Saint Paul et les femmes
Paul et les
femmes : Ce qu'il a écrit, ce qu'on lui a fait dire
Michel Quesnel
Paris, Médiaspaul, 2021. 142 pages.
On fait souvent un faux-procès à l'apôtre Paul en le taxant
de misogynie. Dans cet ouvrage, le professeur Michel Quesnel reprend le dossier
et fait un inventaire exhaustif des propos de Paul sur les femmes et de ses
relations avec elles, tels qu'ils apparaissent dans le Nouveau Testament. Ses
conclusions sont claires : certes, les lettres authentiques de Paul contiennent
sur les femmes des propos que nous n'écririons plus. Mais ils sont conditionnés
par la culture ambiante ; et il s'avère surtout que, dans ce domaine, Paul est
nettement plus ouvert que beaucoup de ses contemporains. Michel Quesnel
poursuit son analyse en montrant que, par la suite, des sociétés misogynes ont
fait de ses textes des lectures misogynes, déjà dans d'autres livres du Nouveau
Testament, puis au cours des siècles suivants. L'auteur examine trois corpus de
textes antiques concernant Paul (les épîtres authentiques, les épîtres
pseudépigraphes, les Actes sur Paul) et lui rend justice : « A propos de ce
qu'il pensait des femmes, l'Apôtre des nations a été victime des préjugés de
ses lecteurs pendant une vingtaine de siècles ». Et, en faisant une courte
excursion dans Paul après Paul, de le montrer à travers le regard des Pères de
l'Église mais aussi dans des traductions récentes du Nouveau Testament. Le
sous-titre de l'ouvrage prend alors tout son sens.
Les femmes de
Saint Paul
Chantal Reynier
Paris, Le Cerf, 2020. 271 pages.
Misogyne Saint Paul ? Pourtant les Actes ne cessent de
relater ses relations amicales avec les femmes qu'il a rencontrées lors de son
périple apostolique. Ce sont Chloé, Phoebé, Evodie et les autres de ses
collaboratrices que Chantal Reynier, enjambant, les siècles, est partie
interviewer. Une enquête-vérité captivante et révolutionnaire.
Quelle
est la place des femmes dans l'Église ? Face à cette question brûlante, il est
temps d'en finir avec les clichés sur saint Paul qui les condamnerait au silence,
au voile et à la soumission. Au contraire, au cours de ses voyages
missionnaires, l'évangélisateur des Nations ne cesse de s'adresser aux femmes et de
s'entourer de femmes, faisant d'elles ses collaboratrices au point d'employer à
leur sujet les titres d'apôtre et de diacre !
Il fallait la science de Chantal Reynier pour partir à la découverte, par-delà
les lieux et les temps, de Phoibè, Lydie, Chloé, Maria, Persis, Évodie,
Syntychè, Prisca, Julia. Pour les rencontrer, aux quatre coins de la
Méditerranée, dans leur activité, leur métier, leur foyer, leur foi. Et pour
chacune d'elles raconter en son nom propre " son " Paul. Que
disent-elles de lui ? Avant tout, la relation de dignité et de liberté qu'il
revendique avec elles.
Pour la première fois, la parole est aux " femmes de Paul ". Écoutons
le message révolutionnaire, parce que réfractaire aux idéologies à la fois
hyper-patriarcales ou ultra-féministes, qu'elles nous transmettent dans ce
livre exceptionnel de savoir et de sensibilité.
Les lettres de Paul
Les
lettres de Paul ont été écrites pour qu’il puisse rester en contact avec les
communautés qu’il a fondées et qu’il voulait visiter (Rome). Elles ont été lues
par ces communautés qui les ont gardés et copiés pour que d’autres puissent les lire. On les a rassemblés et elles font presque
que la moitié du contenu du Nouveau Testament. Ces lettres sont assemblées de
la plus longue (Romains) à la plus courte (Philémon). Les écrits les plus
anciens du Nouveau Testament sont les lettres de Paul. La première serait la
lettre aux Thessaloniciens écrite autour de 51 apr. J.-C.
