À la recherche du temps perdu : Marcel Proust
À la
recherche du temps perdu, couramment évoqué plus simplement sous le
titre La Recherche, est un roman de Marcel Proust, écrit de 1906 à 1922 et publié de 1913 à 1927 en sept tomes, dont les trois
derniers parurent après la mort de l’auteur. Plutôt que le récit d'une séquence
déterminée d'événements, cette œuvre s'intéresse non pas aux souvenirs du
narrateur mais à une réflexion
psychologique sur la
littérature, sur la mémoire et sur le temps. Cependant, comme le souligne Jean-Yves
Tadié dans Proust
et le roman, tous ces éléments épars se découvrent reliés les uns aux
autres quand, à travers toutes ses expériences négatives ou positives, le
narrateur (qui est aussi le héros du roman), découvre le sens de la vie dans
l'art et la littérature au dernier tome.
À la
recherche du temps perdu est parfois considéré comme l'un des meilleurs livres de tous les
temps.
Le roman est
publié en sept tomes :
Du côté de chez Swann (à compte d’auteur chez Grasset en 1913, puis dans une version modifiée
chez Gallimard en 1919 ;
À l'ombre des jeunes filles en fleurs (1919, chez Gallimard ; reçoit le prix Goncourt la même année)
Le Côté de Guermantes (en deux volumes, chez Gallimard, 1920-1921)
Sodome et Gomorrhe I et II (chez Gallimard, 1921-1922)
La Prisonnière (posth. 1923)
Albertine
disparue (posth. 1925 ;
titre original : La Fugitive)
Le Temps
retrouvé (posth. 1927)
En
considérant ce découpage, son écriture et sa publication se sont faites
parallèlement, et la conception même que Proust avait de son roman a évolué au
cours de ce processus.
Alors que le
premier tome est publié à compte d’auteur chez Grasset en 1913 grâce à René Blum (Proust en conserve la propriété
littéraire), la guerre interrompt la publication du deuxième tome et permet à
Proust de remodeler son œuvre, cette dernière prenant de l'ampleur au fil des
nuits de travail qui l'épuisent. L'auteur retravaille sans cesse ses
dactylographies autant que ses brouillons et ses manuscrits, et souhaite mettre
fin à sa collaboration avec l'éditeur. La Nouvelle Revue française, dirigée par Gaston Gallimard, est en pleine bataille
éditoriale avec Grasset depuis 1914 mais a commis l'erreur de refuser en 1913
de publier Du côté de chez Swann par l'entremise d'André Gide, figure dominante du comité
éditorial de la NRF qui juge que c'est un livre de snob dédié à Gaston Calmette, directeur du Figaro. La NRF qui se prétend le fleuron
du renouveau des lettres françaises aggrave son cas le 1er janvier 1914 lorsqu'un de ses fondateurs Henri Ghéon juge Du côté de chez
Swann « une œuvre de loisir dans la plus pleine acception du
terme ». Pourtant des écrivains de renom
comme Lucien Daudet, Edith Wharton et Jean Cocteau ne tarissent pas d'éloges
sur ce premier tome. André Gide reconnaît vite son erreur et supplie Proust de
rejoindre la NRF qui a retrouvé des moyens d'imprimer, au contraire de Grasset
Proust fait part à Grasset de son intention de le quitter en août 1916, et
après un an de règlement du problème (question des indemnités, des compensations,
solde des droits sur Swann), Gaston Gallimard lance la fabrication
de deux volumes et rachète à son concurrent en octobre 1917 les quelque deux
cents exemplaires de Swann qui n’ont pas été vendus : il
les revêt d’une couverture NRF et d’un papillon de relais avant de les remettre
en vente
Combray (d'après le nom littéraire
donné par Proust à son village d'enfance, Illiers, rebaptisé après sa
mort Illiers-Combray) est un petit ensemble qui
ouvre La Recherche du Temps Perdu. Le narrateur, adulte, songe aux
différentes chambres où il a dormi au cours de sa vie, notamment celle de Combray, où il passait ses vacances
lorsqu’il était enfant. Cette chambre se trouvait dans la maison de sa
grand-tante : « La cousine de mon grand-père — ma grand-tante —
chez qui nous habitions… »
Le narrateur
se remémore à quel point l’heure du coucher était une torture pour lui ;
cela signifiait qu’il allait passer une nuit entière loin de sa mère, ce qui
l’angoissait au plus haut point : « …le moment où il faudrait me
mettre au lit, loin de ma mère et de ma grand-mère, ma chambre à coucher
redevenait le point fixe et douloureux de mes
préoccupations. » Pendant longtemps, il ne se souvint que de cet
épisode de ses séjours dans la maison de sa grand-tante. Et puis, un jour, sa
mère lui proposa une tasse de thé et des madeleines, qu’il refusa dans un premier
temps puis finit par accepter. C’est alors que, des années après son enfance,
le thé et les miettes du gâteau firent remonter toute la partie de sa vie
passée à Combray : « … et tout Combray et ses environs, tout
cela qui prend forme et solidité, est sorti, ville et jardins, de ma tasse de
thé. »
Cette partie
de la vie du narrateur n’était pas seulement marquée par le drame du coucher.
