Rémi Caucanas ((dir.), Mgr Jean-Marc Aveline (pref.), Frédéric Ozanam prophète de la miséricorde, Marseille, Chemins de dialogue, 2015, 138 p.
Les Haut-Alpins se souviennent de deux conférences données sous le même titre que cet ouvrage. La première, le 21 janvier 2016 en paroisse de Gap par Charles Martre, la deuxième par Mgr Jean-Marc Aveline, le 10 février à Notre-Dame du Laus. Ce livre rassemble les actes du colloque organisé les 25 et 26 octobre 2013, intitulé originellement « Frédéric Ozanam, inventeur de la démocratie chrétienne ». Nous ne sommes pas en présence d’une biographie ou d’une étude historique. Cet ouvrage est pourtant utile pour mieux connaître la vie de Frédéric Ozanam. Il touche également à la spiritualité et à la théologie en se fondant sur des sources qui sont toutes imprimées et qui, pour l’essentiel, se trouvent dans les bibliothèques ecclésiastiques du sud-est de la France. La publication de ces actes coïncide avec l’année sainte de la miséricorde proclamée par le Saint-Père François.
Le colloque marquait également la création de l’institut Frédéric Ozanam au sein de l’institut catholique de la Méditerranée. Cette création est le thème de l’intervention de Mgr Jean-Marc Aveline (p 87-101). Cet institut doit travailler sur trois grands axes :
* La doctrine sociale de l’Eglise à partir de l’encyclique Rerum Novarum du pape Léon XIII (1891) dont le texte s’inspire de la pensée de Frédéric Ozanam.
* La formation éthique, anthropologique et spirituelle des jeunes. Cette préoccupation recoupe l’une des « directives » dégagées de l’action de Frédéric Ozanam par le cardinal Peter Kodwo Turkson (p 131-132).
* L’Europe.
Frédéric Ozanam (1813-1853) est connu pour être « le principal inspirateur et fondateur à Paris en 1833 de ce qui sera la Conférence de Saint-Vincent-de-Paul » (Mgr Aveline, p 6). Il est, également, un redoutable polémiste, dès sa jeunesse, contre les Saint-Simoniens. Ceux-ci rejettent « le christianisme […] comme une doctrine ayant vécu ». Contre leurs arguments, Frédéric Ozanam use des méthodes de la recherche historique (Charles Martre, p 22-23). Frédéric Ozanam participe aussi à la fondation de l’université catholique de Louvain en 1834 (Charles Martre, p 27). Il publie dans les Annales de la Propagation de la foi et dirige L’Ere nouvelle durant la révolution de 1848 (Charles Martre, p 36). Pour bien comprendre cette époque, il faut dire qu’elle est celle de la fondation de nombreuses congrégations enseignantes et celle de l’action pastorale de nombreux curés de paroisses dont saint Jean-Marie Vianney (1798-1859) est le plus connu.
« Ne parlons pas tant de charité, faisons-là »
Charles Mercier, dans sa contribution « Frédéric Ozanam et la misère » (p 41-64) veut faire entendre ce que l’attitude de Frédéric Ozanam peut dire « aux hommes et aux femmes du XXIe siècle confrontés à la misère » (p 41). L’auteur de la contribution distingue la pauvreté, qui peut être un choix et qui a un caractère relatif dans une société et une époque données, de la misère, « forme extrême de la
pauvreté, de dénuement. C’est une situation dans laquelle les conditions mêmes de survie sont menacées » (p 42). La charité, selon Frédéric Ozanam, implique un bouleversement des relations : « vous êtes nos maîtres et nous serons vos serviteurs, vous êtes pour nous les images sacrées de ce Dieu que nous ne voyons pas » cite Charles Mercier (p 56), en s’appuyant sur l’évangile selon saint Matthieu (25, 40).
