Journal de guerre : écrits inédits de l’aumônier
du Mont Valérien
Franz Stock
Paris, Editions du Cerf, 2017. 434 pages.
RÉSUMÉ
Journal de guerre En 1941, Franz Stock, curé de la
paroisse allemande à Paris, accepte de l'Occupant la mission de visiter les prisons
françaises du Cherche-Midi, de Fresnes et de La Santé, à la condition de ne pas
porter l'uniforme de la Wehrmacht. Un an plus tard, c'est lui qui accompagne au
Mont Valérien, jusqu'aux poteaux d'exécution, les condamnés à mort, résistants
ou otages, juifs, chrétiens, communistes...
Voici son Journal publié ici pour la première fois.
D'une valeur inestimable, le document se divise en trois parties : le « Journal
des fusillés », avec les notes très brèves comme de simples annotations au jour
le jour sur les prisonniers qu'il accompagne vers la mort, prises de 1942 à
1944 ; son « Journal de Cherbourg », tenu alors qu'il était prisonnier des
Américains de 1944 à 1945 ; et enfin « Un séminaire derrière les barbelés »,
écrit en 1947, où il retrace l'histoire des débuts de ce Séminaire devenu un
lieu de mémoire de la Réconciliation franco-allemande. Dans les deux journaux
tenus alors qu’il est prisonnier de guerre l’abbé Stock peut se sentir plus
libre pour livrer ce qu’il ressent pendant cette période.
Cette archive inédite, enfin exhumée, révèle la force
et le courage des condamnés à mort. Franz Stock note leur comportement, leurs
dernières phrases, la façon avec laquelle ils abordent la mort. Un livre
capital pour comprendre l'histoire du XXe siècle.
DISCOURS DE FRANZ STOCK DU 26
AVRIL 1947
Ce discours, qui a valeur de testament, a été prononcé par l’abbé Franz Stock,
directeur du Séminaire des Barbelés, pour le 2ème
anniversaire de sa
création, le 26 avril 1947, quelques semaines avant sa fermeture
définitive :
« Je voudrais maintenant m’adresser à vous, mes chers
théologiens, et vous invite à considérer mon propos comme un programme.
Car vous savez aussi bien que moi que dans la crise
actuelle des structures à laquelle l’homme d’occident est aujourd’hui
confronté, le théologien et le jeune prêtre – à la différence d’autrefois –
affronte sans détours et sans s’esquiver les questionnements de notre temps,
l’esprit lucide et le cœur grand ouvert, il se trouve sur le devant de la
scène, au cœur même des événements, révélant les dangers, guérissant les
blessures, afin d’apporter salut et consolation à ceux qui cherchent et
désespèrent.
Notre monde a changé et vous serez effrayés à la vue
des bouleversements que cette guerre a provoqués dans les âmes et dans les
esprits des hommes. La preuve devra alors être apportée que la protection et
l’isolement du séminaire ne vous ont pas éloignés du monde, mais au contraire,
vous ont formés de telle façon que l’élan et l’optimisme de votre jeunesse
puissent résister aux assauts. C’est alors que nous pourrons vérifier si au fil
des années écoulées nous avons pris les choses au sérieux et si c’était juste.
Quand un tremblement de terre ébranle une ville, les
clochers s’écroulent en même temps que les monuments et les maisons. Quand une
crise économique et sociale bouleverse le monde, les institutions et la vie de
l’Église ne restent pas indemnes, car elle ne peut exister à l’écart de
l’histoire générale.
Plus la crise est profonde, plus elle met sens dessus
dessous les valeurs fondamentales de l’existence humaine, plus violente aussi
est la secousse qui ébranle le corps de l’Église. Beaucoup de choses
aujourd’hui sont sur le point de s’effondrer, d’éclater ; autour de nous, plus
rien n’est stable, plus rien n’est sûr. Les convictions héritées du passé,
telles des valeurs de bienheureuse mémoire, s’estompent, et les hypothèses les
plus incongrues trouvent des adeptes.
Dans de telles circonstances, il serait surprenant que
l’Église incarnée et humaine restât une oasis de calme en marge de la
dissolution universelle. Ce qui en elle relève du divin et de l’éternel, reste
immuable, mais l’homme, quant à lui, est emporté dans le tourbillon d’une danse
endiablée à la manière de la sarabande espagnole.
La civilisation moderne, poussée toujours plus loin
par le progrès technique, qui en l’espace de cent cinquante ans a bouleversé la
vie sociale, évolue à une vitesse vertigineuse. Une nouvelle civilisation se
fraye un chemin, se présentant dans un premier temps sous les traits d’une
barbarie mécanisée. L’humanité, arrivée à la croisée des chemins, peut alors se
tromper de direction et choisir la termitière humaine ou le suicide atomique,
au lieu de s’orienter vers le progrès authentique, celui qui consiste à
maîtriser par l’esprit les réalisations de la science et de la technique afin
de les mettre au service de l’homme. Dans ce nouveau moyen âge, l’Église peut
assumer le rôle qu’elle joua au seuil du grand moyen âge : en tant que
messagère du surnaturel, elle peut sauver la nature ; mandataire de Dieu, elle
peut libérer l’homme.
Notre civilisation est lassée de l’individualisme,
elle se tourne vers des institutions communautaires. Mais elle les cherche là
où elles ne peuvent s’épanouir : au sein d’un parti politique ou dans l’État.