Elle fut l’occasion de s’éveiller aux sens (l’odeur des aubépines, la vue de la nature autour de
Combray, lors de promenades familiales), à la lecture (les romans de Bergotte,
auteur fictif qui d'ailleurs sera lui-même un personnage du roman) ; le
narrateur se promène de part et d’autre de Combray avec sa famille : du
côté de Méseglise, ou du côté de Guermantes si le temps le permet. Il adore sa
mère et sa grand-mère, mais, plus globalement, sa famille apparaît comme un
cocon dans lequel le narrateur enfant se sent heureux, protégé et choyé.
Un amour de
Swann est une
parenthèse dans la vie du narrateur. Il y relate la grande passion qu’a
éprouvée Charles Swann (qu'on a rencontré dans la
première partie comme voisin et ami de la famille) pour une cocotte, Odette de Crécy. Dans cette partie, on voit un Swann amoureux mais
torturé par la jalousie et la méfiance vis-à-vis d’Odette. Les deux amants
vivent chacun chez soi, et dès que Swann n’est plus avec son amie, il est rongé
par l’inquiétude, se demande ce que fait Odette, si elle n’est pas en train de
le tromper. Odette fréquente le salon des Verdurin, couple de riches bourgeois qui
reçoivent tous les jours un cercle d’amis pour dîner, bavarder ou écouter de la
musique. Dans un premier temps, Swann rejoint Odette dans ce milieu, mais au
bout d’un moment, il a le malheur de ne plus plaire à madame Verdurin et se
fait écarter des soirées organisées chez elle. Il a alors de moins en moins
l’occasion de voir Odette et en souffre affreusement, puis peu à peu il se
remet de sa peine et s’étonne : « Dire que j’ai gâché des années
de ma vie, que j’ai voulu mourir, … pour une femme…qui n’était pas mon
genre ! » Cette parenthèse n’est pas anecdotique. Elle prépare
la partie de la Recherche dans laquelle le héros connaîtra des
souffrances similaires à celles de Swann.
Noms de
pays : le nom commence
par une rêverie sur les chambres de Combray, et sur celle du grand hôtel
de Balbec (ville imaginaire inspirée en
partie à Proust par la ville de Cabourg). Adulte, le narrateur compare,
différencie ces chambres. Il se souvient que, jeune, il rêvait sur les noms de
différents lieux, tels Balbec, mais aussi Venise, Parme ou Florence. Il aurait alors aimé découvrir
la réalité qui se cachait derrière ces noms, mais le docteur de la famille
déconseilla tout projet de voyage à cause d’une vilaine fièvre que contracta le
jeune narrateur. Il dut alors rester dans sa chambre parisienne (ses parents
vivaient à deux pas des Champs-Élysées) et ne put
s’octroyer que des promenades dans Paris avec sa nourrice Françoise. C’est là qu’il fit la connaissance de Gilberte Swann, qu’il avait déjà aperçue à
Combray. Il se lia d’amitié avec elle et en tomba amoureux. Sa grande affaire
fut à ce moment d’aller jouer avec elle et ses amies dans un jardin proche des
Champs-Élysées. Il se débrouille pour croiser les parents de Gilberte dans
Paris, et salue Odette Swann, devenue la femme de Swann, et la mère de
Gilberte.
À l’ombre des
jeunes filles en fleurs commence à Paris, et toute une partie
intitulée Autour de Madame Swann marque l’entrée de notre
héros dans la maison des parents de Gilberte Swann. Il s’y rend sur invitation de sa
jeune amie, pour jouer ou goûter. Il est si épris qu’une fois rentré chez ses
parents, il fait tout pour orienter les sujets de conversation sur le nom de
Swann. Tout ce qui constitue l’univers des Swann lui semble
magnifique : « …je ne savais ni le nom ni l’espèce des choses
qui se trouvaient sous mes yeux, et comprenais seulement que quand elles
approchaient les Swann, elles devaient être extraordinaires… » Il est
heureux et fier de sortir dans Paris avec les Swann. C’est au cours d’un dîner
chez eux qu’il rencontre l’écrivain Bergotte, dont il aime les livres depuis
longtemps. Il est désappointé : le vrai Bergotte est à mille lieues de
l’image qu’il s’était forgée de lui à la lecture de ses
œuvres ! « Tout le Bergotte que j’avais lentement et
délicatement élaboré… se trouvait d’un seul coup ne plus pouvoir être d’aucun
usage… » Sa relation avec Gilberte évolue : ils se brouillent et
le narrateur décide de ne plus la voir. Sa peine est intermittente. Peu à peu
il parvient à se détacher d’elle, à ne plus ressentir que de l’indifférence à
l’égard de Gilberte. Il reste néanmoins lié avec Odette Swann.
