Maurice Blondel (philosophe)
Maurice Blondel, né le 2 novembre 1861 à Dijon et décédé le 4 juin 1949 à Aix-en-Provence, est un philosophe français.
Plaque en l'honneur du philosophe aixois dans l'église Saint-Jean de Malte (Aix-en-Provence) qui fut sa paroisse
Biographie
Blondel appartenait à une très ancienne
famille de Bourgogne. Il vécut son enfance à Dijon dans
« une demeure historique entourée d'ombre, de paix et de tendresse.» Sa
famille passait les vacances d'été à Saint-Seine-sur-Vingeanne et
c'est dans cette propriété qu'il rédigea L'Action, sa thèse de
1893. Il fut admis à l'Ecole normale supérieure à Paris en
1881. Le sujet et le titre de sa thèse : L’Action : Essai d'une critique de la vie et d'une
science de la pratique étonna. Il fut reçu en 1893. Mais il fut
considéré comme étant plus théologien que philosophe et l'accès à l'université
lui fut barré un certain temps. D'autre part le Vatican interdit
la vente de son ouvrage. En 1893, Blondel, catholique convaincu et pratiquant,
fait de sa Foi le principe de son existence. Il hésite encore entre un
apostolat à mener comme prêtre ou comme laïc. Finalement il opte pour une
vocation universitaire, la forme à laquelle il se sent appelé « auprès des
milieux intellectuels les plus éloignés du catholicisme » ce milieu
universitaire alors « imprégné de mentalité rationaliste...".
Un temps écarté de l'université, il y
est finalement admis. Il est Maître de Conférences à Lille,
puis à Aix-en-Provence (en 1895). Il publie la Lettre sur
l'apologétique (en 1896). Il est Professeur à Aix en 1897. Il perd son
épouse (en 1919). En 1927, il est obligé de quitter l'enseignement pour raison
de santé. De 1934 à 1937 Blondel - il a alors 73 ans - il refond en quelque
sorte son œuvre et resitue L'Action dans celle-ci. Il écrit et
publie La Pensée en 1934, L'Être et les êtres en
1935, L'Action (sa nouvelle version) en 1936 et les deux
premiers volumes de La Philosophie et l'esprit chrétien en
1944 et 1949.
L'Action
Les premières pages de L'Action,
première thèse en français du philosophe sont célèbres : « Oui ou
non, la vie humaine a-t-elle un sens, et l'homme a-t-il une destinée? J'agis,
mais sans même savoir ce qu'est l'action, sans avoir souhaité de vivre, sans
connaître au juste ni qui je suis ni si je suis. Cette apparence d'être qui
s'agite en moi, ces actions légères et fugitives d'une ombre, j'entends dire qu'elles
portent en elle une responsabilité éternellement lourde, et que, même au prix
du sang, je ne puis acheter le néant parce que pour moi il n'est plus : je
serais donc condamné à la vie, condamné à la mort, condamné à l'éternité!
Comment et de quel droit, si je ne l'ai su ni voulu ?»
Selon Jean Lacroix, Blondel a résumé sa philosophie dans Études
philosophiques dans cette comparaison qu'il résume. « Au Panthéon d'Agrippa, à Rome, l'immense coupole n'a pas de clé de voûte, mais une ouverture centrale par où
descend toute la lumière dont s'éclaire l'édifice. Ainsi la construction de
notre âme, comme une œuvre inachevée, s'appuie, non à un plein, mais à un vide,
vide nécessaire pour que passe l'illumination divine, sans laquelle nos yeux
seraient complètement aveugles et nous ne pourrions accomplir aucune tâche. Si
l'homme a une destinée véritable, qui donne un sens à la vie, il n'est pas possible
que la philosophie s'en désintéresse; si cette destinée, comme l'affirme le
christianisme, est surnaturelle, il n'est pas davantage possible que la
philosophie l'atteigne par ses seules forces - sans quoi le surnaturel ne
serait plus proprement surnaturel. De cette opposition suit le statut de la
philosophie : contrainte de poser un problème qu'elle ne saurait
entièrement résoudre, elle ne peut que rester inachevée tout en rendant compte
de son inachèvement même. Pas de philosophie sans système; plus de philosophie
si le système se ferme sur soi. En ce sens on pourrait dire que l'idée de système
ouvert définit le blondélisme. Cette philosophie de l'insuffisance aboutit
à une véritable insuffisance de la philosophie.»
Qu'est-ce que l' action ?
L'action est une donnée primordiale,
antérieure à la conscience et à la liberté dans laquelle l'homme est, dira
Blondel, « embarqué », embarqué dans son drame. Il se sent le
maillion d'une chaîne d'actes qui ont commencé avant lui et sans lui, mais qui
se poursuivent en lui. L'homme peut s'entendre dire que ses actes portent en
eux une responsabilité indéfinie et que même le suicide ne peut pas supprimer
le fait qu'il a été dans l'action. La suite du passage cité au paragraphe
précédent donne une idée de ce que veut Blondel : « J'en aurai le
cœur net. S'il y a quelque chose à voir, j'ai besoin de le voir. J'apprendrai
peut-être si, oui ou non, ce fantôme que je suis à moi-même, avec cet univers
que je porte dans mon regard, avec la science et sa magie, avec l'étrange rêve
de la conscience a quelque solidité. Je découvrirai sans doute ce qui se cache
dans mes actes, en ce dernier fond où, sans moi, malgré moi, je subis l'être et
je m'y attache. Je saurai si, du présent et de l'avenir, j'ai une connaissance
et une volonté suffisante pour n'y jamais sentir de tyrannie, quels qu'ils
soient.»
Ce « dernier fond où, sans moi, malgré moi, je subis l'être et je m'y
attache » signifie selon Charles Moeller que « plus profondément que
l'intelligence et la volonté, en mes profondeurs, je subis l'être, c'est-à-dire
que je ne suis pas maître de ce fait que j'existe; je m'attache à l'être
c'est-à-dire que, que je le veuille ou non, je ne puis pas ne pas agir sans
cesse, préférer l'existence à la non existence, l'être au non être,
l'affirmation ontologique à sa négation.»