L’authenticité
des lettres attribuées à Paul pose question. Voici les lettres généralement
considérées comme étant de Paul en ordre chronologique:
La
première lettre aux Thessaloniciens
La
première lettre aux Corinthiens
La
seconde lettre aux Corinthiens
La
lettre aux Philippiens
La
lettre à Philémon
La
lettre aux Galates
La
lettre aux Romains
Les
avis des exégètes sont encore partagés, mais la majorité d’entre eux croient
que les lettres aux Colossiens, Éphésiens ainsi que la deuxième lettre aux
Tessaloniciens auraient été écrite par un disciple de Paul après la mort de ce
dernier. Enfin, il est généralement admis que les lettres à Timothée et la
lettre à Tite ne sont pas authentiques.
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Les femmes de saint Paul
Les
lettres de saint Paul révèlent le visage des femmes qui ont activement
collaboré à la diffusion de l’Évangile. Paul reconnaît leur dignité et leur
confie des responsabilités égales à celles des hommes. Elles bénéficient d’une
liberté inconnue dans le milieu juif et dans la société gréco-romaine.
Chantal
Reynier : Je me
suis appuyée sur les lettres de Paul, bien sûr, qui sont des témoignages de
première main sur une période restreinte ; sur les Actes
des apôtres, qui sont une mine de renseignements sur le milieu paulinien ; sur la littérature antique (Ovide, Plutarque)
pour comparer ce que les auteurs disent des femmes (matrones vertueuses ou
séduisantes courtisanes…) avec la façon dont Paul en parle. L’archéologie nous
renseigne aussi sur les conditions de voyage, les réalités économiques,
l’organisation des maisons… Les travaux récents d’historiens, comme ceux de
Nicole Loraux (2), m’ont permis de mieux situer le rôle des femmes à l’époque
(3).
Quel
est le profil des collaboratrices de Paul ?
Il
n’y a pas de profil type mais une grande variété. Certaines sont mariées : Prisca est l’épouse d’Aquila, Julia de
Philologue, Junia d’Andronikos. Il est intéressant de noter que Paul cite le
nom de la femme en premier, ce qui est contraire aux usages. Cela traduit
l’importance de leur rôle dans les premières communautés. Il y a aussi des
veuves comme la mère de Rufus. Des célibataires :
sans doute la sœur de Nérée. Des sœurs : probablement
Tryphaine et Tryphose. Le premier cercle des collaboratrices de Paul est
constitué de Phoibè, Prisca, Junia et Lydie. On retrouve la même organisation
concentrique avec les collaborateurs masculins. Comme Jésus, Paul est
accompagné par un groupe de femmes.
Quel
est leur milieu social et religieux ?
Là
aussi, il y a une grande variété. Lydie est une marchande de pourpre qui fait
du commerce entre la Grèce et la Turquie actuelle. Elle accueille Paul et ses
compagnons dans sa maison, cela signifie qu’elle est plutôt aisée (seulement 3 % de la population vit dans une maison). Nympha est
une femme d’affaires autonome. Chloé et Phoibè, travaillent dans
l’import-export. Ces femmes voyagent pour des motifs professionnels mais aussi
pour la mission. La plupart sont issues d’Asie mineure. Certaines proviennent
d’un milieu juif comme Prisca ou Junia, la mère de Rufus, Eunice, Loïs… En
revanche, Lydie est une païenne qui fréquente les milieux juifs de Phillipes.
Quels
sont leurs points communs ?
Elles
sont actives, généreuses et engagées dans la mission. Ce sont des femmes fortes
qui n’hésitent pas à traverser les mers, à parcourir les viae de
l’empire. À cause de leur foi, elles traversent des épreuves. Junia, Evodie et
Syntichè ont, dit Paul, « combattu pour
l’Évangile » – ce combat
est à prendre au sens métaphorique mais aussi réel : Prisca a failli être décapitée à Éphèse…
Quel
type d'aide apportent-elles à Paul ?
Elles
lui offrent l’hospitalité. Lydie, une fois convertie, héberge Paul et ses
compagnons dans sa maison de Philippes. À Corinthe, Prisca accueille Paul et
lui donne du travail dans sa boutique-atelier. Grâce à ces femmes, l’apôtre est
en contact avec beaucoup de monde (famille, esclaves, clients) auprès desquels
il témoigne du Christ ressuscité. Elles sont également des sources
d’information précieuses sur les jeunes communautés chrétiennes. Quand des
scandales éclatent au sein de la communauté de Corinthe, ce sont « les gens de Chloé »
qui remontent l’information à Paul et le décideront à écrire. Elles informent
aussi Paul sur la vie des différentes cités. Le réseau de Phoibè s’étend à Rome
mais aussi en Espagne. C’est à elle que Paul confie la tâche de préparer une mission
dans la péninsule Ibérique.
