Pauline Jaricot (1799-1862)
Pauline Jaricot, pionnière de la solidarité dans
l’Eglise
Un dimanche de Carême 1816. À la fin de la messe, l’abbé Würtz, qui
vient de prêcher sur les illusions de la vanité, est interpellé par une jeune
fille au visage avenant, habillée avec élégance. « En quoi consiste la
vanité coupable ? », lui demande-t-elle. « Pour certains, lui
répond-il, elle est tout entière dans l’amour qui retient le cœur
captif, quand Dieu l’invite à s’élever plus haut. » La jeune fille en
robe de taffetas en est tout ébranlée.
Son nom ? Pauline-Marie Jaricot. Née à Lyon le 22 juillet 1799 dans une
famille de soyeux aisés, Pauline a vécu une enfance choyée, puis mené une vie
mondaine, entourée d’attentions et de flatteries. À l’automne 1814, elle a
pourtant connu sa première grande épreuve ; une mauvaise chute a mis sa vie en
danger. Elle s’en est sortie, mais sa mère est morte peu après.
Si, ce jour de 1816, l’austère prédication la touche, c’est que la
benjamine du foyer Jaricot a « un immense besoin » de Dieu et
prend pour elle les paroles du P. Würtz. Après s’être confessée à lui, elle le
choisit comme directeur spirituel et décide « de renoncer aux manières,
aux plaisirs, aux pensées que le monde consacre et que Jésus-Christ déteste ».
Mise en place d’une organisation de récolte de dons
Finies, donc, toilettes et bijoux. Elle a 17 ans et passe d’une religion
de conformisme social à une pratique qui prend au sérieux l’Évangile. Habillée
comme les ouvrières de la soie, elle consacre désormais tout son temps à venir
en aide aux malades, aux nourrissons abandonnés, aux prostituées et, le jour de
Noël 1816, fait dans l’intimité vœu de virginité devant la Vierge de Fourvière,
avant de s’engager aux Rameaux à devenir servante du Christ. Son seul désir
désormais : s’anéantir en Lui, donner sa vie par amour pour Lui, prendre part à
sa souffrance…
Elle n’en demeure pas moins femme d’initiative. En 1819, elle décide
d’engager ses compagnes – des ouvrières qu’elle a rassemblées dans une
association, les « Réparatrices du Cœur de Jésus inconnu et méprisé » – au
service des missions lointaines.
Informée par son frère Philéas, qui deviendra prêtre, que celles-ci ont
besoin de financement, elle imagine un soir d’automne une organisation très
simple pour collecter « le sou de la mission » : constituer
des groupes de dix personnes qui récitent une prière quotidienne, font une
offrande hebdomadaire, et s’engagent à former un nouveau groupe de dix
personnes… et ainsi de suite.
Création de l’oeuvre du Rosaire vivant
La formule, expérimentée dans les quartiers populaires de Lyon, s’étend
rapidement. Les sommes collectées sont remises essentiellement aux Missions
étrangères de Paris… En 1822, la collecte, terreau de l’aventure missionnaire
lyonnaise et premier maillon des Œuvres pontificales missionnaires,
s’institutionnalise sous le nom d’Association de la Propagation de la foi.
Tenue à l’écart, Pauline se met alors, à 23 ans, à rédiger d’une
traite L’Amour infini dans la divine eucharistie, méditation dans
laquelle elle exalte ce cœur à cœur avec Jésus tant recherché et l’océan de
tendresse du Créateur pour ses créatures, clame son désarroi de voir «
ce malheureux siècle des sens, qui ne sait plus rien découvrir, plus rien
comprendre des choses de Dieu », et propose un « remède » : «
Que nos sens soient vaincus par le cœur et que notre cœur soit à son tour
vaincu par l’amour de Jésus-Christ. » « Ah, si vous saviez aimer !
», lance-t-elle au passage aux prêtres.
Les longues heures passées devant le tabernacle ne la détournent
cependant pas longtemps des plus pauvres dont la misère est à ses yeux autant
spirituelle que matérielle. En 1826, elle fonde l’œuvre du Rosaire vivant. Cette
fois encore, le principe est simple. Des groupes de quinze personnes se
retrouvent une fois par mois et s’engagent à réciter quotidiennement une
dizaine de chapelet en méditant plus particulièrement l’un des mystères de la
vie du Christ sous le regard de Marie.
Maison de Lorette
Des circulaires font le lien entre les groupes, qui disposent aussi
du Petit catéchisme du Rosaire rédigé par Pauline. Les «
associés » unis entre eux et unis à Dieu par Marie forment ainsi une véritable
chaîne de prière qui s’étendra rapidement au-delà des frontières. Karol Wojtyla
priera ainsi le Rosaire vivant dans les années 1930 sans connaître alors son
initiatrice, dira-t-il en 1986, lors de sa visite à Lyon.
Jusqu’à la fin de sa vie, Pauline veillera sur cette œuvre de prière.
Quelques années plus tard, installée à mi-versant de Fourvière dans une grande
maison baptisée Lorette, où quelques compagnes, les Filles de Marie, mènent une
vie religieuse et où elle reçoit les missionnaires venus chercher de l’aide
aussi bien que les pauvres du quartier, Pauline, qui vit en première ligne la
révolte des canuts, se fixe une nouvelle mission : la réconciliation sociale.
Durant dix années, malgré une santé fragile et une guérison quasi miraculeuse,
elle réfléchit à ce qu’elle appellera « l’œuvre des ouvriers ».
En 1845, elle imagine un montage financier pour remettre en marche des
forges dans le Vaucluse et y mener une expérience d’économie sociale fondée sur
les valeurs chrétiennes. Celle-ci n’aura qu’un temps. L’usine, placée sous le patronage
de Notre-Dame des Anges, fait en effet rapidement faillite. L’échec est total,
mais, comme le dira Jean-Paul II, la tentative « préparait
mystérieusement un renouveau dans l’engagement social de l’Église, qui sera
développé dans l’encyclique de Léon XIII Rerum novarum ».
Symbole du renouveau religieux du XIXe siècle
En attendant, victime d’escrocs, Pauline perd dans cette affaire sa
fortune et son crédit personnel. Dès 1853, abandonnée de tous ou presque,
calomniée, elle s’inscrit au rôle des indigents de sa paroisse. Elle meurt le 9
janvier 1862, « pauvre de Marie » comme elle l’avait tant désirée.
Réhabilitée bien des années plus tard, elle a été proclamée vénérable en
février 1963 par Jean XXIII, et nombreux sont ceux qui lui ont rendu hommage lors
de l’inauguration de la maison de Lorette à l’Ascension 2005. Celle qui fut
emblématique du renouveau religieux du XIXe siècle n’en demeure
pas moins une figure à part. Bien avant Vatican II, Pauline Jaricot avait
découvert le sacerdoce universel, celui qui est donné à chaque baptisé.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire