vendredi 14 novembre 2014

Quelques jalons pour une bibliothèque monastique

Le Seigneur dit dans son Évangile : celui qui écoute mes Paroles et les accomplit, je le comparerai à un homme qui a bâti sa maison sur la pierre. La découverte de la Parole du Christ nécessite la lecture approfondie de la Bible, la lectio divina, pratiquée dès les origines du monachisme. Dans la vie de saint Antoine par saint Athanase, on peut lire : il était si attentif à la lecture qu’il ne laissait rien tomber à terre des paroles des Écritures mais les retenait toutes et que la mémoire lui tenait lieu de livres. Nous, qui malheureusement ne possédons plus cette mémoire avons d’autant plus besoin de revenir à la source qu’est l’Écriture. Aussi, pensons-nous que la Bible doit être mise en évidence dans une bibliothèque monastique.
Il est appréciable de posséder la Bible dans les langues anciennes, en hébreu pour l’Ancien Testament, en grec et en latin pour le Nouveau Testament. Cela entraîne inévitablement la nécessité de posséder quelques grammaires et quelques dictionnaires de ces mêmes langues. De plus, si l’on souhaite approfondir le sens d’un terme et son usage à travers l’Écriture, il est indispensable de consulter des Concordances ou des Synopses.
Il est aussi très utile de posséder la Bible éditée en plusieurs volumes généralement accompagnés de commentaires exégétiques répandus surtout depuis l’époque moderne et qui aident à pénétrer dans le Mystère de l’Économie divine. L’édition de Pirot et Clamer contient des commentaires substantiels des livres entiers, et pour les extraits, les Cahiers Évangile aident à réfléchir sur les péricopes les plus enrichissantes de la Bible. Quant au Dictionnaire de la Bible de Letouzey et son supplément, ils sont évidemment irremplaçables.
Tous ces ouvrages qu’il nous semble naturel de posséder et qui auraient émerveillé sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, ne représentent en fait qu’une première catégorie de livres indispensables à notre époque où l’édition de livres s’est multipliée.
En remontant le temps on découvre que c’est de la lecture de la Bible, très répandue dès les origines et promue par les Pères des IIIe et IVe siècles, que s’inspirèrent les premiers essais de spiritualité, surtout de la lecture du Nouveau Testament, pour la pratique des vertus, ou de celle des Psaumes pour l’expression des sentiments religieux dans la prière.