Damien Thiriet s’intéresse à Frédéric Ozanam comme « inventeur de la démocratie chrétienne » (p 65-86), « famille de pensée [qui] n’est pas une idéologie ». En 1848, Le journal L’Ere nouvelle et les députés du « parti de la confiance », sont qualifiés de « première démocratie chrétienne » par Jean-Baptiste Duroselle (p 66). Ozanam a découvert la question sociale à Lyon par les révoltes des canuts (1831 et 1832). La conférence de Saint-Vincent de Paul est fondée en 1833 (p 69). Dans sa contribution, « L’Eglise et sa théorie sociale à l’époque d’Ozanam » (p 103-117), Philippe Langevin souligne « que les anciennes solidarités des congrégations sont en voie de disparition, les conditions de vie de la classe ouvrière sont terrifiantes » (p 106). Le constat est clair pour Frédéric Ozanam dans une lettre de 1836 : « Il y a beaucoup d’hommes qui ont trop et qui veulent avoir encore ; il y a beaucoup plus d’autres qui n’ont pas assez, qui n’ont rien et veulent prendre si on ne leur donne pas ». Le rôle du chrétien est d’être le médiateur entre les classes sociales, selon Ozanam, tandis que, à l’inverse, Marx, en 1848, « appelle les prolétaires à l’union pour gagner la lutte des classes » (p 70-71).
Un contexte politique et social particulier, une espérance qui résonne aujourd’hui
Ozanam fait partie des promoteurs de la liberté d’enseignement (p 75). Politiquement, il s’éloigne du catholicisme libéral. Il soutient Pie IX dans sa volonté de réforme dans les territoires pontificaux. Il s’engage pour la République en 1848 contre l’idée monarchique qu’il considère comme dépassée. Il s’oppose à la dérive autoritaire de Louis-Napoléon Bonaparte (p 76-85). Les mêmes idées sont également exposées par Philippe Langevin (p 111) : « la deuxième République s’achève et débouche sur le deuxième empire. Ozanam meurt l’année suivante » (Philippe Langevin, p 107).
Dans ce contexte, la hiérarchie de l’Eglise de France et une partie du clergé apparaissent « en reconstruction interne » car « se remettant difficilement des philosophes des Lumières et de la Révolution française » dont les derniers soubresauts politiques ont lieu en 1832 avec le débarquement de la duchesse de Berry près de Marseille. Même si les premiers ouvrages consacrés à la question ouvrière datent des régimes de Louis XVIII et de Charles X, et que « Lamennais dans ses Paroles d’un croyant (1834) lance un appel à la liberté de l’Eglise », la prise en compte de ce problème pastoral ne se fait que trop lentement aux yeux d’Ozanam (p 113). Celui-ci expose ses idées en 1848 dans L’Ere nouvelle, en soulignant que le socialisme et le système des libéraux d’alors conduisent tous deux au matérialisme (p 114). Ces idées d’Ozanam et leur postérité (les cercles ouvriers fondés en 1871, par exemple) conduisent à l’encyclique Rerum Novarum et inspirent les lois sociales de la IIIe République (p 117).
« Ozanam et la doctrine sociale de l’Eglise » est le titre de la contribution du cardinal Peter Turkson (p 119-136). L’auteur préside le conseil pontifical Justice et paix. Il place « le souci du bien-être social de l’humanité » dans l’histoire de l’Eglise, en le fondant sur l’Ecriture même, Ancien et Nouveau Testament (p 120-121). En outre, il met en parallèle l’action d’Ozanam, béatifié en 1997 lors des journées mondiales de la jeunesse et celle d’Adolf Kolping (1813-1865) qui présida une association catholique des compagnons. Celle-ci donnait une aide sociale et religieuse dans la ville d’Elberfeld. Adolf Kolping a été béatifié en 1991 (p 123). L’un et l’autre montre leur « attachement à un système socio-économique juste, équitable, au service du bien commun » (p 126). Le cardinal Turkson relit des textes des papes François et Benoît XVI à travers les apports antérieurs de Frédéric Ozanam (p 128) notamment sur le respect de l’homme au travail. C’est donc bien l’actualité du message et de l’action
de Frédéric Ozanam que dégage le cardinal Turkson (p 131-135) en sept perspectives pour aujourd’hui. Il termine en soulignant la vertu d’espérance qui a toujours habité ce bienheureux laïc (p 136).
Luc-André Biarnais
Archiviste du diocèse de Gap et d’Embrun
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