Jean Lacouture, le biographe
et ses grands hommes
Grand reporter et biographe de renom, Jean Lacouture,
décédé le 16 juillet à l’âge de 94 ans avait une ambition : « Ne pas raconter sa vie telle qu’on l’a vécue, mais la
vivre telle qu’on la racontera. » Une existence toute en panache dont il a assumé les
faux pas.
L’éditeur et
écrivain Pierre Nora l’appelait « l’éternel jeune homme ».
Une inaltérable curiosité et une énergie hors du commun ont permis à Jean
Lacouture de traverser le siècle et d’y laisser sa trace par un journalisme
engagé et près de soixante-dix livres. L’œil rieur et le sourire affable dans
un visage buriné, une voix forte aux accents profonds, un enthousiasme
méridional nuancé par une pudeur héritée d’une jeunesse dans la grande
bourgeoisie catholique bordelaise, l’homme avait un charisme certain et le
contact aisé.
Ce fils d’un
chirurgien réputé, venu au monde en 1921 après quatre filles, suit sa scolarité
au collège Saint-Joseph de Tivoli à Bordeaux. Il se dira « un pur
produit » de cet apprentissage auprès des Jésuites : « Ils m’ont donné une bonne formation
humaniste. Ils voulaient faire de nous des cadres dans ce qu’ils peuvent avoir
de meilleur. C’était un projet conservateur, libre à nous de nous désengager…
ce que j’ai fait. Mais chrétien j’étais, chrétien je demeure profondément. Je
n’ai jamais « décru » en Dieu. »
Ce parcours le
conduira à publier un livre en deux tomes sur les Jésuites en 1992. Jeune homme
sage nourri de Gide et de Bernanos, Jean Lacouture mène brillamment ses études
entre Sciences-Po à Paris et la faculté de droit et de lettres à Bordeaux.
En
juin 1940, à tout juste19 ans, il quitte précipitamment la capitale
pour rentrer chez ses parents. Il n’entend pas l’Appel du 18 juin dont le
texte, partiellement publié dans La Petite Gironde, est découpé
et conservé précieusement par sa mère. Rejoindre Londres ? Se battre ? Il hésite. « Préparation des examens, lâcheté,
acceptation, expliquera-t-il. Sur les six ou sept vrais amis que
nous étions, l’un franchit les Pyrénées, un autre partit dans un régiment de
parachutistes à Londres. Après la guerre, nous n’eûmes pas vraiment
d’explication entre les braves et les autres… »
Fin 1943, pour
échapper au STO, Jean Lacouture se cache dans le Périgord, rejoint un maquis en
1944 puis la 2e DB de Leclerc. Trop tardivement à ses yeux. « C’est
une chose que je ne me pardonnerai jamais. La suite m’a sorti de la honte, mais
ne me rachetait pas. »
Convaincu
d’avoir profondément déçu sa mère, ardente gaulliste, il ne ratera pas la
prochaine marche de l’Histoire : la décolonisation. Affecté en
Indochine au service de presse du Général Leclerc pour rendre compte de la
campagne et en rencontrer les principaux acteurs (Leclerc, Sainteny, Ho Chi
Minh, Giap), il aime davantage le portrait et l’entretien que le récit des batailles.
Surtout il voit l’indépendance comme une évidence et en fait sa cause.
En 1947, attaché
de presse de la Résidence générale au Maroc, il rencontre Simonne, journaliste
engagée, de sept ans son aînée. Jean Lacouture l’épouse, adopte sa fille et ne
cessera de la vouvoyer jusqu’à sa mort en 2011. Avec elle, il écrit son premier
livre L’Égypte en mouvement alors qu’il est correspondant de France-Soir au
Caire.
Journaliste
d’abord à Combat, il rejoint la rédaction du Monde dont
il devient une signature et couvre la décolonisation avec passion, brillant
avocat notamment de l’émancipation algérienne. La noble cause de
l’anticolonialisme l’aveugle parfois. Décillé, il n’aura de cesse de battre sa
coulpe : sur le Vietnam, où il a refusé de voir la « recolonisation
stalinienne » ; sur le Cambodge, où il a soutenu
les Khmers rouges.
Homme de gauche
prônant un « journalisme d’intervention », il ne croit
pas à l’objectivité. « Le journaliste agit comme un diplomate : il s’efforce de comprendre et faire comprendre les différents points de vue,
tout en ne cachant pas qu’il souhaite telle issue plutôt que telle
autre. » Son
écriture demeure marquée par ses lectures de Madame de Sévigné et de
Chateaubriand chez les Jésuites. « J’en ai gardé le péché mignon
de vouloir faire un peu trop« joli » avec des effets de
manches ou de plume sans doute contestables au regard du strict
journalisme. » Loin de se limiter aux questions politiques, il
écrit pour Le Monde et Le Nouvel Observateur,
dirigé par son ami Jean Daniel, sur les sujets qui le passionnent : l’opéra, le rugby et
la tauromachie.
Né dans les
articles, son goût des portraits prend sa pleine mesure avec les biographies.
Après la parution de Cinq hommes et la France (Habib
Bourguiba, Ferhat Abbas, Ho Chi Minh, Mohammed V, Sékou Touré), Jean Lacouture
s’attelle à partir des années 1970 à d’imposantes biographies qui font date : Nasser, André Malraux, François Mauriac, Pierre Mendès France, De Gaulle, Mitterrand, Germaine Tillion,
Paul Flamand. Plus que des récits détaillés de parcours, il s’attache à la compréhension globale du personnage, volontiers
« détouré » de son époque.
Ses livres
pleins de fougue et d’emphase mettent en valeur les lumières plus que les
ombres. « Je me laisse aisément charmer par les grands hommes, reconnaîtra-t-il. Je
suis un peu trop porté à l’admiration, ce qui diminue mon sens critique. » Cela
lui vaut le reproche d’avoir tu l’homosexualité de Mauriac ou les liens de
Mitterrand avec Bousquet. Directeur de la collection « L’histoire
immédiate » au Seuil, Jean Lacouture a écrit beaucoup sur ses
contemporains, mais il s’est fait aussi le biographe inspiré de Montaigne,
Champollion, Montesquieu, Stendhal, Dumas… Faute, les dernières années de sa
vie, de trouver un contemporain à sa mesure.
REPÈRES BIOGRAPHIQUES
9 juin
1921. Naissance à Bordeaux.
1945. Attaché de
presse à l’état-major du général Leclerc en Indochine.
1950-1951.
Journaliste à Combat.
1951. Mariage
avec Simonne Grésillon.
1956. Premier
livre L’Égypte en mouvement avec Simonne Lacouture.
1957-1975. Chef
du service outremer et grand reporter au Monde.
1961-1982.
Directeur de collection au Seuil.
1980. François
Mauriac.
1984-1986. De
Gaulle en trois tomes.
1998. Mitterrand,
une histoire de Français en deux volumes.
2010. Paul
Flamand.
2012. Le
tour du monde en 80 ans, entretiens avec Stéphanie Le Bail
Source ; Journal LA CROIX
Publication : Claude Tricoire (Bibliothèque dAix et d'Arles)
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