La suite du texte indique dans quel sens
la solution sera cherchée : « Le problème est inévitable; l'homme le
résout inévitablement; et cette solution, juste ou fausse, mais volontaire en
même temps que nécessaire, chacun la porte dans ses actions. Voilà pourquoi il
faut étudier l'action ; la signification même du mot et la richesse de son
contenu se déploieront peu à peu. Il est bon de proposer à l'homme toutes les
exigences de la vie, toute la plénitide cachée de ses œuvres, pour raffermir en
lui, avec la force d'affirmer et de croire, le courage d'agir.» Il y a cependant plus dans notre
action que nous ne le pensons et une pauvreté de nos actions réelles en face
d'une plénitude dont nous n'avons pas conscience, qui gît au fond de la volonté
voulante.
Volonté voulante et volonté
voulue
La volonté voulante c'est
précisément « ce dernier fond où, sans moi, malgré moi, je subis l'être et
je m'y attache » , quelque chose qui est au-delà de la distinction entre
intelligence et volonté. Jean Lacroix écrit de Blondel et de son concept
de base : « l ' action, c'est-à-dire toute activité
humaine, qu'elle soit métaphysique, morale esthétique, scientifique ou pratique[.»
Mais comme volonté voulante, soit « cet être qui est au-delà de la
distinction entre intelligence et volonté (...) l'être profond est volonté
voulante parce qu'il est prégnant des valeurs de vérité et d'amour qui se
diversifieront plus tard au niveau des facultés conscientes.» Moeller
poursuit : « L'intelligence va proposer à la volonté voulante (qui du
reste « propulse » cette intelligence même dans la quête des
motifs d'action), une série de projets d'activités dont la volonté voulue va
s'emparer pour les mettre à exécution. Ces projets ne peuvent être que
partiels, limités dans le temps et l'espace. Aucun, pris en lui-même, ne peut
épuiser d'un coup l'ampleur de la volonté voulante qui sous-tend, anime les
démarches de la volonté voulue. Prenant conscience de cela, l'être humain va
rechercher, d'étapes en étapes, une activité qui réalise cette égalité, cette
réconciliation entre « ce qu'il veut » et ce « qu'il fait ».»
Le « ce qu'il fait » c'est la volonté voulue et le « ce qu'il
veut », c'est la volonté voulante.
Deux problèmes
préalables : dilettantisme et nihilisme
Les partisans du dilettantisme prétendent
que le problème moral n'existe pas : « Rien ne vaut rien et
cependant tout arrive mais cela est indifférent ». Il n'y aurait qu'à « jouer pour mieux et
plus impunément jouir, en goûtant et en essayant de tout pour tout percer à
jour, en déchargeant ainsi l’action humaine de toute obligation ou
responsabilité effective, par la double évasion de l’ironie et de la
volupté ...» Il y a dans le dilettantisme une sorte d'indifférence absolue
comme le dit Zarathoustra, on veut ne rien vouloir mais dans la mesure où cette
volonté de ne rien vouloir revêt malgré tout une effectivité, on se rend compte
qu'elle est une volonté de soi, un égotisme comme le fait entendre Charles Moeller qui fait
de cette attitude le propre de la pensée de Gidecontre
lequel il objecte à partir de Blondel qu'elle exclut l'engagement sans réserve,
l'amour profond les attitudes que, précisément, le dilettante, prétendant
pourtant vouloir tout expérimenter ne veut pas connaître. Ou alors le
dilettantisme est un nihilisme. il est la volonté de ne rien être. Mais le suicidé
est animé d'un espoir secret au nom duquel il condamne le monde et désire
s'anéantir. Bondel écrit : « En croyant aspirer au néant, c’est à la
fois le phénomène dans l’être, et l’être dans le phénomène qu’on poursuit :
voyez comme au délire des sens la passion mêle un étrange mysticisme et semble
absorber dans un instant de volupté (morte en même temps que née) l’éternité de
l’être et l’y faire mourir avec elle ; mais voyez aussi comme à
l’abnégation mortifiante le quiétisme ajoute un désir d’indifférence, un besoin de
sentir l’immolation, une joie d’abdication et toute la sensualité raffinée d’un
faux ascétisme qui manifeste un sens propre, un subtil et ambitieux égoïsme,
une « luxure spirituelle » : mensonge de part et d’autre,
puisque la volonté finit toujours par vouloir ce qu’elle a voulu exclure, et
puisqu’elle s’inflige déjà, puisqu’elle semble se préparer ainsi le supplice de
la discorde intestine, où armée contre elle-même elle se déchirera de toute sa
puissance. Et ce qui n’a point de cohérence ni de consistance intelligible ne
subsiste qu’en prenant corps dans des actions qui, elles, réalisent en des vies
désordonnées et en des œuvres intimement discordantes ces sophismes intéressés
de la pensée et de la volonté défaillantes.»
Des ondes
concentriques : de l'individu à Dieu atteint dans la superstition
comme peur de la mort en passant par le couple, la famille...
Une série d'ondes concentriques de plus
en plus larges, comme autour de la chute d'une pierre dans l'eau profonde, vont
se déployer autour du choc initial provoqué par les « actions » (en
quelque sorte sous-jacentes), de la volonté voulante et vont embrasser
successivement l'individu, la société familiale, la patrie, la société
politique, le monde, les forces qui dépassent le monde. Plus les ondes
s'élargissent et plus l'écart entre les deux bras de la volonté voulante et de
la volonté voulue est incapable de se refermer sur une réalité qui égalise
l'impulsion de la volonté voulante et les réalisations effectives de la volonté
voulue. Il n'y a pas de raison de s'arrêter dans la quête de cet embrassement
qui devrait refermer sur elle-même l'action humaine.
