Le Dauphiné Libéré propose dans sa collection « Les Patrimoines », 1914-1918 entre Alpes et Rhône à l’arrière comme au front par Gil Emprin. La déclaration de la guerre, les soldats, les hôpitaux et la vie à l’arrière des combats sont les grands thèmes très classiquement abordés. Les Hautes-Alpes, dans ce contexte, sont peu évoquées, hier regardant vers Grenoble et Lyon, aujourd’hui appartenant à la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur. Le département était du ressort de la 14e région militaire (p 8) et n’est donc pas intéressé aux questions touchant le XVe corps : celles-ci sont évoquées dans le numéro de La Provence-Histoire (p 57-61) que Claude Tricoire a déjà présenté sur ce blog. Le 159e régiment alpin, stationné à Briançon, est présenté page 11. L’autre présence haut-alpine dans cet ouvrage se trouve page 37 par la reproduction de deux lettres d’enfants de Gap, l’une adressée à « mon cher petit papa », provenant des archives départementales des Hautes-Alpes. La légende souligne que ces lettres montrent le mélange de deux sentiments, l’admiration et le manque.
L’année 1916 marque-t-elle « la fin de l’union sacrée ? ». La page 39 souligne le maintien de revendications sociales qui se développent en 1917 et 1918 même si « on constate partout que les grèves s’arrêtent quand les Allemands lancent des offensives. Le peuple est épuisé par la guerre, il veut la paix, mais pas la défaite ». Nous avions fait allusion à cette question dans notre recension de l’ouvrage de Louis Reynaud sur la bande Baudissard.
Le rôle de l’Église au sein de l’opinion publique est traité par deux fois. La première (p 33) est une citation de Mgr de Gibergues ayant célébré la « vaillance de nos prêtres-soldats ». Le Dictionnaire des évêques de France au vingtième siècle (p 454) souligne le drame personnel que fut la Première Guerre mondiale pour lui. Treize prêtres et huit séminaristes de son diocèse tombent durant la guerre ainsi que sept de ses neveux. Enfin, page 36, la carte postale de Notre-Dame des tranchées répond à « Une vision dans la tranchée », page 33 de La Provence-Histoire. Cette image représente des soldats saisis par une apparition de sainte Jeanne d’Arc, « Étoile d’Espérance ». L’entrée massive des troupes venant des colonies, la « Force noire » (p 36-41), l’espoir placé dans l’arrivée à Marseille de la première brigade du corps expéditionnaire russe (p 42-45) font partie des sujets traités.
Quatre pages, rédigées par Christophe Vera, ont pour thème « Le clergé provençal acteur de l’’Union Sacrée’ » et plus largement l’Église dans la Première Guerre mondiale. L’auteur a centré son étude sur les diocèses d’Aix et Arles (et non d’Aix-en-Provence, p 31) et d’Avignon. Ce choix géographique est dû à celui des sources utilisées : les semaines religieuses diocésaines pour l’essentiel. Peut-être Christophe Vera n’a-t-il pas eu connaissance du Guide des sources ecclésiastiques sur la Première Guerre mondiale pour le Sud-Est de la France ? Il lui aurait permis de diversifier son travail. En effet, Marseille, ville principale et premier port français sur la Méditerranée, est trop peu présente dans l’article malgré quelques citations de L’Écho de Notre-Dame (entendre Notre-Dame de la Garde) qui est aussi la Semaine religieuse du diocèse de Marseille.
L’auteur donne quelques chiffres sur la mobilisation du personnel diocésain à la page 31. « On estime qu’un tiers environ des mobilisés entreront dans les unités combattantes […] » en s’appuyant sur les travaux de Xavier Boniface. Des recherches locales et récentes, reprenant les données de l’époque viennent affiner les chiffres globaux. C’est le cas du numéro 104 d’Église dans les Hautes-Alpes (p 7-10) pour le diocèse de Gap avec, il est vrai, la restriction géographique indiquée dans le premier paragraphe du présent article.
La présence de prêtres auprès des soldats combattants est évoquée dans le texte et par le portrait, bien connu, de Mgr de Llobet, qu’il aurait été adroit de créditer véritablement. « Il fut l’un des deux seuls évêques appelés sous les drapeaux » : faut-il rappeler ici le travail de son parent et biographe, Gabriel de Llobet, et de Jacques Prévotat. Ce dernier a écrit dans le Dictionnaire des évêques de France au vingtième siècle qu’il fut avec Mgr Ruch « inspecteur de l’ensemble des prêtres-soldats » (p 422-423).
Le développement de la religiosité des soldats et de la population française est souligné. Certes, « les églises ne connaîtront pas un spectaculaire regain de fidèles après le conflit » (p 33). Encore faudrait-il s’appuyer sur des statistiques et s’entendre sur la notion de « post-conflit ». Est-ce suffisant pour dire que « c’est plus par curiosité et superstition que de nombreux soldats se rendent aux différents offices » comme il est écrit page 31 ? Si la religiosité et, pourquoi pas, la pratique superstitieuse peuvent être quantifiées, qu’en est-il de la foi qui peut s’exprimer mais dont les ressorts relèvent de l’intimité ?
La campagne anticléricale contre les prêtres embusqués est analysée à la mesure de la distinction entre le devoir de servir la patrie (thème cher à Mgr de Llobet dans le diocèse de Gap, par exemple), et les appels à la paix par le Siège apostolique et, tout particulièrement par le pape Benoît XV élu le 3 septembre 1914 pour succéder à Pie X. Le colloque des 22 et 23 janvier 2015 à l’Institut catholique de la Méditerranée (actes dans Chemins de dialogue n° 45 sous le titre « Des croyants dans la tourmente ») et particulièrement Jean-Marc Ticchi ont montré le cheminement de la diplomatie vaticane dans son souhait d’unité. Dans « Benoît XV et la Première Guerre mondiale » (p 55-68), Jean-Marc Ticchi rappelle l’exhortation Dum europa fere du 2 août 1914 par Pie X. Le pape demande des prières publiques afin que le Christ « inspire aux chefs des nations de former des pensées de paix et non des pensées d’affliction ». Au-delà du devoir de mémoire (p 33) pleinement rempli par l’Église (les célébrations de novembre 2014 avec l’appui du diocèse aux Armées en sont un des multiples exemples), celle-ci est éveilleuse de paix, notamment en Europe, une paix qui ne trouve sa légitimité que dans le traitement juste des peuples. Soulignons ici l’incitation aux Européens, du pape François recevant le prix Charlemagne le 6 mai 2016, « aujourd’hui et plus que jamais, à construire des ponts et à abattre des murs ».
Ces deux volumes seront utiles aux élèves à la recherche de documentation rapide pour un devoir, à des enseignants venant compléter des cours par des références récentes. Enfin, l’historien local y trouvera des pistes à creuser pour des travaux à venir.
Luc-André Biarnais
archiviste du diocèse de Gap
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