L’Evangile
selon Yong Sheng
Dai Sijie
Paris,
Gallimard, 2019. 438 pages.
Un très
beau roman qui relate l’histoire vraie, même si elle est quelque peu romancée.
C’est l’histoire d’un des premiers pasteurs chinois dans la Chine d’avant l’arrivée
du communisme au pouvoir jusqu’à la fin de la Révolution culturelle des années
1970. Après une conversion au christianisme Yong Shen devient pasteur. Son
destin va basculer quand il apprend la trahison de sa femme puis la montée en
puissance des communistes. C’est ainsi
que l’on traverse l’histoire de la Chine ; si c’est l’histoire d’un
chrétien dans la Chine communiste c’est aussi l’histoire d’un homme trahi par
sa femme, par sa fille et enfin par son petit fils. Une histoire de trahison
mais aussi fait de pardons jusqu’à l’ultime sacrifice.
Quatrième
de couverture
Dans un
village proche de la ville côtière de Putian, en Chine méridionale, au début du
vingtième siècle, Yong Sheng est le fils d’un menuisier-charpentier qui
fabrique des sifflets pour colombes réputés. Les habitants raffolent de ces
sifflets qui, accrochés aux rémiges des oiseaux, font entendre de merveilleuses
symphonies en tournant au-dessus des maisons. Placé en pension chez un pasteur
américain, le jeune Yong Sheng va suivre l’enseignement de sa fille Mary,
institutrice de l’école chrétienne. C’est elle qui fait
naître la vocation du garçon : Yong Sheng, tout en fabriquant des sifflets comme son père, décide de devenir le premier pasteur chinois de la ville. Marié de force pour obéir à de vieilles superstitions, Yong Sheng fera des études de théologie à Nankin et, après bien des péripéties, le jeune pasteur reviendra à Putian pour une brève période de bonheur. Mais tout bascule en 1949 avec l'avènement de la République populaire, début pour lui comme pour tant d’autres Chinois d’une ère de tourments – qui culmineront lors de la Révolution culturelle.
naître la vocation du garçon : Yong Sheng, tout en fabriquant des sifflets comme son père, décide de devenir le premier pasteur chinois de la ville. Marié de force pour obéir à de vieilles superstitions, Yong Sheng fera des études de théologie à Nankin et, après bien des péripéties, le jeune pasteur reviendra à Putian pour une brève période de bonheur. Mais tout bascule en 1949 avec l'avènement de la République populaire, début pour lui comme pour tant d’autres Chinois d’une ère de tourments – qui culmineront lors de la Révolution culturelle.
Dai Sijie, dans ce nouveau roman, renoue avec la veine autobiographique de son premier livre, Balzac et la petite tailleuse chinoise. Avec son exceptionnel talent de conteur, il retrace l’histoire surprenante de son propre grand-père, l’un des premiers pasteurs chrétiens en Chine.
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Inspiré par son grand-père, Dai Sijie compose, en français, une vaste
fresque romanesque et embrasse l’histoire mouvementée de l’empire du Milieu.
Après trente ans passés en France, l’écrivain et réalisateur, Dai Sijie
est retourné en Chine sur les pas de son grand-père, l’un des premiers pasteurs
protestants de l’empire du Milieu dont il voulait depuis longtemps raconter
l’histoire. Il l’a certes romancée, pour les besoins du genre, mais sans trop
s’en écarter, ni la travestir.
Yong Sheng était né à Putian, dans la province côtière du Fujian. Son
père fabriquait des « sifflets pour colombe », objets artisanaux
sophistiqués que l’on fixait à la queue des oiseaux et qui, pendant leur vol,
produisaient « un concert polyphonique, une symphonie
flamboyante ». Il avait nommé son fils Yong Sheng (« le
son »). Un code d’honneur régissait la rivalité entre ces chefs
d’orchestres colombophiles. Malheur à celui qui l’enfreignait.^
D’une stupeur naît sa vocation
En ce temps-là, des baptistes américains, conduits par le pasteur Gu,
étaient venus évangéliser ces villageois du bout du monde. Yong Sheng avait
découvert, un soir, derrière une porte dérobée du temple, la statue d’un homme
crucifié auquel son institutrice, Mary, la fille du pasteur, offrait le lait de
son sein. De cette stupeur naîtra sa vocation.
Marié encore adolescent, bientôt père, Yong Sheng, fils de charpentier,
comme Jésus, initié aux symboles christiques, fut désigné pour devenir le
premier pasteur chinois de Putian. Pendant un mois, il traversa la Chine, avec
un œuf pour toute pitance, afin de rejoindre la faculté de théologie de Nankin.
Dans cet exil lointain, Yong Sheng avait reproduit un dessin fascinant
de précision, de Léonard de Vinci, d’un fœtus dans le ventre d’une femme.