La volonté voulante doit donc s'incarner
dans le monde, dans des actions concrètes, même si le risque existe que cette
activité l'englue dans la matière : cette sortie de soi est pour
l'intention du vouloir, « l'indispensable moyen de se préciser, de
s'enrichir, de se soumettre à la norme salutaire dont elle tirera le sens et la
réalisation du vouloir profond et de la fin secrètement poursuivie.» Il s'agit
de se conquérir d'abord comme individu. Et ce premier rassemblement essentiel
autour d'un noyau personnel creuse immédiatement un vide : « à peine
espérions-nous refermer sur eux-mêmes les deux bras de la volonté voulante et
de la volonté voulue, autour d'une personnalité harmonieusement équilibrée et
close sur elle-même que, par l'élan même qui créait la personne, se produit un
choc qui détermine une nouvelle onde, concentrique à la précédente. La personne
meurt si elle ne s'ouvre pas sur le monde extérieur...»
Ensuite, une nouvelle onde se crée qui
pousse la volonté voulue à s'ouvrir aux personnes et en particulier dans l'amour
humain. En apparence, ce pourrait être définitif, mais la volonté voulante veut
à nouveau plus. Elle ne veut pas que les amants soient seuls au monde et
dans leur union même il y a l'appel d'un autre être à l'existence :
« lorsque par un mystérieux échange, deux êtres ne forment plus qu'un même
être plus parfait (...) c'est quand ils sont un qu'ils deviennent trois (...)
L'élan même de la passion brise le cercle magique où elle espérait peut-être
s'enfermer pour jamais (...) Un tiers paraît, comme pour suppléer à
l'infructueux essai de l'unité (...) il est né de l'amour (...) il le scelle
dans une tombe - le berceau - qui ne rend plus ce qu'il a pris aux parents. Ils
sont plusieurs, c'est la richesse. Ils sont plusieurs, c'est la pauvreté; ils
ne sont plus uns. Une aube étrangère s'est levée : il faut qu'en
grandissant la famille s'ouvre et se disperse, que l'affection commune se
multiplie en se divisant.» La famille est alors un nouveau
« cercle magique » mais l'élan social ne peut se réaliser que dans
une patrie et si l'on reste à la patrie, cet élan lui-même risque de se
dessécher s'il ne s'ouvre au culte de l'humanité qui implique toujours au
niveau de la volonté voulante un idéal moral universaliste. L'homme atteint
alors les limites de la finitude et débouche sur les forces qui dépassent le
Monde. C'est alors que la fonction fabulatrice (au sens que Bergson donne à
cette expression, selon Moeller), invente des mythes pour rassurer l'homme qui
prend conscience de l'abîme que la mort représente pour lui. Mais alors, dit
Moeller, « l'homme se tourne vers Dieu non parce qu'il croit en lui
mais parce qu'il a peur. Il essaye, par ses actions morales et
rituelles, de mettre définitivement de son côté les forces irrationnelles.
Cette manière d'agir cache l'instinct de puissance (...) l'acte superstitieux
prétend indûment arrêter l'élan de la volonté voulante; celle-ci porte plus
loin. La volonté profonde de l'homme est obligée, ici encore, d'abdiquer devant
ce qui est contenu dans son désir, mais le dépasse dans ses moyens de
réalisation
De la religion comme peur à
la rencontre authentique de Dieu
D'étapes en étapes, la volonté voulue
s'avère tendre à l'infini. Et elle ne peut s'arrêter sous peine de contradiction.
C'est l'infini par « en-haut ». Mais il y a plus essentiel peut-être.
C'est que la volonté voulante qui m'entraîne sans cesse en avant, je la
découvre comme n'étant pas mienne car cette volonté voulante en moi, je ne l'ai
pas voulue. Je n'ai pas demandé à être ni à agir encore plus ni non plus d'être
emporté dans ce dynamisme qui me pousse sans cesse en avant :
« L'action qui par « en haut » tend vers un infini de
puissance, s'ouvre également, par le bas, dans le tréfond de mon être, sur
quelque chose ou quelqu'un qui m'a engagé avant que je puisse accepter ou
refuser. Mon action s'ouvre par en bas, sur une transcendance.»
Ma volonté voulue doit en quelque sorte capituler devant des
forces qui la dépassent. Et d'autre part, je prends conscience que je suis le
sujet d'une volonté voulante qui est antérieure à ma liberté et qui me dépasse
car elle ne m'appartient pas.
Charles Moeller estime que Blondel a mis
en évidence « l'indestructibilité de l'action volontaire...» Il pose la
question de cette façon pour situer la problématique à laquelle s'ouvre la
pensée de Blondel en ce moment de sa progression : « Je ne
m'appartiens pas. On m'a embarqué. Qui?' Pourquoi? L'action
qui « par en haut » tend vers un infini de puissance s'ouvre
également, par le bas, dans le tréfond de mon être, sur quelque chose ou
quelqu'un qui m'a engagé avant que je puisse accepter ou refuser. Mon action
s'ouvre, par en bas sur une transcendance (...) Non seulement
il y a en chacun de mes actes particuliers plus, et infiniment plus que ce je
vise sur le moment, - c'est même ce « plus » qui explique que
j'agisse - mais ce « plus » est à son tour, enraciné, en avant de
moi-même, plus haut que moi-même, en un Être transcendant qui m'a embarqué dans
l'agir concret (...) Dieu apparaît ainsi comme présent dans tout le
déterminisme de l'action. Le choc initial qui délenche la série des ondes
concentriques, est donné par Celui qui est « plus intime à moi-même que
moi-même; la force de propulsion qui lance en avant mon action voulue est
secrètement sous-tendue par cet élan initial qui est celui d'une autre volonté
que la mienne. Que je le veuille ou non, je ne puis pas ne pas voir cette
vérité. Je ne puis pas voir que je dois agir, que j'agis toujours, que je
cherche en tout l'infini; et en même temps, au sein de ce dynamisme qui est mon
« moi » le plus essentiel, je découvre que je ne puis atteindre
cet infini que je veux; je sais que je n'ai jamais, à aucun instant, été
capable de « vouloir vouloir » cet infini. Ma volonté voulante ne
m'appartient pas. Je ne puis me passer de Dieu si je veux aboutir dans mon
action à ce que je veux vraiment, et, en même temps, je ne puis m'emparer de ce
Dieu, car il dépasse mes forces et transcende cette volonté voulante par
laquelle je ne puis pas ne pas Le chercher»..»
