William Cavanaug
Paris, Desclée de Brouwer, 2016. 424
pages
Présentation de l’ouvrage
« Je vois avec clarté que la chose dont a le plus besoin l’Eglise aujourd’hui
c’est la capacité de soigner les blessures et de réchauffer le cœur des fidèles,
la proximité, la convivialité. Je vois l’Eglise comme un hôpital de campagne
après une bataille. Il est inutile de demander à un blessé grave s’il du cholestérol ou si son taux de sucre est
trop haut ! Nous devons soigner les blessures. Ensuite nous pourrons
aborder le reste. Soigner les blessures, soigner les blessures… Il faut
commencer par le bas ! » (Réflexion du Pape
François à une question « A quelle Eglise rêvez-vous ? »
rapportée dans L Eglise que j’espère.
Entretiens avec le Père Spadoro, sj
- Paris, Flammarion, 2013, page 68).
La métaphore du pape François est reprise ici par le
théologien américain William Cavanaugh pour rassembler un certain nombre de ses
réflexions récentes qui se situent à
l'intersection de la théologie et de l'économie, de la politique et de la
violence. À la suite du pape, il rêve d'une Église qui sorte sur le champ de
bataille du monde d'aujourd'hui pour panser les blessures, tant spirituelles
que matérielles, une Église qui « ne
reste pas confinée à l'intérieur des limites
de la "religion" » que d'autres qu'elles lui ont assignées.
(et principalement l’Etat et ses
organismes de protection sociale). Pour Cavanaugh, l'Église, personnalité
vivante ayant le Christ pour tête, ne peut se retirer du monde comme une secte
mais elle ne peut non plus se résigner à simplement regarder le monde tel
qu'il est. Les différents chapitres (qui reprennent des œuvres ou des articles déjà
publiés par ailleurs) sont organisés
autour de trois types de blessures l'affectant : blessures économiques,
blessures politiques et blessures dues à la violence.
On retrouve donc dans cet ouvrage, bien souvent
difficile (surtout pour un lecteur francophone peu familier des penseurs
anglais), les thèmes chers à Cavanaugh, comme ses critiques virulentes de
l'hégémonie de l'État nation libéral – pas toujours convaincante dans sa trop
grande globalité d’autant plus que les exemples cités se réfèrent en grande
partie à l’histoire américaine ou à la pensée américaine – et celle – beaucoup
plus convaincante – du marché et du capitalisme libéral ou encore la
déconstruction d'une notion de la religion héritée de la modernité, liée à une
séparation trop radicale du religieux et du séculier dont les premières
tentatives remontent selon l’auteur à la
Renaissance (donc bien avant le Siècle des Lumières). Au contraire, il défend
la possibilité et la nécessité d'une théologie politique qui
accepte d'engager des notions bibliques et théologiques comme l'idolâtrie ou le
corps du Christ dans des débats relevant de l'économie, des questions sociales
et sociétales ou de la politique.
Bien souvent, l’auteur remet en cause certains termes
des débats (en particulier en ce qui concerne le chapitre qui traite du rapport
entre religion et violence). Il s’agit d’une relecture stimulante certes de ses œuvres antérieures, mais d’une lecture qui
ne fait pas l’économie de la voir restituer malgré tout dans le cadre culturel dont il est issu, les
États-Unis d'Amérique. Une lecture pour tout dire qui peut avoir une pertinence
pour les Européens dans un monde aujourd'hui globalisé.
Comme
l’exprime l’auteur dans son introduction bien des chapitres sont
des réponses à des critiques sur ses précédents ouvrages ou sur la doctrine sociale de
l’Eglise
La
structure du livre :
Chapitre
I : à partir d’une lecture de l’économiste américain Charles Curran sur les
mouvements sociaux catholiques américains il défend la thèse selon laquelle le
choix n’est pas de rejeter ou d’admettre « le monde » tel qu’il est
étant donné que l’Eglise emploie le terme « monde » dans quatre sens
différents.
Chapitre
II et III : il n’existe pas une « économie » à adopter ou
rejeter mais il y a plusieurs choix possibles qui sont l’expression d’engagements
théologiques.
Chapitre
V à VII : refuser tout sens au mot « politique » c’est admettre qu’il
n’y a pas d’autre alternative que de soutenir les partis « sponsorisés »
par les entreprises. Il ne s’agit pas de refuser de participer au débat
politique ni de rejeter le système démocratique mais plutôt d’inventer d’autres
formes chrétiennes de démocratie.
Chapitre
VII à XIII : critique de certains historiens qui traite de l’histoire de l’Eglise
après Constantin en affirmant qu’elle a trahi le message évangélique. : « Je
conteste l’idée de rêver d’une Eglise plus intéressante et qui guérisse
davantage implique nécessairement sur une église purifiée et perfectionniste ».
Treizième
et dernier chapitre : comment l’expérience de Dorothy Day au début de ce
siècle a montré que « la non-violence chrétienne» n'était pas fondée
sur un sens de séparation d’avec le commun des mortels et de supériorité à leur égard, mais plutôt
sur une conscience profondément pénitentielle de la solidarité de tous les
êtres humains dans le péché ».
« La
solidarité est le premier et le dernier mot de ce livre. Le genre ‘Eglise dont
je rêve sort dans le monde et aide à panser les blessures en prenant sur elle la
souffrance du Christ. Toutes les personnes, qu’elles soient chrétiennes ou pas,
sont des membres potentiels du Corps du Christ (…). Voir tous les hommes comme
étant à l’image de Dieu – que l’épître aux Colossiens (1,15) identifie au
Christ – c’est voir la solidarité profonde de tous les hommes »
(Introduction,
page 18).
Présentation
de l’auteur
William
T. Cavanaugh est
professeur de théologie à l’Université DePaul à Chicago depuis 2010. Il a
obtenu un Bachelor of Arts en théologie à l’Université Notre-Dame en 1984, puis
un Master of Arts de l’Université de Cambridge en 1987.
Après
avoir travaillé pour la Croix-Rouge à Santiago, il étudie à l’Université Duke
où il obtient un PhD en religion en 1996. Il enseigne à l’Université of
St.-Thomas depuis 1995 et à l’Université DePaul de Chicago depuis 2010.
Ouvrages publiés en français
Etre
consommé : une critique chrétienne du consumérisme [« Being Consumed :
Economics and Christian Desire »], Paris, Editions de L’homme
nouveau, 2007. 163 pages.
Eucharistie
- Mondialisation [« Theopolitical
Imagination »], Genève, Editions Ad Solem, 2008. 128 pages.
Le
mythe de la violence religieuse : Idéologie séculière et violence moderne [« The
Myth of Religious Violence: Secular Ideology and the Roots of Modern
Conflict »], Paris, Editions de L’Homme nouveau, 2009. 382 pages.
Torture et
Eucharistie [« Torture
and the Eucharist: Theology, Politics, and the Body of Christ »], Paris,
Editions Ad Somem, 2009. 448 pages.
Migrations
du sacré : Théologies de l'Etat et de l'Église [« Migrations of the
Holy »], Paris, Editions L’Homme nouveau, 2010. 254 pages.
Comme un
hôpital de campagne : L'engagement de l'Église dans un monde blessé [« Field Hospital: The
Church's Engagement With a Wounded World »].Paris, Desclée de Brouwer,
2016. 426 pages.
Publication : Claude Tricoire - Bibliothèque diocésaine d'Aix et Arles
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