L’Église se doit de lui servir de modèle parfait d’une communauté, car
précisément, elle fonde ses communautés terrestres sur la participation à la
communauté suprême, celle du Corps mystique du Christ.
Notre époque parle toujours des masses humaines et
nous savons bien que les masses humaines d’aujourd’hui sont plus éloignées du
christianisme que ne le furent les païens des terres inexplorées. Le temps des
grandes persécutions peut resurgir de nouveau où les chrétiens seront déclarés
ennemis par excellence de l’humanité. Cette proximité du paganisme exige de
nous de trouver de nouveaux moyens efficaces. La possibilité du martyre réclame
de nous un retour aux sources, à l’esprit du temps où le sang des martyrs se
mêlait quotidiennement au vin de l’Eucharistie. Face à une époque paganisée,
l’Église redevient missionnaire. Mais vouloir être missionnaire, cela ne se
traduit pas seulement par des méthodes, mais s’exprime par l’esprit qui doit
guider tout le clergé et tout le peuple fidèle.
Tétanisés par l’existence de ces masses humaines,
certains semblent devoir croire que l’idéal du chrétien des temps modernes
consiste à s’effacer dans la masse comme une goutte de pluie se dissout dans
l’océan. Mais même dans la masse humaine, le chrétien doit se faire remarquer,
doit déranger, doit heurter, car c’est précisément par ce scandale qui choque
que commence l’apostolat. Et ce christianisme doit être viril, un christianisme
de présence affirmée, qui ne craint pas l’affrontement, qui réclame un
engagement, un christianisme lumineux comme un phare pour éclairer les
ténèbres, un christianisme d’acier pour un siècle de fer, un christianisme
flamboyant pour notre temps de l’énergie nucléaire. Notre siècle est activiste,
agité, il est érotique, confond le spirituel et le temporel. Notre siècle voit
triompher les haines, il est anarchique, révolutionnaire, voit s’enchaîner les
catastrophes, il entasse ruines sur ruines, dans les villes comme dans les
âmes.
Notre siècle atomisé, divisé en nationalismes aussi
ridicules qu’un costume de zouave suranné.
Ainsi, notre siècle a deux pôles, l’un nous pousse
vers l’apostasie, l’autre vers la sainteté, l’un rejette l’Église, l’autre
l’attire. Il importe, tout en étant enfant de notre siècle, de réconcilier
Église et monde moderne.
Le nombre de saints voulus par Dieu suffit à sauver une époque. Des
saints qui se vouent à cette vocation et qui transforment en vertus les
agissements de notre temps.
Des saints qui renoncent aux amours humaines et qui savent à quoi ils
renoncent, qui par le spectacle et l’exemple de leur vie poursuivent le chemin
de l’ordre humain.
Des saints qui n’ont pas peur des catastrophes ni des révolutions, mais qui
savent profiter de toute occasion et orientent tout leur être vers le second
avènement du Sauveur.
Des saints qui réconcilient l’attachement à leur patrie charnelle et
l’amour pour l’humanité, par delà les frontières des nations, des empires, des
races et de classes.
C’est la Providence qui nous lance cet appel à la sainteté par la voix de
l’histoire, et nous devons le suivre pour apporter au monde le message de
liberté et de paix, de salut et d’amour.
Ce devrait être pour nous tous un legs sacré, en ce second anniversaire de
notre séminaire, de recevoir en nous ce message de vie et de l’apporter à
l’humanité souffrante.»
Qui
était l’Abbé Franz Stock (1904-1948) ?La Croix International
«Son regard m’avait frappé, à la fois plein de tendresse et
de tristesse… Comme s’il ne pouvait chasser de son esprit tous ces hommes qu’il
avait accompagnés jusqu’au poteau d’exécution» raconte un témoin qui a connu l’abbé Franz Stock au
camp de prisonniers allemands près de Chartres.
Originaire de Wesphalie, celui qui fut le premier étudiant allemand
admis à l’Institut Catholique de Paris depuis le Moyen-Âge, Franz Stock sera
recteur de la mission catholique allemande de Paris de 1934 à 1939.
Nommé aumônier des prisons de Paris de 1941 à 1944, il apporte un soutien moral et spirituel aux détenus, prépare et accompagne les condamnés à mort jusqu’à leur lieu d’exécution. De très nombreux témoignages noteront qu’il apporte le réconfort à ceux qui veulent le recevoir et que malgré les risques il sert de messager entre les familles et les résistants emprisonnés.
En 1945, il est chargé, grâce à ses relations avec des prêtres français, de l’instruction des séminaristes allemands prisonniers de guerre. Le "Séminaire des barbelés" est définitivement installé dans le camp 501 de Coudray, près de Chartres.
Nommé aumônier des prisons de Paris de 1941 à 1944, il apporte un soutien moral et spirituel aux détenus, prépare et accompagne les condamnés à mort jusqu’à leur lieu d’exécution. De très nombreux témoignages noteront qu’il apporte le réconfort à ceux qui veulent le recevoir et que malgré les risques il sert de messager entre les familles et les résistants emprisonnés.
En 1945, il est chargé, grâce à ses relations avec des prêtres français, de l’instruction des séminaristes allemands prisonniers de guerre. Le "Séminaire des barbelés" est définitivement installé dans le camp 501 de Coudray, près de Chartres.
Le nonce Roncalli donnera l’absoute lors
de son enterrement en 1948. Il est considéré, à juste titre, comme un pionnier
de l’amitié franco-allemande.
Publication : Claude Tricoire - Bibliothèque diocésaine d'Aix et Arles
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