La volonté vraie
René Virgoulay a écrit dans L'Action
de Maurice Blondel, 1893, : relecture pour un centenaire :
« La volonté vraie, c'est la volonté voulante en tant que ratifiable ou
ratifiée par la volonté voulue, c'est la volonté voulue en accord avec la
volonté voulante. De même si la « vraie volonté de l'homme, c'est le
vouloir divin », cela signifie que la volonté de l'homme n'est
jamais aussi vraie que lorsqu'il veut ce que Dieu veut. La volonté vraie n'est
pas la volonté divine en tant qu'elle priverait l'homme de son propre vouloir,
mais la volonté humaine en tant qu'elle s'accomplit par consentement à la
volonté divine. Le vouloir humain n'est jamais aussi authentique que lorsqu'il
est reconnu comme un don.» Et Virgoulaiy cite Blondel : « Avouer sa
foncière passivité, c'est, pour l'homme, la perfection de l'activité. A qui
reconnaît que Dieu fait tout, Dieu donne d'avoir tout fait.» Jean Lacroix conclut
son exposé sur L'Action de Blondel dans le Dictionnaire
des philosophes par ces mots : « De moi-même à moi-même il y
a une distance infinie. En découvrant dans notre agir un inachèvement de droit,
Blondel met à jour en nous une « place préparée », une « fissure
ouverte ». On ne peut s'égaler à soi-même qu'en sortant de soi. Tout
effort tend à montrer qu'il y a dès l'origine une immanence de transcendance en
nous. Dérouler le déterminisme intégral de l'action, c'est creuser le vide que
le surnaturel viendra combler.»
Henri Bouillard d a
écrit que la méthode de L'Action consiste à suspendre toutes
les certitudes, celles de la foi pour commencer ou même l'idée que la vie
humaine a un sens : « Considérant le fait inéluctable de l'action,
parcourant toute la série des attitudes possibles à l'homme dans le champ de
son activité il [Blondel] relève partout une inadéquation toujours croissante
entre ce que l'on croit vouloir et ce qu'on veut profondément, entre la volonté
voulue et la volonté voulante. Il montre ainsi que les pensées et les actes de
chacun composent dans leur ensemble comme un drame, et que ce drame amène
chacun à une option inévitable entre les sollicitations du Dieu caché et celles
de l'égoïsme toujours évident. Cette logique de l'action où s'enveloppent réciproquement
l'existence rationnelle et le mouvement de la liberté, conduit l'homme jusqu'au
point où le christianisme peut prendre sens à ses yeux. Elle ne lui impose pas
la foi puisque celle-ci est un don de Dieu. Mais elle dessine en lui son lieu
d'accueil et le cadre de son intelligibilité. Elle lui permet de saisir en quoi
le christianisme concerne tout homme.»
La Pensée
Pour Blondel, il y a deux types de
pensée, liées l'une à l'autre : la pensée noétique et la
pensée pneumatique. Le seconde fut d'ailleurs largement sponsorisée
par Michelin par la suite.
La pensée noétique
«J’emploie», écrit Blondel « le
terme noétique pour désigner ce qui, dans le monde sous-jacent à la pensée
consciente ou réfléchie, est irréductible à la notion commune de matérialité,
au pur physique, si tant est qu’on puisse parler de cette pureté
abstraite. Ce mot noétique provoquera peut-être surprise et résistance, en
raison de l’idée que son étymologie même évoque, car il paraît désigner ce qui
est de l’ordre supérieur à la simple conscience ou à la connaissance
discursive ; dès lors, il semble étrange de l’employer pour ce qui paraît
inférieur. Ce qui pourtant justifie cet emploi, en apparence prématuré, d’un
mot dont on commence à abuser mais qu’il importe de garder en le précisant,
c’est que l’objet réel que ce terme désigne a, en effet, un rôle permanent et
très défini. Infus et agissant au plus bas, le noétique est ce qui soutient
secrètement toute l’ascension, rend compte de la valeur réelle de la
connaissance, prépare la pensée concrète et contemplative et permet à l’esprit
de communier avec la nature et l’ordre transcendant dont il est le liant. Qu’on
ne se méprenne pas sur cette présence du noétique : ce n’est pas seulement
une action extérieure, desursum ; ce n’est pas non plus un
produit d’une fermentation obscure et toute immanente, constatée isolément et
une fois pour toutes comme un fait brut. C’est une incarnation ébauchée du νοῦς, du λογος,
d’où le nom de noétique donné à cet ingrédient réel.» On peut parler du
noétique comme de la « pensée infuse et agissante dans le monde
matériel », d'une « incarnation ébauchée du νοῦς », du
« principe d'objectivité intelligible.»
Le noétique n'est assimilable ni à la matière, ni à l'abstraction, il est un
élément concret, le « principe ontologique de l'ordre universel.» Unité
globale et solidaire du monde, il est au principe de la possibilité de
comprendre les choses et le monde, il ne peut se définir indépendamment de ce à
quoi il renvoie, soit le pneumatique.
La pensée noétique est analytique, elle
cherche à dégager des éléments simples et des relations définies, elle n'est
que dans l'homogène. Elle tend à l'abstrait, au général, la notion, la loi.
Elle est rétrospective, elle a affaire au révolu au réifié avec une propension
à la suffisance. La connaissance notionnelle, qui participe de la pensée
noétique, « a pour œuvre propre la fabrication des concepts, tels que les
utilisent la science positive et la philosophie de type classique :
représentations abstraites et générales où le réel se trouve réduit à
l'essentiel, ou du moins à ce qu'il réussit à la pensée de considérer comme tel ».
Elle ne donne pas lieu à une connaissance directe totale.
