah est né, lui-même, de parents animistes en 1945. Ils ont été baptisés en 1947. Cet animisme est attaché à Ounou, le dieu auprès duquel les ancêtres sont intercesseurs (p 22-23). Cette conception monothéiste de l’animisme, surprenante peut-être pour les lecteurs français, est connue notamment par un article du père Joseph Roger de Benoist (pb) : Tendances actuelles de l’Islam en Afrique de l’Ouest (Etudes, décembre 1983, p 667-682).

Le cardinal Sarah souligne l’importance de Mgr Raymond Lerouge, spiritain, premier vicaire apostolique à Conakry, dans la fondation de la mission d’Ourous. Mgr Tchidimbo (Noviciat d’un évêque : huit ans et huit mois de captivité sous Sékou Touré, Fayard, 1987, 332 p.) indique avoir été baptisé de son prénom de Raymond en l’honneur de ce prélat (p 20) auquel il succèdera tout comme le cardinal Sarah. Ce baptême de Mgr Tchidimbo a eu lieu le 15 août 1920 à Conakry, la capitale guinéenne. Il faut noter que la « case Tchidimbo » était catholique.

Pour découvrir un aspect complémentaire de l’enfance en Guinée au début du XXe siècle, il est possible de lire L’Enfant noir de Camara Laye. Celui-ci, haut fonctionnaire guinéen, devra s’exiler dans les années 1960 en raison de son opposition à la dictature de Sékou Touré.


En 1964, la Guinée Conakry est indépendante depuis six ans quand Robert Sarah vient à Nancy poursuivre ses études de séminariste. Page 43 de son livre, il décrit la nationalisation de l’enseignement, la suppression du séminaire spiritain de Sainte-Marie de Dixin, également évoquée page 134 de l’ouvrage déjà cité de Mgr Tchidimbo. En 1961, le régime d’Ahmed Sékou Touré est présenté par Pierre Chauleur comme étant un « totalitarisme étouffant » pouvant évoluer « peu à peu vers un système étatique oppresseur ». Pierre Chauleur montre la brutalité dont Mgr de Milleville, archevêque de Conakry a été victime lors de son expulsion en août 1961 : il avait protesté contre le projet d’édification d’une Eglise nationale et contre la fermeture du séminaire (Pierre Chauleur, La Guinée après trois ans d’indépendance, in Etudes, novembre 1961, p 202-215). C’est à la suite de cet épisode que Mgr Tchidimbo devient archevêque de Conakry en mars 1962 (Noviciat d’un évêque, p 140).

Quelle était la formation des séminaristes avant cette fermeture ? Mgr Tchidimbo répond dans La Dame de ma vie (Paris, Fayard, 1991, p 24-25) où il dit combien sa mère lui a manquée. Alors (1929), « le règlement spiritain [du petit séminaire] de l’époque était étendu à tout l’empire spiritain de ce temps là sans trop de discernement ».

Le cardinal Sarah, lui, dû se rendre au séminaire de Bingerville (Côte d’Ivoire) entre 1957 et 1960, alors qu’il n’avait jamais quitté son village d’Ourous (p 35-36 et 41). « La messe quotidienne constituait le cœur de la journée […] Nous apprenions à vivre ensemble, comme en famille, en évitant le régionalisme ou le tribalisme ». Ensuite, il revient (p 43-44) dans la Guinée indépendante, en butte aux persécutions du gouvernement.

Nous avons évoqué plus haut le départ de Conakry de Mgr Gérard de Milleville, également traité dans le Dictionnaire des évêques de France au XXe siècle (p 478-479). Mgr Tchidimbo devient « notre nouvel évêque » en 1962 (p 44). Il sera, lui aussi, arrêté en 1970, emprisonné au camp Mamadou Boiro (voir ce site : www.campboiro.org), « puis, comme par miracle Mgr Tchidimbo fut libéré et expulsé le 7 août 1979 » (p 83). Mgr Robert Sarah est alors nommé par Paul VI, en 1978, nomination confirmée par le pape Jean-Paul II.

C’est ce que raconte Mgr Raymond-Marie Tchidimbo dans Noviciat d’un évêque, dédié à « mes compagnons de captivité, victimes du goulag guinéen ». Le cardinal Sarah considère que « ce gouvernement dictatorial a poussé les populations à l’abrutissement, au mensonge, à la brutalité, à la médiocrité et à la misère spirituelle » (p 31).

La mort de Sékou Touré en 1984 n’a pas mis fin à toute forme de dictature en Guinée. Le cardinal Sarah évoque plusieurs moments difficiles comme la répression du coup d’Etat de juillet 1985 par le régime de Lansana Conté (p 94-96). A la page 103, le cardinal Sarah transcrit le discours qu’il a prononcé lors de son départ de Conakry en 2001 : « les libertés démocratiques sont prises en otage par des dérives idéologiques pouvant conduire à l’intolérance et à la dictature ».


Luc-André Biarnais, 
archiviste du diocèse de Gap et d’Embrun

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