Une histoire du sentiment religieux au XIXè siècle
Guillaume Cuchet
Paris, Le Cerf, 2020. 421 pages.
Présentation de l'éditeur
Industriel, scientiste, positiviste, mais aussi mystique spiritualiste
et occultiste, tel aura été le paradoxal XIXe siècle français dont Guillaume
Cuchet se fait ici le médium historique et littéraire. Un tableau sans
précédent du choc des croyances.
Le xixe
siècle a-t-il été ce fameux temps de déclin religieux ? Le rationalisme y
triomphait-il autant qu'on l'a dit ? Le positivisme y régnait-il en maître ?
Guillaume Cuchet démontre que le xixe siècle a été une époque d'intenses ferveurs religieuses, à la mesure des bouleversements politiques qu'il a connus, aussi bien à l'intérieur des cultes existants, comme le catholicisme, qu'en dehors. Tout un New Age précoce de croyances et de pratiques hétérodoxes a rencontré un grand succès, notamment dans les rangs d'une gauche loin d'être entièrement sécularisée. Apparitions mariales, contestation de l'enfer, renouveau du purgatoire, nouvelles conceptions du paradis, culte de la tombe et des morts, définition de nouveaux dogmes comme l'Immaculée Conception ou l'Infaillibilité pontificale, succès des " philosophies religieuses ", vogue des tables tournantes et du spiritisme, essor de la piété " ultramontaine ", sont autant de manifestations de cette effervescence.
À travers toutes ces pratiques pour le moins surprenantes se dessine le visage d'un autre xixe siècle, plus intime et plus complexe, dans lequel croyants et incroyants se ressemblent souvent, là même, parfois, où ils s'opposent le plus.
Un essai détonnant.
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Guillaume Cuchet démontre que le xixe siècle a été une époque d'intenses ferveurs religieuses, à la mesure des bouleversements politiques qu'il a connus, aussi bien à l'intérieur des cultes existants, comme le catholicisme, qu'en dehors. Tout un New Age précoce de croyances et de pratiques hétérodoxes a rencontré un grand succès, notamment dans les rangs d'une gauche loin d'être entièrement sécularisée. Apparitions mariales, contestation de l'enfer, renouveau du purgatoire, nouvelles conceptions du paradis, culte de la tombe et des morts, définition de nouveaux dogmes comme l'Immaculée Conception ou l'Infaillibilité pontificale, succès des " philosophies religieuses ", vogue des tables tournantes et du spiritisme, essor de la piété " ultramontaine ", sont autant de manifestations de cette effervescence.
À travers toutes ces pratiques pour le moins surprenantes se dessine le visage d'un autre xixe siècle, plus intime et plus complexe, dans lequel croyants et incroyants se ressemblent souvent, là même, parfois, où ils s'opposent le plus.
Un essai détonnant.
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C’est une
chose acquise : le XIXème siècle religieux a mauvaise presse. Le catholicisme
pris dans la tourmente politique s’est ancré dans le refus du progrès et de la
science. Il a généré des pratiques « pieusardes » et une morale étouffante.
L’art – sulpicien forcément pourrait-on ajouter à la manière du Dictionnaire
des idées reçues de Flaubert – ne plaide pas pour ce siècle, même si un courant
historique semble déterminé à réhabiliter l’art religieux du XIXème siècle, beaucoup
plus riche et innovant qu’on ne le croit d’ordinaire.
L’ouvrage de Guillaume Cuchet rassemble des articles publiés auparavant dans des revues savantes ou dans des actes de colloque. Il en sort un vrai livre organisé en trois parties : « portraits », « débats », « tendances ».
L’ouvrage de Guillaume Cuchet rassemble des articles publiés auparavant dans des revues savantes ou dans des actes de colloque. Il en sort un vrai livre organisé en trois parties : « portraits », « débats », « tendances ».
Cinq
personnages – cinq hommes – sont l’objet des portraits : Jean Reynaud
(1806-1863), Alphonse Gratry (1805-1872), Henri Perreyve (1831-1865), Charles
Gay (1812-1892) et Victor Hugo (1802-1885). Le premier est un polytechnicien
saint simonien, député en 1848 qui se retire de la vie politique après le coup
d’État du 2 décembre 1851. Personnage écouté et auteur d’un ouvrage très
original, Terre et Ciel (1856), il a depuis sombré dans l’oubli. Le retrouver
dans les pages que lui consacre Cuchet c’est goûter au flot des idées
philosophiques et spirituelles qui disent l’élan du XIXème siècle. Philosophie
humanitaire qui espère en un monde meilleur, elle veut croire aux réalités
spirituelles d’un monde que la technique et la science transforment. On peut
oublier Reynaud, mais pas ce volet « prophétique » du XIXème siècle. Gratry,
lui aussi polytechnicien et philosophe, est un essayiste catholique dont
l’influence allait demeurer jusqu’à la génération de René Rémond (né en 1918).