La pensée peneumatique
« Je pneumatiquee désigne par
pneumatique », écrit Blondel, « (en me servant d’un vieux mot qui a
été usité dans les écoles où prévalait le sens de la vie intérieure et de sa
mystérieuse respiration) ce qui, en un être singulier, en un point spécifié et
réagissant de façon qualitative, aspire le milieu universel, puis l’assimile et
l’expire ensuite : secret échange qui introduit perpétuellement dans le
monde du nouveau, qui, dans le noétique en quelque sorte étalé et totalisé,
constitue partout des intériorités, des singuliers, des formes caractérisées,
des « indiscernables » du dehors, et des diversifications
indéfiniment renouvelées du dedans.» Pour A. de Jaer et A.Chapelle, « De
même que le noétique confère à l'univers son unicité et à chaque personne
d'être réelle parce que dans l'univers, ainsi le pneumatique donne à chaque
personne d'être elle-même en actuant la réalité unique de l'univers.»
La pensée pneumatique est synthétique,
elle se meut dans le divers, le multiple et les voit comme concourant à
l'harmonie. Elle est prospective, regarde vers l'avenir, ce qui est à naître, à
faire, elle est liée à un appel, c'est la connaissance réelle.
« La connaissance réelle est celle qui, grâce à une certaine connaturalité
initiale mais bien plus encore grâce à une vivante initiation progressive, nous
permet de communiquer, de communier du dedans avec les êtres ou les choses, et
par suite d'en juger avec rectitude antérieurement ou par delà tout système
élaboré de concepts. A des titres divers en relèvent : le bon sens, le
tact, les clairvoyances propres de la pratique et de l'amour, des anticipations
et les vues synthétiques du génie, la sagesse et la contemplation.»
L'union: distinction/des
deux pensées. L'image de la luciole
« Entre ces deux formes de
connaissance, il n’y a pas pour nous à opter : elles sont nécessaires l’une
et l’autre, l’une à l’autre. Grâce à leur union seule, l’intelligence peut être
à la fois clairvoyante et possédante et, sans rien concéder au goût dangereux
de l’irrationnel, rester fidèle à son étymologie, commune d’ailleurs avec celle
du mot intuition : non seulement ce qui sert d’agent de liaison, inter
legit [lie les choses entre elles], mais ce qui voit et lit au
cœur, intus legit [lit à l'intérieur des choses].
Grâce à leur union seule, peuvent se concilier en nous l’universalité d’un
horizon coextensif à tout l’être et le point de vue singulier d’une conscience
personnelle : la communion et l’individuation. Si elles parvenaient à se
joindre et à s’unir comme elles le souhaitent normalement, le problème du
connaître serait susceptible pour nous de solutions définitives et adéquates.
Mais, nous le verrons, elles ne se rejoignent pas. Et par le trou, par la
fissure qui subsiste entre elles, se laisse entrevoir une réalité supérieure à
la pensée consciente de l’homme comme à tout le domaine qu’elle explore.»
Blondel s'est exprimé comme suit à popos de la nécessité des deux pensées, opposant
le terme latin ratio pour désigner la connaissance rationnelle et
le terme latin intellectus pour désigner ce que Newman appelle aussi la connaissance
réelle : « Comment concilier et hiérarchiser cette ratio et
cet intellectus dont on nous dit que la première doit conduire
au second en le contrôlant, et que cependant l’intelligence qui est
virtuellement en nous demeure provisoirement prisonnière d’entraves qui
empêchent son véritable exercice ? (...) Durant les lourdes nuits de
juillet, dans la campagne embaumée de Grasse ou de Vence, la luciole de Provence poursuit silencieusement son étrange vol d’ombre
et d’éclat intermittents. Tour à tour, elle s’allume et elle s’éteint. Tantôt
elle éclaire d’un trait rapide son itinéraire capricieux en attirant le regard
qui ne voit plus que ténèbres en dehors de son sillage de lumière. Tantôt elle
disparaît, laissant revoir l’obscure clarté de la nuit pendant que nous nous
demandons où surgira de nouveau la froide lueur qui va vers un but incertain.
Ainsi nos pensées alternent et composent leur rythme vital ; et leur
clarté partielle, avec ses étroites limites et ses intermittences, permet, par
les éclipses mêmes, d’entrevoir l’immensité encore nocturne de la route à
parcourir.» En fait, les deux pensées ne se rejoindront pas et du fait de la
fissure qui subsiste entre elles, laissent supposer une réalité supérieure à la
pensée consciente de l'homme.
Du déchirement des deux
pensées à l'unité de l'Esprit à l'œuvre en nous
Il y a un hiatus dans la pensée entre
les deux manifestations de la pensée (noétique et pneumatique), par exemple
dans la perception sensible selon que nous la considérions du point de vue des
qualités éprouvées au fond de la conscience (pneumatique) ou des vibrations
révélées par la physique (noétique). Ou dans la conscience du sujet, selon que nous
nous placions du point de vue du moi profond (pneumatique) ou du jeu des
réactions en superficie (noétique). IL faut donc poser que notre pensée profite
d'une force qui échappe à sa connaissance explicite et à son empire, sans le
concours de laquelle rien n'irait plus.
L'Être et les êtres (Ontologie
concrète et réalisme spirituel)
La question qui se pose dans cette
deuxième partie de la trilogie (avant la « deuxième » Action c'est
le problème de la compatibilité des êtres contingents et de l'Être nécessaire.
D'où une enquête que mène Blondel auprès de la matière, des organismes vivants
et mourants, des personnes, des sociétés, de l'univers entier... Jean Lacroix
écrit que tous ces êtres ne peuvent exister qu'en se suspendant « à l'être
qui existe par soi ». Mais, « aussi ces êtres relatifs et contingents
ont une certaine réalité et consistance. La preuve, c'est qu'il est bien
possible de douter d'in objet, mais non de tous les objets : on ne nie la
partie qu'en affirmant l'ensemble ou, comme le dira la phénoménologie
contemporaine le doute particulier opère toujours sur horizon du monde.»