Nous nous proposons maintenant de partir de la Règle de saint Benoît : le chapitre 73 nomme saint Basile dont les ouvrages, en particulier ses Règles monastiques, trouvent naturellement leur place dans une bibliothèque monastique, et fait allusion aux Pères catholiques dont tout livre proclame la marche directe pour parvenir à notre Créateur.
Saint Benoît supposait que la plupart des moines étaient capables de passer 3 ou 4 heures de la journée à lire et regardait comme négligent et paresseux celui qui n’était pas capable de consacrer le dimanche, un temps beaucoup plus long à la lecture et à la méditation. Aussi paradoxalement, il l’explique dans son chapitre 48 sur le travail manuel : "Le jour du Seigneur tous vaqueront à la lecture excepté ceux qui sont appliqués aux divers offices". Il était donc nécessaire de posséder un bon nombre de livres dans la bibliothèque.
Saint Benoît avait une bonne connaissance de la Bible, cela est facilement constatable d’après le nombre de citations dont est émaillée la Règle. Parmi ses sources monastiques, la première place appartient aux Conférences et aux Institutions de Cassien. Saint Benoît montre qu’il avait connaissance des vies d’Antoine et de Pacôme, l’histoire des moines de Rufin et des Apophtegmes des Pères égyptiens. Pour les Règles monastiques anciennes, il emploie des traductions de celles de Pacôme, Basile, Macaire, de saint Césaire d’Arles et de saint Augustin. Il est donc normal que des moines bénédictins, désireux d’approfondir la connaissance de leur propre Règle, souhaitent lire des textes de ces mêmes auteurs qui ont inspiré saint Benoît comme par exemple saint Léon le Grand que saint Benoît cite dans son chapitre sur le Carême.
Pendant l’hiver durant le temps qui reste après les Vigiles, les frères qui ont besoin d’apprendre quelque chose du psautier ou des leçons, l’emploieront à ce travail et liront avec application des passages des commentaires des Psaumes qui ont inspiré tant d’auteurs chrétiens depuis les Pères jusqu’à notre époque.
Et puisque les moines lisaient beaucoup, il est naturel qu’ils s’appliquaient à ranger leurs livres le mieux possible. C’est ainsi que le catalogue occidental le plus ancien qui nous soit parvenu est celui de l’abbaye de Saint-Wandrille datant d’environ 742, et qui contient déjà à cette époque un fonds d’ascétisme et de spiritualité.
Jusqu’au XIIè siècle la note biblio-ascétique et patristique domine dans la composition des bibliothèques. On a constaté que l’influence de saint Bernard est due en grande partie à la large place prise par ses livres dans les bibliothèques.
Vers la fin du Moyen-Age, les écrits des auteurs grecs se répandent dans certaines bibliothèques : le célèbre évêque à la Bouche d’or, saint Jean Chrysostome, le diacre et poète Éphrem, Jean « Climaque » ainsi surnommé en raison de son ouvrage l’échelle sainte, ou Maxime le Confesseur connu en particulier par ses Centuries sur la charité. Beaucoup de moines y puisent pour approfondir leur vie intérieure.
Un peu plus tôt dans le temps, à partir du XIIIe siècle, les auteurs scolastiques prennent dans les rayons des bibliothèques, une place réservée aux Pères de l’Église. Les livres de théologie constituent une nouvelle catégorie d’ouvrages qui ne cessent de se répandre au fur et à mesure que les théologiens cherchent à désenvelopper les dogmes contenus dans la Révélation comme celui de l’Immaculée Conception ou de l’Assomption. Au cours XXe siècle, des théologiens se penchent sur le Mystère de l’Église peu étudié auparavant.
A partir du XVe siècle, les bibliothèques aident à la diffusion des livres et des idées, on catalogue des bibliothèques pour faciliter les emprunts et la lecture. Cela favorise le développement de la culture.
Mais nous avons omis un sujet important : celui de la liturgie et de la prière communautaire. Dans ce domaine également, les moines auront des livres à leur disposition. Les livres en usage pour les Offices sont généralement dans les sacristies des abbayes, mais les livres d’études spécialisées peuvent être consultés et empruntés à la bibliothèque.
Au cours de ces dernières années nous avons reçu l’enseignement magistériel du pape Benoît XVI, très proche de l’esprit bénédictin. Lors de sa conférence aux Bernardins au début de son voyage en France, il s’exprimait ainsi : Les monastères furent des espaces où survécurent les trésors de l’antique culture et où, en puisant à ces derniers, se forma petit à petit une culture nouvelle… Les trésors auxquels le Pape fait allusion sont, pour une part, gardés dans les bibliothèques des abbayes Les moines étaient à la recherche de Dieu… Comme ils étaient chrétiens, il ne s’agissait pas d’une aventure dans un désert sans chemin, d’une recherche dans l’obscurité absolue. Dieu lui-même a placé des bornes milliaires, mieux, il a aplani la voie, et leur tâche consistait à la trouver et à la suivre.
Cette voie était sa Parole qui, dans les livres des Saintes Ecritures, était offerte aux hommes... Le désir de Dieu comprend l’amour des lettres, l’amour de la Parole de Dieu, son exploration dans toutes ses dimensions. Puisque dans la Parole biblique, Dieu est en chemin vers nous et nous vers Lui, les moines devaient apprendre à pénétrer le secret de la langue, à la comprendre dans sa structure et dans ses usages.
Ainsi, en raison même de la recherche de Dieu, les sciences profanes, qui nous indiquent les chemins vers la langue, devenaient importantes. La bibliothèque faisait, à ce titre, partie intégrante du monastère tout comme l’école. Ces deux lieux ouvraient concrètement un chemin vers la Parole… L’école et la bibliothèque assuraient la formation de la raison et l’erudition, sur laquelle l’homme apprend à percevoir au milieu des paroles, la Parole.

Que dire de mieux après ce grand Pape ? Il ne nous reste donc plus qu’à nous mettre au travail et à voir concrètement comment améliorer l’agencement de nos bibliothèques.
 
par les Soeurs bénédictines de Rosans

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