C’était son seul bien. Il le portait sur lui. Quand il apercevait un
cerf-volant, il imaginait le fil invisible qui le reliait à son enfant. Mais
une lettre laconique de son père le précipita au bord du suicide.
Au cœur de la tourmente de la Longue Marche
La grande Histoire allait l’arracher à sa déréliction. Au cœur de la
tourmente de la Longue Marche, apprenant que le pasteur Gu était prisonnier de
l’Armée rouge, il s’élança à la recherche de Mary. Chaque fois qu’il croyait
s’en rapprocher, elle venait de s’évaporer. Dai Sijie égare volontairement le
lecteur sur le sens de cette quête, révélé dans une scène dramatique, d’une
grande puissance, où tout se joue en quelques minutes…
Revenu dans son village, seul et désespéré, Yong Sheng découvre sa
fille. Il rebâtit la chaumière familiale dévastée en temple protestant, puis en
orphelinat. Il peint longuement, avec un luxe de détails, une fresque colorée
inspirée de la Bible, l’arche de Noé, où les oiseaux occupent une place de
choix. Mais l’Armée populaire de libération l’arrête et le torture. Yong Sheng
entame son chemin de croix.
Construite en quatre parties avec des sauts dans le temps, cette
ambitieuse saga romanesque embrasse un siècle de l’histoire mouvementée de la
Chine au cours de laquelle le peuple n’aura pas été à la fête. Et moins encore
ceux qui s’affichaient chrétiens, fidèles à leur foi. Dans les années 1950,
l’Armée rouge prend du galon et ne vénère que Mao. La révolution en action
broie les paysans, mate les intellectuels. Les réfractaires à l’ordre nouveau
sont balayés, rayés, réduits à néant.
Le parfum ensorcelant d’un arbre mythique
Devenu ouvrier dans un pressoir à huile, semblable à l’instrument de
torture des enfers chinois selon les représentations populaires, Yong Sheng est
soudain humilié par ses ouailles, trahi par sa fille, jeté en pâture à la meute
des villageois qui lui crachent à la figure et le frappent. Agenouillé, une
plaque de ciment autour du cou, désigné, stigmatisé comme « agent
secret de l’impérialisme, propagateur d’opium intellectuel, droitier
irrécupérable ».
Cible du déchaînement de cette violence que les foules haineuses et
hurlantes, au nom de causes qui les dépassent, et sans raison intime, savent
mettre en œuvre et dont elles retirent une sombre jouissance, vite amère,
passée la phase de démente exaltation.
Descendant symbolique de Judas, l’un de ses anciens tortionnaires, pris
de remords, sur le point de devenir son gendre, utilisera in extremis pour le
tirer d’affaire le parfum ensorcelant d’un arbre mythique, l’aguilaire. C’est
dans ce climat, prélude et avant-goût de ce que sera l’effroyable Révolution
culturelle, que réapparaît Mary… Le destin de Yong Sheng n’est pas achevé. Pas
encore. Nous le suivrons jusqu’au début du XXIe siècle, jusqu’à
un épilogue imprévisible.
Du grand romanesque pour un parcours christique
Écrit en français, L’Évangile selon Yong Sheng est
l’hommage magnifique et prolifique de Dai Sijie, témoin dévasté à 12 ans
des exactions que subit son grand-père. Au lieu de le venger comme il en a
longtemps nourri le projet, il transfigure son parcours christique dans un
roman-somme poétique, sensuel, charnel, odorant, bercé par la musique des
oiseaux, le chant de la terre, la polyphonie de la nature, les fragrances des
plantes et des arbres. Vaste fresque historique d’une génération aventureuse,
pris dans les convulsions sanglantes et sanguinaires du maoïsme. Un livre ample
où palpitent le cœur et le sang des personnages. Du vrai, du grand romanesque,
du souffle, de l’inspiration et de beaux personnages.
Dai Sijie renoue avec la veine autobiographique de Balzac et la
Petite Tailleuse chinoise, qui nous enchanta quand il parut. Il réussit à
mêler, avec art et délicatesse de tissage, la cruauté de temps troublés avec du
merveilleux, des épisodes fantaisistes, voire comiques, pour exorciser le
traumatisme de son enfance et se comporter, au fond, comme son grand-père qui,
jamais, n’eut de haine dans son cœur. Imprégné du message évangélique, il
pardonnait à ceux qui l’avaient offensé.
https://www.la-croix.com/Culture/Livres-et-idees/LEvangile-selon-Yong-Sheng-Dai-Sijie-2019-03-07- Dai
Sijie, entre deux mondes
Portrait de l’auteur
L’écrivain et réalisateur chinois a connu, adolescent, les camps de
rééducation. L’auteur à succès de Balzac et la petite tailleuse
chinoise écrit directement en français.