Blondel écrit en conséquence : « Nos premières enquêtes et nos
critiques préliminaires nous ont amenés à cette double conclusion
provisoire : rien de ce que l’usage courant nomme des êtres ne répond
pleinement à ce que la réflexion découvre d’essentiel dans notre notion
spontanée de l’être ; et cependant nous ne pouvons annihiler toutes ces
réalités qui, sans être absolument consistantes, se soutiennent les unes les
autres, au point que nous ne songeons jamais à les détruire toutes ensemble
dans notre pensée.»
La Philosophie et
l'esprit chrétien (l'idée d'une philosophie chrétienne)
L'intervention de Blondel
dans la crise moderniste
C'est après avoir longuement correspondu
avec Alfred Loisy que
Blondel, pressé aussi par ses amis se résolut à intervenir dans la crise moderniste en publiant le long article Histoire et dogme. Les lacunes philosophiques
de l'exégèse moderne, Paris, 1904. Cet article a été reproduit dans Les
premiers écrits de Maurice Blondel, PUF, Paris, 1956, pp. 149-228. La
critique de Blondel vise tant ceux que l'on appellera plus tard les intégristes
que les modernistes. Blondel appelle les premiers les extrincésistes et
les seconds les historicistes. En opposant constamment dogme et histoire tout
en cherchant une conciliation neuve.
Critique de l'apologétique
courante, l' « extrincésisme » ou la « théologite »
Pour Blondel, « Si les faits
chrétiens (histoire) et les croyances chrétiennes (dogme) coïncidaient à la
lumière d'une expérience ou d'une évidence complète; si, du moins, l'on n'avait
qu'à croire ce que d'autres ont vu et
constaté, il n'y aurait aucune place pour notre difficulté.» Geneviève Mosseray
commente ce point comme suit : « Le tort d'une apologétique, courante
à l'époque, était de déclarer que la Bible était garantie en bloc par
l'autorité divine et que dès lors l'enseignement chrétien découlait de manière
directe des textes sacrés. Blondel appelle
« extrincécisme » cette première attitude qui fait refluer, sans
intermédiaire, le dogme sur l'histoire. C'était l'attitude de certains
théologiens rigides pour qui l'argument d'autorité dispensait de toute recherche
scientifique (Dans une lettre à un ami, Blondel désigne plaisamment cette
attitude du nom de « théologite »). Mais c'était aussi l'attitude de
nombreuses personnes bien disposées, marquées par leur éducation chrétienne.»
Devant cette crise Blondel signale le
raidissement de certains qu'on appellera plus tard intégrisme,
un mot forgé dans le contexte antimoderniste selon G. Mosseray. Mais Blondel
prend aussi la mesure de la crise de l'Eglise et met en cause aussi bien ceux
qui sont troublés par « la cécité de ceux qui ferment les yeux sur les
faits » (soit les partisans de la « criticité ») que ceux (les
partisans de la « théologie »), qui sont ébranlés par «les affirmations
troublantes de ceux qui cherchent trop la lumière en eux.» Cette seconde attitude est ce que
Blondel appelle l'« historicisme ».
Critique de l'
« historicisme » ou de la « criticité »
Cette attitude, « au lieu de faire
refluer le dogme sur l'histoire (...) cherche à monter comment l'histoire et
l'histoire seule, peut rendre compte de tout le développement du christianisme.»,
les deux attitudes partageant la présupposé selon Geneviève Mosseray d'un
passage direct de l'idée au fait ou l'inverse. Pourtant, si c'est Loisy qui est
visé par Blondel, Blondel lui-même ne contestait pas l'autonomie de l'histoire
dans son ordre ni d'ailleurs la volonté d'inscrire l'histoire de l'Église dans
les lois humaines de la société, cette action divine (à supposer qu'elle
existe), ne faisant pas « nombre avec les faits qui gardent leur
intelligibilité propre.» Cependant, Blondel fut déçu par la
volonté de Loisy de s'en tenir aux faits sans s'intéresser à d'autres problèmes
comme celui de l'âme de Jésus. Il s'explique comme suit :
« L'histoire réelle est faite de vies humaines; et la vie humaine, c'est
la métaphysique en acte. Prétendre constituer la science historique en dehors
de toute préoccupation idéale, supposer même que la partie inférieure ou la
cuisine de l'histoire peut être, au sens étroit du mot, une constatation
positive, c'est, sous prétexte d'une neutralité impossible, se laisser dominer
par des partis pris - des partis pris comme tout le monde en a forcément, dès
lors qu'on n'a pas acquis une conscience réfléchie de ses propres attitudes
d'esprit ni soumis à une critique méthodique les postulats sur lesquels on
fonde ses recherches.»
Or le positivisme de
l'époque empêchait de voir la pertinence de ce point de vue, selon Geneviève
Mosseray, et interdisait aussi selon elle toute étude de la conscience que
Jésus pouvait avoir de son action. On connaît l'affirmation centrale de Loisy
: « Le Christ a annoncé le Royaume, mais c'est l'Église qui est
venue » . Mais la question de savoir si le
Christ a fondé l'Église ou s'il est seulement « l'initiateur occasionnel
d'un mouvement humanitaire.», est une question que peut certes
poser l'historien mais qu'il ne peut pas trancher définitivement.
La solution blondélienne: la
tradition créatrice ou vivante
Certes, poursuit Geneviève Mosseray, le
christianisme se présente comme un fait, mais il y a différents sens à ce
terme : succession chronologique, succession logique et continuité
organique. Pour passer de la succession chronologique aux autres significations,
« l'historien doit chaque fois faire intervenir une idée directrice qui
lui permet d'organiser ses observations et de leur donner un sens.» Il faut
trouver un intermédiaire entre le dogme et l'histoire et c'est la tradition qui
n'est pas une attitude tournée vers le passé uniquement mais aussi vers
l'avenir, qui n'est pas la simple transmission orale à côté des textes de
l'écriture, mais « l'action même des croyants qui vivent du message
évangélique.» « L'Église » poursuit
Geneviève Mosseray, « par sa tradition vivante s'assure la permanence de
l'esprit de son fondateur, dans le dynamisme de son propre mouvement spirituel
à travers l'histoire.»