Quel
rôle jouent-elles au sein des communautés ?
Elles
ouvrent la porte de leur maison aux assemblées chrétiennes, assumant ainsi un
rôle d’union et de rassemblement. Elles guident la réflexion et la prière. À
Rome, Phoibè visite les différentes maisonnées pour lire, expliquer et
commenter la lettre de Paul. Dans l’Antiquité, on lit à voix haute. Expliquer
ce type de lettre n’est pas à la portée de tout le monde, il faut être cultivé.
Paul demande à Prisca d’enseigner à Apollos la foi au Christ ressuscité. Elle
fabrique et vend des tentes et Apollos est un grand intellectuel d’Alexandrie ! Ces pratiques vont totalement à l’encontre des us
et coutumes gréco-romains : les femmes
n’ont pas le droit d’enseigner ni de s’exprimer en public. Elles n’assument
aucune fonction religieuse : elles n’ont
pas même le droit de moudre la farine pour les sacrifices, ni de toucher les
viandes sacrées, ni d’assister à la cérémonie. Leur rôle se résume à tisser la
laine et à élever les enfants. Dans le judaïsme, la femme est cantonnée à la
maison, elle ne participe pas aux pèlerinages et elle n’assume aucune fonction
synagogale. On mesure la révolution qu’introduit Paul ! Il les libère et les fait sortir de leur maison.
Elles bénéficient d’une extraordinaire liberté par rapport à leurs
contemporaines. Leur parole a une valeur. Elles s’adressent aussi bien aux
hommes qu’aux femmes ou aux esclaves.
Y
a-t-il une différence de traitement entre les collaborateurs et les
collaboratrices de Paul ?
Non,
il les met sur un pied d’égalité. On relève cependant que ses collaboratrices
n’accompagnent pas Paul dans ses voyages, sauf Prisca. Elles ne portent pas la
collecte et ne vont pas à Jérusalem.
Quelles
relations Paul entretient-il avec ces femmes ?
ll
les traite d’égal à égal. Il les laisse libre, ne leur impose aucun signe
distinctif, ni style de vie ni domaine réservé (la maison). Il sait leur
exprimer son affection, par exemple, en appelant Persis « bien aimée ». Il leur fait confiance. Quand
elles partent en mission, il ne leur adjoint pas un homme pour les surveiller.
Il ne leur demande pas de se retirer de la vie quotidienne. Cette façon de
considérer les femmes découle de sa foi dans le Christ ressuscité : hommes et femmes sont tous fils et filles de
Dieu, aimés par le Père. Dans la lettre aux Galates (3, 26-28), il affirme : « Tous,
dans le Christ Jésus, vous êtes fils de Dieu par la foi. En effet, vous tous
que le baptême a unis au Christ, vous avez revêtu le Christ ; il n’y a plus
ni juif ni grec, il n’y a plus ni esclave ni homme libre, il n’y a plus l’homme
et la femme, car tous, vous ne faites plus qu’un dans le Christ Jésus. » Quand des
tensions apparaissent entre Evodie et Syntichè, il n’hésite pas à les
reprendre, non pas en tant que femmes, mais en tant que disciples du Christ.
Après
la mort de Paul, est-ce que la place des femmes change ?
La
force, l’audace et la foi de Paul ont permis de traiter à égalité ses collaborateurs
et collaboratrices. Après lui, le poids de la société patriarcale reprend le
dessus. Dans la première lettre à Timothée, rédigée probablement par des
disciples de Paul, le silence est imposé aux femmes. Cela va même plus loin.
