C’est un truisme que de placer la question religieuse, particulièrement catholique et protestante parmi les points centraux de la Révolution française. L’édit de tolérance de Louis XVI date de 1787, soit l’année marquant le début de l’étude de Michel Biard et Philippe Bourdin. A contrario, pour des raisons tenant à la sociologie des enseignants, des étudiants et des lecteurs, les ouvrages publiés aujourd’hui sur cette longue décennie de bouleversements offrent désormais moins de place à l’étude de l’Eglise en France.
Michel Biard et Philippe Bourdin sont tous deux universitaires de renoms, le premier précède le second au siège de président de la société des études robespierristes. Ce dernier fait n’est pas signalé par l’éditeur. Il est évidemment dommage que le lecteur qui ignorerait ce point, qui induit une construction de la problématique et une manière d’écrire, n’en soit pas informé.
Avec La France en révolution, 1787-1799, les auteurs proposent, chez Belin, une synthèse des travaux les plus récents sur la Révolution française. D’autres recherches, novatrices ou confirmant les plus anciennes, sont à venir.
Dès la page 22, les auteurs insistent sur la place, avant 1789, des « deux ordres dominants » sur le tiers-état. Ils reconnaissent pourtant la distinction entre le haut clergé (un Rohan Guéméné est pourvu de l’évêché de Strasbourg pour 400 000 livres, un autre de l’évêché de Cambrai) et les curés congruistes (700 livres) mais appellent à en saisir les nuances. Les curés sont parfois munis de bénéfices élevés (10 000 livres) supérieurs aux revenus des évêchés les moins biens dotés (Vence ou Digne ne rapportent que 7 000 livres chacun). L’espace manquait probablement aux auteurs pour montrer les lignes de confrontation provenant de la lutte contre le jansénisme, de la formation des clercs et des élites (puisque clercs et laïcs reçoivent le même enseignement) et de la course aux bénéfices qui enrichit aussi de nombreux hommes de loi comme l’ont montré Mireille et Philippe Bossis par le biais de la correspondance de Philippe Goupilleau. Sur la question des clergés, les auteurs soulignent l’apport essentiel des ouvrages de Timothy Tackett publiés tant en français qu’en américain.
La Révolution française s’inscrit dans un siècle traversé par 8 500 « émotions » selon un chiffre provenant de Jean Nicolas. 40 % de ces émeutes interviennent dans le quart de siècle qui précède 1789. Les premiers mois de cette année sont marqués par 310 situations de violences locales auxquelles il faudrait ajouter les guerres. Celles-ci touchent les populations frontalières et tous les soldats, y compris parmi les cadres comme le montrent les études sur les chefs vendéens.
Passons sur les réformes avortées du règne de Louis XVI, sur la dette, les révoltes des parlements de province pour convenir que le mode d’élection aux états généraux, distinct entre le clergé et la noblesse d’une part et le tiers-état d’autre part, est lourd de conséquences futures dans la perception des événements.
Les troubles religieux sont analysés à la racine par les auteurs, notamment le vote de la mise à disposition de la Nation des 6,5 % du territoire français appartenant au clergé. Ils seront vendus comme biens nationaux, dits de première origine (p 83-85). Michel Biard et Philippe Bourdin insistent sur le découpage chronologique et les circonstances locales qui aboutissent à ce que « des citoyens soucieux
de défendre ‘leurs’ prêtres rejoignent de facto les rangs de l’anti-Révolution » (p 84-85). Celle-ci est étudiée sous le titre « Les Contre-Révolutions françaises » aux pages 175-212.
Les aspects géographiques contre-révolutionnaires font côtoyer l’Ouest et la Vendée, Lyon, Toulon et, globalement, le sud-est de la France. Les réflexions politiques montrent « l’hétérogénéité des positions » (p 178) et des hommes. Joseph de Maistre, Louis de Bonald et Châteaubriand, trois auteurs présents dans les bibliothèques diocésaines de Gap et d’Aix-en-Provence, ne sont guère des personnalités prêtes à s’effacer devant un autre.
L’émergence de Bonaparte qui deviendra Napoléon ensuite, et malgré « l’offensive culturelle et cultuelle […] qui gomme dès 1804 du calendrier des fêtes le 1er vendémiaire et le 14 juillet » (p 216) n’efface pas la Révolution française. L’Eglise a dû accepter des conséquences de la constitution civile du clergé et de la Révolution française tout au long du XIXe siècle.
Cette synthèse, fort bien écrite, appelle au fond à renouveler les études locales et départementales.
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