Pour Blondel, cette tradition est « puissance conservatrice mais en même
temps conquérante » qui a « sans cesse à nous apprendre du nouveau
parce qu'elle fait passer quelque chose de l'implicite vécu à l'explicite connu »
et sert « à nous faire atteindre, sans passer par les textes, le Christ
réel qu'aucun portrait littéraire ne saurait épuiser ni suppléer .»
Voici donc selon G.Mosseray les trois
thèmes que Blondel développe dans Histoire et dogme :
« critique de l'extrincésisme qui cherche à confirmer directement le dogme
par l'histoire; critique de l'historicisme qui rente de réduire le christianisme
à son devenir observable; nécessité de recourir à la tradition vécue pour
comprendre le passage des faits aux idées.» Geneviève Mosseray pense que ces
trois thèmes du développement qu'elle vient d'expliciter s'applique parfaitement
à un roman qu'elle qualifie de blondélien.
Le roman blondélien de
Joseph Malègue illustre la démarche du philosophe
En 1933, paraissait le roman de Joseph Malège intitulé Augustin ou le Maître est là. Maurice Blondel a eu l'occasion d'entretenir à
propos de ce livre une abondante correspondance avec son auteur que Geneviève
Mosseray a eu l'occasion de dépouiller aux Archives Blondel de Louvain-la-neuve. Elle pense que les trois thèmes blondéliens développés dans le paragraphe
précédent se retrouvent dans une sorte de synopsis que
le héros central du livre (qui a perdu la foi avec la crise moderniste) donne
de son propre itinéraire - avec une amère ironie ! mais c'est bien la
synthèse du roman - alors qu'il se sait condamné par la tuberculose vers la fin
du livre :
« Premier tableau : la
critique positive détruit le Christianisme du jeune héros. [...] Deuxième
tableau : la critique de la critique positive détruit la critique
positive. [...] Acte trois: l'apparition de l'Ange. L'Ange reconquiert le jeune
héros.»
Premier Tableau du roman :
la perte de la foi
Augustin a d'abord fait partie de ceux -
comme bien des chrétiens de base de cette époque de l'Eglise - qui font
simplement confiance aux écritures et aux faits qu'elles rapportent par
référence à l'autorité divine (la théologite au sens de
Blondel). À la suite des «affirmations troublantes de ceux qui cherchent trop
la lumière en eux.», c'est-à-dire ces mêmes faits,
(la criticite dans le vocabulaire moqueur de Blondel), il perd
la foi - PREMIER TABLEAU du roman.
Deuxième tableau du roman :
la critique de la critique
Sans la recouvrer, il se rend compte
cependant des a priori de la critique historique positiviste
et rédige d'ailleurs à cette fin un article pour les proceedings d'Harvard intitulé Paralogismes
de la critique biblique où le héros de Malègue a l'instar de Blondel,
pense, selon G. Mosseray, que l'histoire n'atteint pas le fond de la réalité
mais « n'est jamais qu'une reconstruction faite sur la base d'hypothèses
sans cesse à réviser. On retrouve ici l'affirmation blondélienne selon laquelle
les faits observables ne s'organisent pas sans idées directrices.» - DEUXIÈME
TABLEAU du roman.
Acte trois : la
venue de l' Ange et de la tradition au sens de Blondel
Après cette critique de la critique,
Augustin cherche dans son œuvre de
philosophe, notamment dans sa thèse sur Aristote, l'idée de finalité qui « vient
corriger le mécanisme par un dynamisme spirituel.» Lors de l'examen que
présente chez lui Anne de Préfailles, jeune femme dont il tombera éperdument
amoureux et dont l'élévation spirituelle est constante, il lui cite de mémoire
un texte d'Emile Boutroux: « Lorsque l'être a atteint toute la perfection
dont sa nature est capable, cette nature ne lui suffit plus. Il a acquis l'idée
claire du principe supérieur dont cette nature l'inspirait sans le savoir.
C'est ce nouveau principe qu'il a désormais l'ambition de développer.» Pour
Geneviève Mosseray, cette idée exprimée à travers la philosophie de Boutroux,
est une allusion également aux trois ordres de Pascal (les
corps, l'esprit, la charité). Mais aussi une allusion aux étapes, hétérogènes
et solidaires (les cercles concentriques pareils à ceux que crée une pierre
immergée à la surface de l'eau), que chez Blondel l'action doit franchir
« pour rester fidèle à son élan.»
Pourtant Augustin ne se convertit pas
encore. Dans une lettre à Malègue, Blondel écrit : « la perte de sa
foi n'est-elle pas due à une imprudence, à une présomption, à une erreur de
méthode, analogues à celles que dans mes articles Histoire et dogme sur
les lacunes d'exégètes comme Loisy, j'avais essayé de définir et de proscrire ?»
Malègue lui répond que cette remarque était judicieuse et que la faute
d'Augustin avait été de travailler seul, ce qui fait qu'il ne
pouvait revenir « qu'avec quelqu'un...», soit avec un Ange :
G. Mosseray montre que l' Ange, ce n'est pas seulement son ami de
l'École Normale, Largilier, mais d'une certaine façon ce que Blondel appelle
"la tradition, soit l'expérience de la foi vécue chez bien d'autres
croyants rencontrés par Augustin Méridier.