Dans les manuscrits, les copistes réduisent la place des femmes en
masculinisant leur prénom, Junia devient Junias. Il faut attendre 1993 pour
redonner son vrai genre à Junia ! Le même sort
est réservé à Nympha de Laodicée. L’expression « les
femmes premières » devient « la femme des
premiers » (notables de
la ville) pour minimiser leur rôle et leur influence. Ces réajustements sont
parfois subtils. Les traducteurs du texte modifient les salutations. Dans
l’épître de Philémon, Paul s’adresse « à Philémon et à Apphia » ; cela devient sous la plume des traducteurs « à Philémon, avec Apphia ». Dans les Actes des
apôtres, les traducteurs indiquent que Lydie a « contraint » Paul à demeurer chez elle. Or, en grec, c’est le
même verbe qui est employé par les disciples d’Emmaüs pour « inviter » leur
compagnon de route à rester avec eux…
Que
faut-il retenir de l’attitude de Paul vis-à-vis des femmes ?
Il
faut tout d’abord veiller à lire les textes de Paul en les resituant dans leur
contexte. L’apôtre nous dit l’égalité de l’homme et de la femme. Dans une
société totalement asymétrique, Paul reconnaît la dignité de la femme, comme il
reconnaît celle de l’esclave ou de l’enfant. À travers les lettres de Paul,
nous découvrons le visage concret des femmes qui ont participé à la diffusion
du christianisme. Ce sont des femmes plongées dans le monde qui sont à l’écoute
des besoins de leurs contemporains. Paul les appelle collaboratrices, au sens
étymologique, elles œuvrent avec lui.
Quels
enseignements peut-on tirer pour l’Église d'aujourd'hui ?
Pour
réfléchir à la place des femmes dans l’Église, il faut revenir à la source
biblique et nous laisser interpeller par elle. La conduite des communautés
n’est ni une promotion, ni une course aux honneurs, c’est un service inspiré de
la figure du Christ serviteur. Ce n’est pas un modèle de domination.
Malheureusement, aujourd’hui, gouverner est entendu comme « être au-dessus des autres ». Paul donne aux femmes de prendre une part active
aux décisions et à la conduite des communautés. Elles exercent des
responsabilités identiques à celles des hommes. Nous voyons les femmes
enseigner, conduire la prière, proclamer la parole et la commenter.
Alors,
saint Paul, misogyne ou féministe ?
Ni
l’un ni l’autre. Misogyne, il ne l’est pas, on vient de le voir. Paul est, à la
suite du Christ, le libérateur de la femme en lui reconnaissant sa pleine
dignité d’enfant de Dieu. Il reconnaît son autonomie, il lui donne la parole,
il la place à égalité avec l’homme. Dans la fameuse lettre aux Éphésiens (« femmes soyez soumises à vos maris… »), il
s’adresse à elles directement, sans passer par le mari, en contradiction totale
avec les usages de l’époque. Il choisit des collaboratrices parmi elles, il
leur donne le nom d’« apôtre » (Junia), de diakonos (« serveur », Phoibè), de
collaboratrice (Prisca). Paul considère la femme comme une adulte à part
entière. Il ne cherche pas à instaurer une parité ou à répondre à des
revendications féministes. Il reconnaît le rôle de la femme dans l’annonce de
l’Évangile. On ne se rend pas compte de la liberté qu’instaure le
christianisme. Paul a ouvert un réel espace aux femmes qu’elles n’ont jamais eu
auparavant, que ce soit dans la société païenne ou dans le monde juif. Il met
ses pas dans ceux du Christ qui a été le premier à traiter les femmes d’égale à
égal. En s’inspirant de Jésus, il en tire toutes les conséquences.
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(1)
Elle a également abordé les passages des lettres de Paul sur les femmes
dans Comment l’évangile a changé le
monde (éd. du Cerf).
(2)
Auteure, entre autres, de La
Grèce au féminin (Les belles lettres) ; Les
expériences de Tirésias : le féminin et l’homme grec (NRF
essai Gallimard) ; Les Enfants d’Athéna. Idées
athéniennes sur la citoyenneté et la division des sexes (Points
Seuil).
(3)
Les recherches de Marie-Françoise Baslez sur saint Paul sont particulièrement
utiles. M.-F. Baslez, Saint
Paul, artisan d’un monde chrétien, Fayard.
Recueilli
par Gilles Donada
https://croire.la-croix.com/Definitions/Bible/Saint-Paul/Paul-l-Apotre-qui-estimait-les-femmes
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