lundi 1 juin 2020

Pauline Jaricot sur la voie de la béatification


Pauline Jaricot (1799-1862)


Pauline Jaricot, pionnière de la solidarité dans l’Eglise

Un dimanche de Carême 1816. À la fin de la messe, l’abbé Würtz, qui vient de prêcher sur les illusions de la vanité, est interpellé par une jeune fille au visage avenant, habillée avec élégance. « En quoi consiste la vanité coupable ? », lui demande-t-elle. « Pour certains, lui répond-il, elle est tout entière dans l’amour qui retient le cœur captif, quand Dieu l’invite à s’élever plus haut. » La jeune fille en robe de taffetas en est tout ébranlée.
Son nom ? Pauline-Marie Jaricot. Née à Lyon le 22 juillet 1799 dans une famille de soyeux aisés, Pauline a vécu une enfance choyée, puis mené une vie mondaine, entourée d’attentions et de flatteries. À l’automne 1814, elle a pourtant connu sa première grande épreuve ; une mauvaise chute a mis sa vie en danger. Elle s’en est sortie, mais sa mère est morte peu après.
Si, ce jour de 1816, l’austère prédication la touche, c’est que la benjamine du foyer Jaricot a « un immense besoin » de Dieu et prend pour elle les paroles du P. Würtz. Après s’être confessée à lui, elle le choisit comme directeur spirituel et décide « de renoncer aux manières, aux plaisirs, aux pensées que le monde consacre et que Jésus-Christ déteste ».
Mise en place d’une organisation de récolte de dons
Finies, donc, toilettes et bijoux. Elle a 17 ans et passe d’une religion de conformisme social à une pratique qui prend au sérieux l’Évangile. Habillée comme les ouvrières de la soie, elle consacre désormais tout son temps à venir en aide aux malades, aux nourrissons abandonnés, aux prostituées et, le jour de Noël 1816, fait dans l’intimité vœu de virginité devant la Vierge de Fourvière, avant de s’engager aux Rameaux à devenir servante du Christ. Son seul désir désormais : s’anéantir en Lui, donner sa vie par amour pour Lui, prendre part à sa souffrance…
Elle n’en demeure pas moins femme d’initiative. En 1819, elle décide d’engager ses compagnes – des ouvrières qu’elle a rassemblées dans une association, les « Réparatrices du Cœur de Jésus inconnu et méprisé » – au service des missions lointaines.
Informée par son frère Philéas, qui deviendra prêtre, que celles-ci ont besoin de financement, elle imagine un soir d’automne une organisation très simple pour collecter « le sou de la mission » : constituer des groupes de dix personnes qui récitent une prière quotidienne, font une offrande hebdomadaire, et s’engagent à former un nouveau groupe de dix personnes… et ainsi de suite.

Création de l’oeuvre du Rosaire vivant
La formule, expérimentée dans les quartiers populaires de Lyon, s’étend rapidement. Les sommes collectées sont remises essentiellement aux Missions étrangères de Paris… En 1822, la collecte, terreau de l’aventure missionnaire lyonnaise et premier maillon des Œuvres pontificales missionnaires, s’institutionnalise sous le nom d’Association de la Propagation de la foi.
Tenue à l’écart, Pauline se met alors, à 23 ans, à rédiger d’une traite L’Amour infini dans la divine eucharistie, méditation dans laquelle elle exalte ce cœur à cœur avec Jésus tant recherché et l’océan de tendresse du Créateur pour ses créatures, clame son désarroi de voir « ce malheureux siècle des sens, qui ne sait plus rien découvrir, plus rien comprendre des choses de Dieu », et propose un « remède » : « Que nos sens soient vaincus par le cœur et que notre cœur soit à son tour vaincu par l’amour de Jésus-Christ. » « Ah, si vous saviez aimer ! », lance-t-elle au passage aux prêtres.
Les longues heures passées devant le tabernacle ne la détournent cependant pas longtemps des plus pauvres dont la misère est à ses yeux autant spirituelle que matérielle. En 1826, elle fonde l’œuvre du Rosaire vivant. Cette fois encore, le principe est simple. Des groupes de quinze personnes se retrouvent une fois par mois et s’engagent à réciter quotidiennement une dizaine de chapelet en méditant plus particulièrement l’un des mystères de la vie du Christ sous le regard de Marie.

Maison de Lorette
Des circulaires font le lien entre les groupes, qui disposent aussi du Petit catéchisme du Rosaire rédigé par Pauline. Les « associés » unis entre eux et unis à Dieu par Marie forment ainsi une véritable chaîne de prière qui s’étendra rapidement au-delà des frontières. Karol Wojtyla priera ainsi le Rosaire vivant dans les années 1930 sans connaître alors son initiatrice, dira-t-il en 1986, lors de sa visite à Lyon.
Jusqu’à la fin de sa vie, Pauline veillera sur cette œuvre de prière. Quelques années plus tard, installée à mi-versant de Fourvière dans une grande maison baptisée Lorette, où quelques compagnes, les Filles de Marie, mènent une vie religieuse et où elle reçoit les missionnaires venus chercher de l’aide aussi bien que les pauvres du quartier, Pauline, qui vit en première ligne la révolte des canuts, se fixe une nouvelle mission : la réconciliation sociale. Durant dix années, malgré une santé fragile et une guérison quasi miraculeuse, elle réfléchit à ce qu’elle appellera « l’œuvre des ouvriers ».
En 1845, elle imagine un montage financier pour remettre en marche des forges dans le Vaucluse et y mener une expérience d’économie sociale fondée sur les valeurs chrétiennes. Celle-ci n’aura qu’un temps. L’usine, placée sous le patronage de Notre-Dame des Anges, fait en effet rapidement faillite. L’échec est total, mais, comme le dira Jean-Paul II, la tentative « préparait mystérieusement un renouveau dans l’engagement social de l’Église, qui sera développé dans l’encyclique de Léon XIII Rerum novarum ».

Symbole du renouveau religieux du XIXe siècle
En attendant, victime d’escrocs, Pauline perd dans cette affaire sa fortune et son crédit personnel. Dès 1853, abandonnée de tous ou presque, calomniée, elle s’inscrit au rôle des indigents de sa paroisse. Elle meurt le 9 janvier 1862, « pauvre de Marie » comme elle l’avait tant désirée.
Réhabilitée bien des années plus tard, elle a été proclamée vénérable en février 1963 par Jean XXIII, et nombreux sont ceux qui lui ont rendu hommage lors de l’inauguration de la maison de Lorette à l’Ascension 2005. Celle qui fut emblématique du renouveau religieux du XIXe siècle n’en demeure pas moins une figure à part. Bien avant Vatican II, Pauline Jaricot avait découvert le sacerdoce universel, celui qui est donné à chaque baptisé.







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