Edmond Michelet, la hantise des autres
Jacques Perrier
Pari, Salvator, 2020. 426 pages
Résumé
Edmond Michelet a-t-il été le
premier résistant de France ? En tout cas, il est le premier à avoir publié un
tract appelant à la résistance. Au moment même, mais sans le savoir, où de
Gaulle lançait l'appel du 18 Juin. Membre du mouvement Combat, il est capturé
en février 1943, puis déporté à Dachau. Son témoignage, Rue de la Liberté, est
une lecture irremplaçable sur l'univers concentrationnaire.
Cette biographie fouillée et
enlevée montre comment ce père de famille a été amené à entrer en résistance et
ce qui a découlé de son engagement : une vie politique ininterrompue aux côtés
de celui qui deviendra son grand ami, le général de Gaulle.
Il occupera plusieurs ministères,
dont celui de la Justice pendant la guerre d'Algérie. En 1969, il succède à
André Malraux comme ministre des Affaires culturelles : Malraux, l'agnostique,
et Michelet, le catholique, étaient profondément liés. C'est en allant
inaugurer une Maison de la culture que Michelet est frappé d'une congestion
cérébrale. Il meurt quelques jours plus tard, le 9 octobre 1970.
AUTEUR
Mgr Jacques Perrier, prêtre de
Paris, a été évêque de Chartres, puis de Tarbes et Lourdes. Retiré en Limousin,
il a pu travailler sur les archives conservées au Centre Michelet de Brive et
consulter la correspondance familiale.
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Edmond
Michelet est mort 9 octobre 1970, un mois après François Mauriac et un mois
avant le général de Gaulle (1). À l’occasion du 50e anniversaire de sa mort,
Mgr Jacques Perrier fait paraître une biographie enrichie de documents inédits,
dont les messages échangés entre Edmond Michelet et sa femme Marie ainsi que le
cahier que celle-ci a tenu en 1943 à partir du moment où elle a été sans
nouvelles de son mari. Ce cahier qui n’a été ouvert qu’à la mort de Madame
Michelet en 1990, révèle les angoisses d’une épouse et d’une mère, le courage
dont elle s’arme pour traverser l’épreuve de la séparation et le combat
spirituel pour rester ancrée dans l’espérance.
Né le 8
octobre 1899 dans une famille d’épicier, Edmond Michelet – qui ne passera pas
son bac – a le profil d’un militant catholique de l’entre-deux-guerres, à
cheval entre l’Action française (avec laquelle il rompt en 1927) et l’Action
catholique dont il sera le responsable pour le diocèse de Tulle en
1933-1934. Attaché à la pratique religieuse et à la formation du chrétien et du
citoyen, Michelet est à l’origine de nombreuses initiatives – création de
cercles, animation de groupes – qui, malgré ses responsabilités comme courtier
en alimentation et l’éducation de ses sept enfants, l’engagent pleinement dans
la vie de la cité. Son destin bascule en même temps que celui de la France, le
17 juin 1940. Refusant l’armistice, il édite un tract, puisant dans Péguy pour
appeler à une résistance qui sera aussi une croisade antinazie.
Les
actions de résistance de Michelet (il est responsable de la Région 5 du
mouvement Combat de Henri Frenay puis des Mouvements Unis de la Résistance)
finissent par le faire « tomber ». Arrêté en février 1943, il est interné six
mois à Fresnes avant de rejoindre Dachau le 15 septembre 1943. Responsable des
Français du camp – il s’effacera devant l’autorité du général Delestraint
lorsque celui-ci arrivera à Dachau (2) – Edmond Michelet y acquiert une
autorité et une stature morale et spirituelle exceptionnelles. Lorsque le camp
est libéré par les Américains, le 29 avril 1945, Edmond Michelet ne quittera
les lieux qu’un mois plus tard. Immédiatement la vie politique le happe. Député
MRP de Corrèze, il est surtout gaulliste et sera ministre des Armées
(1945-1946) pour contrebalancer l’influence communiste (on a donné le ministère
de l’armement à Charles Tillon). Battu en 1951, il continue de militer et sera
sénateur de 1952 à 1959. Ses jugements sévères sur ses camarades
démocrates-chrétiens, sa « fidélité » – un mot clef de son vocabulaire – au
général de Gaulle lui permettront un retour à partir de 1958. Ministre des
Anciens Combattants, ministre de la Justice en 1961 et 1962 – au moment où les
affaires d’Algérie confrontent le ministre à l’instruction des demandes de
grâce des condamnés à mort3 – membre du conseil constitutionnel entre 1962 et
1967, député du Finistère, ministre de la Fonction Publique et enfin ministre
des Affaires culturelles dans le gouvernement Chaban-Delmas de la présidence
Pompidou : le parcours de Michelet impressionne. Même si succéder à Malraux
n’est pas simple pour le fils d’épicier – il dira lui-même « François Coppée
succède à Pindare » témoignant par-là que son inculture n’est pas grande !