Jean-Claude Raspiengeas,
« J’avais douze ans. En revenant de l’école, j’ai vu sur la place
du village mon grand-père, un pasteur protestant, que j’aimais tant, un homme
bon et généreux, agenouillé, une plaque de ciment autour du cou, recevant
insultes et crachats de la foule. Je reconnaissais nos voisins et les fidèles
du temple qui le frappaient. Sa fille l’avait dénoncé. Pendant longtemps, j’ai
pensé que je le vengerais.
Contraint de cohabiter sous le même toit avec sa fille, je ne lui ai
plus jamais adressé la parole. Après des mois de détention, quand mon
grand-père est revenu, il s’est assis à table, sans la moindre allusion. Il
parlait normalement à sa fille, comme si rien ne s’était passé. J’ai fini par
comprendre et accepter sa grandeur d’âme : le
pardon et l’amour sont supérieurs à la haine et la vengeance. »
Dans les salons de Gallimard, son éditeur, Dai Sijie, 65 ans, parle
un français mâtiné d’accent chinois, appris chez nous à la fin des années 1970,
quand les autorités ont expédié en France ce brillant étudiant en histoire de
l’art chinois. « J’avais presque trente ans et je ne possédais de
votre langue que quelques rudiments. À l’université, je passais des journées
entières à ne rien comprendre. J’ai dû m’accrocher. »
Il apprend le français, à 30 ans, en France
Adolescent pendant la terrible Révolution culturelle, Dai Sijie,
« coupable » d’être fils de médecin, a été déporté en camp de
rééducation, dans les montagnes du Sichuan, loin de chez lui. Il n’en est sorti
que trois ans plus tard.
En France, après un passage à Bordeaux, Dai Sijie a intégré l’IDHEC, la
meilleure école de cinéma en France. « Nous devions écrire en
permanence des scénarios et tourner des courts métrages. Mon premier film, Chine
ma douleur, m’a valu d’être banni, avec interdiction de rentrer dans mon
pays jusqu’en 1995. Mes deux films suivants ont été des échecs. Je pensais que
c’était fini pour moi. »
Dai Sijie se lance alors dans l’écriture en français d’un « petit
roman, modeste, sans ambition littéraire ». L’histoire est celle de sa
génération, découvrant en secret la littérature française et lui vouant un
culte. Quand Balzac et la Petite Tailleuse chinoise paraît, la
critique s’emballe. Bernard Pivot, à « Apostrophes », le
recommande vivement. Les ventes s’envolent (250 000 exemplaires, traduit en 25
langues, sauf en chinois). Le film qu’en tire son auteur est aussi un succès.
Il recevra même le prix Femina pour son livre suivant.
Si Dai Sijie a pu, comme son aïeul persécuté, se libérer du besoin de
vengeance, il le doit à ce grand-père qui, par son exemple, lui a démontré la
puissance du pardon. « Il m’enseignait que tout être humain avait une
âme, quelque chose de plus grand que l’esprit, de plus intime que le corps.
Cette croyance soutient toute ma vie. J’ai aussi écrit ce livre pour témoigner
de l’existence de l’âme. »
La Chine dans une frénésie de consommation
Aujourd’hui, Dai Sijie qui avait quitté un pays prohibant la propriété
privée, découvre une Chine capitaliste, prise dans une frénésie de
consommation, exaltant l’enrichissement personnel. « C’est très
fragile, soupire-t-il. Nos valeurs millénaires ont disparu.
Seule la famille tient encore. Et la main de fer du Parti communiste. »
Il constate aussi la folie autour des nouvelles technologies. « Un
robot peut toujours gagner une partie d’échecs, admet-il. Mais
jamais il ne pourra écrire un roman. Il lui manquera d’éprouver des sentiments,
de connaître la peine et la joie, d’avoir le goût des mots pour forger
un style personnel, intime. »
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Le parcours de Dai Sijie
Né le 2 mars 1954 à Putian (sud-est de la Chine).
1971. Pendant la Révolution culturelle, il passe trois ans en camp de
rééducation, dans les montagnes du Sichuan.
1976. Il suit études sur l’histoire de l’art chinois à l’Université de
Pékin. 1984. Études de cinéma à Paris à l’IDHEC.
► Ses films
1989. Chine ma douleur, prix Jean-Vigo
1994. Le Mangeur de lune
1998. Tang le onzième
2002. Balzac et la Petite Tailleuse chinoise
2006. Les Filles du botaniste
2016. Le Paon de nuit
► Ses livres
2000. Balzac et la Petite Tailleuse chinoise, plusieurs
fois primé.
2003. Le Complexe de Di, prix Femina.
2007. Par une nuit où la lune ne s’est pas levée.
2009. L’Acrobatie aérienne de Confucius.
2011. Trois vies chinoises.
2019. L’Évangile selon Yong Sheng.
Publication : Bibliothèque diocésaine d'Aix et Arles
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