De son oeuvre abondante, qu’on a comparée à celle de Maritain, on retiendra
l’amorce d’un retour vers saint Thomas d’Aquin, mais surtout « l’espoir de voir
advenir enfin le champion intellectuel qui triompherait des objections de
l’incrédulité contemporaine, tout en donnant du christianisme une présentation
conforme aux attentes de l’époque » (p. 104). Prêtre de l’Oratoire,
Henri Perreyve a produit une oeuvre, là encore oubliée depuis, mais dont
l’importance fut reconnue de ses contemporains. Pour Cuchet, elle est l’exemple
même d’une théologie libérale qui n’a pu véritablement porter ses fruits en ces
années marquées par la proclamation du dogme de l’Immaculée
Conception (dont Perreyve fait une lecture optimiste qui tranche avec les
aspects antimodernes que la définition de ce dogme a revêtu à
l’époque) et la publication du Syllabus en 1864. Quant au père Gay, tenu pour
un mystique du XIXème siècle par le père Laberthonnière, Guillaume Cuchet en
propose une relecture qui montre la réalité de ces élans mystiques qui
précédent la publication en 1898 de l’Histoire d’une Âme de Thérèse de
l’Enfant-Jésus. Ici le travail de l’historien est crucial pour repérer des
expressions communes qui disent une époque et dévoilent alors le sens des
trajectoires individuelles. Victor Hugo est abordé par la pratique qu’il eut,
en exil à Jersey de 1854 à 1856, du spiritisme, un mouvement de mode et de fond
qui traduit les interrogations des femmes et des hommes du XIXème siècle sur
l’au-delà.
Cinq
portraits qui servent tous à démontrer une chose : l’histoire spirituelle du
XIXème siècle ne se réduit pas à l’histoire d’une lutte entre croyants et
incroyants mais révèle la puissance de la réflexion religieuse, son inscription
dans une tradition et son attention aux temps nouveaux, son exposition aux
tensions politiques et culturelles d’une époque farouchement politique. Le
XIXème siècle est bien le laboratoire de la modernité et donc des efforts
catholiques pour savoir où se situer à la fois face à ce mouvement qui emporte
tout et dans ce mouvement aussi.
Trois
chapitres composent la partie « Débats » dont un qui reprend un des grands axes
des recherches de Guillaume Cuchet, « le passage du petit au grand nombre des
élus dans le discours catholique du XIXème siècle ». On sait depuis son livre
Comment notre monde a cessé d’être chrétien, que Cuchet attribue à cette «
révolution théologique oubliée » un rôle majeur dans les recompositions
croyantes et les pratiques religieuses du XIXème siècle. Plus anecdotiques sont
les deux aspects suivants : « la querelle du naturalisme historique » et « la
première vague néo-bouddhiste au milieu du XIXème siècle ». Sans entrer dans le
détail, ces deux chapitres servent à montrer la vitalité de l’interrogation
proprement religieuse qui habite les hommes du XIXème siècle.
Dans la
partie « Tendances », Guillaume Cuchet rassemble des articles sur « le tournant
sulpicien des années 1850 dans la littérature de piété du XIXème siècle », « la
religion du deuil et la communication avec l’au-delà », « Frédéric Ozanam » et
« ésotérisme et révolution. Insurgés et initiés en 1848 ». De cette collection
d’articles, Guillaume Cuchet tire une conclusion originale qui a le mérite
d’une grande clarté. Il rappelle que le XIXème siècle reste un siècle de
dogmes. « Ni le vieux dogme, écrit-il, qui a fait montre d’une étonnante
capacité à se régénérer et à se développer dans un contexte bouleversé, ni le
nouveau puisque le siècle est marqué par une grande effervescence
philosophico-religieuse, y compris dans les rangs [de la] gauche » n’ont
disparu ou se sont évaporé (p. 395). Du coup, l’historien est frappé de «
l’intensité des recompositions religieuses de la période ». Il souligne aussi
combien la bourgeoisie et la gauche sont sensibles à ces questions, quelles que
soient les formes, même évanescentes, que peuvent prendre leurs préoccupations
ou leurs formulations. Enfin, il souligne que la « forme par excellence du sentiment
religieux du XIXème siècle [est] funéraire » (p. 401). Le deuil est devenu
l’une des sources les plus fécondes de la religiosité.
Une fois
refermé l’ouvrage et plein des nouvelles connaissances qu’il apporte au lecteur
profane ou peu versé dans le matériau de l’histoire religieuse du XIXème
siècle, on réhabilite donc ce « stupide XIXème siècle », selon l’expression
parfaitement injuste de ce réactionnaire qu’était Lucien Daudet. Surtout, on
mesure qu’une lecture binaire en terme d’affrontement entre croyants et
incroyants (ou scientistes, rationalistes, athées) est absolument réductrice.
Ne tiendrait-on pas là une clef pour comprendre aussi notre époque ? Héritier
du dispositif intellectuel, politique et mental mis en place par les Lumières,
la Révolution et la République, ne sommes-nous pas souvent tentés – et plus
encore en ces temps où on joue avec la définition même de l’homme dans
son incarnation – de penser notre position en terme d’opposition ? Ne
faudrait-il pas alors essayer, comme nous y invite le pape François, de
regarder le monde alentour en y détectant ses aspirations religieuses ? Le
XIXème siècle fut un grand siècle missionnaire. Aller à la fois au-devant de
populations ignorantes de la révélation et répondre aux angoisses ou aux
critiques de ceux qui, en ayant été nourris, la rejette fut la tâche des
pasteurs du XIXe siècle. La mission a-t-elle vraiment changé ?
Source : Fiche de l’Observatoire Foi et Culture (OFC) du
mercredi 10 juin sur l’ouvrage d’Une histoire du sentiment religieux au XIXe
siècle de Guillaume Cuchet.
Biographie de l'auteur
Professeur d'histoire contemporaine à l'université Paris-Est Créteil,
ancien élève de l'École normale supérieure-LSH, Guillaume Cuchet travaille sur
l'histoire religieuse contemporaine des sociétés occidentales. Il est notamment
l'auteur de Comment notre monde a cessé d'être chrétien . Prix d'histoire
religieuse de la Fondation Bernheim et prix Sophie Barluet du Centre national
du livre 2018.
Publication : Bibliothèque diocésaine d'Aix et Arles
Publication : Bibliothèque diocésaine d'Aix et Arles
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