Mgr
Perrier restitue par-delà les honneurs accumulés le fil rouge qui court tout au
long de cette vie qui s’est consumée dans le service (Michelet meurt en
fonction après avoir témoigné de sa grande faiblesse physique lors de l’hommage
national à Mauriac le 4 septembre 1970) : « la hantise des autres ». Michelet a
des convictions solides, un tempérament volontaire qu’accompagne son épouse. Le
secret de l’homme cependant est spirituel. C’est le chrétien Michelet qui fait
vivre le politique Edmond Michelet.
Grâce aux
archives familiales auxquelles il a eu accès et grâce aussi à sa sensibilité et
son ministère, Mgr Jacques Perrier laisse entendre la foi d’Edmond et Marie
Michelet. Le livre est autant un livre d’histoire qu’un ouvrage spirituel. Il
ne s’agit pas d’hagiographie, ni d’une admiration béate. À mesure qu’on avance
dans le livre, on sent une attraction exercée par Edmond Michelet. L’exemple
humain et politique est expliqué à la lumière de sa vie de prière, enracinée
dans une pratique de l’eucharistie. Rarement dans un ouvrage qui répond aux
exigences universitaires, il est donné de sentir l’action concrète que la messe
peut avoir sur un homme et son engagement. À ceux qui, lorsqu’il était
ministre, lui conseillaient de s’abstenir de communier en public lors d’une
messe où il représentait le gouvernement de la République, il
répondait qu’il avait couru suffisamment de risques à Dachau pour avoir le
droit de communier où et quand il voulait !
La
dernière étape Edmond Michelet fut celle de ministre des Affaires culturelles
(juin 1969-octobre 1970) où il s’attacha à organiser le septième centenaire de
la mort de Saint Louis. L’homme de foi ne s’effaçait jamais et sa foi avait été
nourrie de ses lectures de Péguy, de Maritain, de Saint-Exupéry, des conseils
du Père Maydieu et de l’amitié du Père Sommet. Edmond Michelet est bien une
illustration de l’alliance de la foi et de la culture !
On le
sait : la cause d’Edmond Michelet a été introduite à Rome après la clôture de
l’enquête diocésaine. Quel qu’en soit le résultat, ceux qui ont croisé Edmond
Michelet, notamment ses compagnons de souffrance à Dachau, ont reconnu en lui
un saint, un juste. « Il réussissait à entraîner ses compagnons à ne pas
exercer la seule liberté qui leur restait, celle de haïr » dira Jean
Dannenmuller, un de ses codétenus. Michelet, quelques semaines avant sa mort,
répétera à Rocamadour : « Nous ne voulons plus porter en nous le poids de la
haine ». Jacques Perrier, le temps d’un livre, nous a restitué cette figure
humaine qui s’était configurée dans le Christ souffrant au service des hommes
dans la tempête de la barbarie nazie mais aussi dans la reconstruction d’une
France et d’une Europe qu’il a voulu plus fraternelles.
Signalons
l’excellent livre de Xavier Patier, Demain la France. Tombeaux pour Mauriac,
Michelet, de Gaulle, Paris, Le Cerf, 2020. Petit-fils d’Edmond Michelet (et
donc cousin de Mgr Benoît Rivière), Xavier Patier propose un ouvrage très
personnel dans lequel il médite sur ces trois grandes figures catholiques qu’il
assimile aux trois vertus théologales (la foi pour Mauriac, la charité pour
Michelet, l’espérance pour de Gaulle). Leurs disparitions concomitantes servent
de point de départ à une réflexion attendrie sur les transformations
religieuses, culturelles et politiques en France sur l’ensemble du demi-siècle.
Xavier Patier refuse le discours réactionnaire et conservateur pour proposer au
contraire une réflexion sur la responsabilité des catholiques dans le temps
présent. Il s’appuie beaucoup sur l’oeuvre de Mauriac pour montrer «
l’actualité » du catholicisme, non pas comme identité mais comme réalité
transformant les consciences et les actes.
2. Mais le général Delestraint, chef de l’Armée secrète, est exécuté sur ordre
de Berlin le 19 avril 1945.
3. Rien de plus utile que de lire en contrepoint à cette biographie, le travail
que Benjamin Stora a consacré à François Mitterrand et la Guerre d’Algérie,
Paris, 2010 repris dans Benjamin Stora, Une mémoire algérienne, Paris, Robert
Laffont, 2020.
Fiche de l’Observatoire Foi et Culture (OFC)
Publication : Bibliothèque diocésaine d'Aix et Arles
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