Certes parmi ces croyants, le plus
voyant dans l'intrigue romanesque, c'est un ami et compagnon d'Augustin du
temps de sa jeunesse studieuse à l'École Normale supérieure, Largilier (qui,
lui-même, assistant aux douloureux débats intérieurs d'Augustin lui avait
rappelé un mot connu selon lequel Dieu n'abandonne pas ceux qui le cherchent,
il enverrait plutôt un Ange). Mais, pense, G. Mosseray,
« Largilier n'est en définitive que le représentant d'une foule de témoins
qui n'ont cessé d'entourer le héros au cours de sa vie. Si l'on veut trouver
dans le roman l'équivalent de la « tradition » avancée par Blondel,
c'est aussi dans la description des personnages secondaires qu'il faut la
chercher», en particulier Anne de Préfailles, la
mère et la sœur du héros en lesquelles Augustin expérimentent sa « vieille
idée » selon laquelle « Quelques âmes ne perdent jamais le sentiment
de la paternité de Dieu [...] Sa vieille idée que le seul terrain d'exploration
directe du phénomène religieux est l'âme des saints lui parut insuffisante. Les
âmes plus modestes comptaient aussi, les classes moyennes de la sainteté.
Ce retour à la foi c'est le TROISIÈME
TABLEAU du roman ou l' ACTE TROIS pour reprendre les
mots d'Augustin se décrivant ironiquement.
Œuvres
L'Action - Essai d'une critique de la
vie et d'une science de la pratique,
1893, P.U.F, 1950.
Lettre sur les exigences de la pensée
contemporaine en matière d'apologétique et sur la méthode philosophique dans
l'étude du problème religieux,
Annales de Philosophie Chrétienne, janv.-juillet 1896.
Histoire et dogme, les lacunes philosophiques
de l'exégèse moderne, Impr. Librairie de Montligeon, 1904.
Dans cette série de trois articles publiés en janvier-février 1904 dans la
revue La Quinzaine, Blondel répond à quelques problèmes soulevés
par L'Evangile et l'Église d'Alfred Loisy, , ouvrage paru l'année précédente. Il y
renvoie dos à dos l'"extrinsécisme" (Utilisation de la Bible comme si
les faits bibliques étaient extrinsèques à leur signification; attitude
fréquente chez les théologiens catholiques de l'époque) et l'"historicisme"
(Majoration de l'importance de la science historique dans la foi chrétienne).
L'itinéraire philosophique de Maurice
Blondel (Propos recueillis par F.Lefèvre),
Spes, Paris, 1928.
Le problème de la philosophie catholique, Paris, Bloud & Gay, 1932
La Pensée Tome 1 - La genèse de la
pensée et les paliers de son ascension spontanée, Félix Alcan, PUF, 1934.
La Pensée Tome 2 - les responsabilités
de la pensée et la possibilité de son achèvement, Félis Alcan, PUF, 1934.
L'Être et les êtres - Essai d'ontologie
concrète et intégrale, 1935, P.U.F, 1963.
L'Action. vol. I: Le problème des causes
secondes et le pur agir, Paris, Alcan,
1936. Nouvelle édition P.U.F., Paris, 1949
L'Action. vol. II: L'Action humaine et
les conditions de son aboutissement,
Paris, Alcan, 1937. Nouvelle édition Paris : P.U.F., 1963. Ce volume est
une version revue et corrigée de l'Action de 1893
Lutte pour la civilisation et
philosophie de la paix, Paris,
Flammarion, 1939. Nouvelle édition 1947
La philosophie et l'Esprit chrétien, 2 vol, Paris, P.U.F., 1944/46. Nouvelle édition du
vol. I, 1950
Exigences philosophiques du
christianisme, Paris, P.U.F., 1950
Lettres philosophiques, Paris, Aubier, 1961
Carnets intimes, Tome 1 (1893-1894), Cerf Paris, 1961 et Tome 2
(1894-1949), même édition, Paris, 1966.
Notes d'Esthétique (1878-1900), établies, présentées et annotées
par Sante Babolin, Rome, P.U.G., 1973, 349 p.
Les Œuvres complètes de Maurice Blondel
sont en cours de publication chez P.U.F. :
Volume 1: 1893: Les deux thèses.
Texte établi et présenté par Claude Troisfontaines. - 1995.
Volume 2: 1888-1913: La
philosophie de l'action et la crise moderniste. Texte établi et présenté
par Claude Troisfontaines. - 1997.
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Blondel, Éditions Spes, 1929.
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Blondel, Un Réalisme Spirituel, collection Humanités, éd. Parole Et
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Cointet, Maurice Blondel et la philosophie française, colloque tenu
à Lyon, 24-26 janvier 2005, Parole et silence, Paris, 2007,
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L'Action de Maurice Blondel, 1893,
relecture pour un centenaire,
Éditions Beauchesne, 1992
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Jean Leclercq, Maurice Blondel
lecteur de Bernard de Clairvaux, Editeur : Lessius, Collection :
donner raison, 2001
Paul Archambault, Vers un
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Bloud & Gay, 1928
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Maurice Blondel, dignité du politique et
philosophie de l'action, Editeur,
Parole Et Silence, 2006.
L'action, une dialectique du salut,
colloque du centenaire, Aix-en-Provence, mars 1993, Editions Beauchesne, 1994,
Xavier Tilliette Philosophies eucharistiques de Descartes à
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de l'Action catholique : Blondel-Maritain, éd. Du Cerf.
J. Tonquedec, Deux études sur
"la pensée" de M. Blondel, Editions Beauchesne, 1934.
Marc Leclerc, Blondel, entre
l'Action et la Trilogie, Actes Du Colloque International sur les écrits
intermédiaires De Maurice Blondel, tenu à l'Université Grégorienne, à Rome du
16 Au 18 novembre 2000, Collection Donner Raison, Editions Lessius, 2003.
Alain Létourneau, L'herméneutique
de Maurice Blondel, son émergence pendant la crise moderniste, Les Editions
Fides, 1998,
Lecture blondélienne de Kant dans les
principaux écrits de 1893 à 1930, vers un dépassement de l'idéalisme
transcendental dans le réalisme intégral de
Diogène Bidéri, éd. Pontificia Università Gregoriana, 1999,
La maison où habitait Maurice Blondel, rue Roux-Alphéran
L'Eglise Saint-Jean-de-Malte à Aix-en-Provence (la paroisse de Maurice Blondel)
Source : Wikipédia
Publication : Bibliothèque diocésaine d'Aix et Arles