Deux ans
après cette rupture, il part à Balbec avec sa grand-mère (dans la partie
intitulée Noms de Pays : le Pays). Il est malheureux lors du
départ pour cette station balnéaire, car il va se trouver éloigné de sa mère.
Sa première impression de Balbec est la déception. La ville est très différente
de ce qu’il avait imaginé. En outre, la perspective d’une première nuit dans un
endroit inconnu l’effraie. Il se sent seul puis, jour après jour, il observe
les autres personnes qui fréquentent l’hôtel. Sa grand-mère se rapproche d’une
de ses vieilles amies, madame de Villeparisis. C’est le début de promenades
dans la voiture de cette aristocrate. Au cours de l’une d’elles, le narrateur
ressent une étrange impression en apercevant trois arbres, alors que la voiture
se rapproche d’Hudimesnil. Il sent le bonheur l’envahir mais ne comprend pas
pourquoi. Il sent qu’il devrait demander qu’on arrête la voiture pour aller
contempler de près ces arbres mais par paresse, il y renonce. Madame de
Villeparisis lui
présente son neveu, Saint-Loup, avec lequel le héros se lie
d’amitié. Il retrouve Albert Bloch, un ami d'enfance, qu'il présente à Saint-Loup. Il
rencontre enfin le baron de Charlus (un Guermantes, comme madame de
Villeparisis et bien d’autres personnages de l’œuvre de Proust). Le héros est
surpris par le comportement étrange du baron : celui-ci commence par
dévisager intensément notre héros, puis une fois qu’il a fait connaissance avec
lui, il se montre incroyablement lunatique. Petit à petit, le narrateur élargit
le cercle de ses connaissances : Albertine Simonet et ses amies deviennent ses
amies et au début, il se sent attiré par plusieurs de ces jeunes filles. Il
finit par tomber amoureux d’Albertine. Le mauvais temps arrive, la saison se
termine et l’hôtel se vide.
Le Côté de
Guermantes : Ce
volet est divisé en deux parties, dont les événements se déroulent
essentiellement à Paris : les parents du narrateur y changent de logement
et vivent désormais dans une partie de l’hôtel des Guermantes. Leur bonne, la vieille Françoise, regrette ce déménagement. Le narrateur rêve au nom
des Guermantes, comme jadis il rêvait aux noms de pays. Il aimerait beaucoup
pénétrer dans le monde des aristocrates. Pour tenter de se rapprocher de madame
de Guermantes, qu’il importune à force de la suivre indiscrètement dans Paris,
il décide de rendre visite à son ami Robert de
Saint-Loup, qui est en
garnison à Doncières : « L’amitié, l’admiration que Saint-Loup
avait pour moi, me semblaient imméritées et m’étaient restées indifférentes.
Tout d’un coup j’y attachai du prix, j’aurais voulu qu’il les révélât à Madame de
Guermantes, j’aurais
été capable de lui demander de le faire. » Il rend donc visite à son
ami qui le reçoit avec une très grande gentillesse et est aux petits soins pour
lui. De retour à Paris, le héros s’aperçoit que sa grand-mère est malade.
Saint-Loup profite d’une permission pour se rendre à Paris ; il souffre à
cause de sa maîtresse, Rachel, que le narrateur identifie comme une ancienne
prostituée qui travaillait dans une maison de passe. Le narrateur fréquente le
salon de madame de Villeparisis, l’amie de sa grand-mère ; il observe beaucoup
les personnes qui l’entourent. Cela donne au lecteur une image très fouillée du
faubourg Saint-Germain entre la fin du dix-neuvième siècle et le début du
vingtième. Le narrateur commence à fréquenter le salon des Guermantes. La santé
de sa grand-mère continue à se détériorer : elle est victime d’une attaque
en se promenant avec son petit-fils.
Sodome et Gomorrhe
Sodome et Gomorrhe
Le titre
évoque deux villes bibliques détruites par Dieu pour
punir les habitants, infidèles et immoraux (Sodome et Gomorrhe). Dans ce volet, le narrateur
découvre que l’homosexualité est très présente autour de lui. Un jour, il
découvre celle de monsieur de Charlus ainsi
que celle de Jupien, un giletier qui vit près de chez lui. Charlus n’est pas
seulement l’amant de Jupien ; riche et cultivé, il est aussi son
protecteur. Le narrateur, après la découverte de l’inversion sexuelle de
Charlus, se rend à une soirée chez la princesse de Guermantes. Cela lui permet
d’observer de près le monde de l’aristocratie du faubourg Saint-Germain, et de
se livrer à des considérations sur cette partie de la société. Après cette
longue soirée, le narrateur rentre chez lui et attend la visite de son
amie Albertine ; comme celle-ci se fait
attendre, le héros s’irrite et devient anxieux. Finalement, Albertine arrive et
la glace fond. Cela dit, le cœur du narrateur est instable. Il lui arrive de ne
plus ressentir d’amour pour Albertine, ce qu’il appelle « les
intermittences du cœur ». Il fait un deuxième séjour à Balbec. Cette fois-ci, il est seul, sa
grand-mère est morte. Cela l’amène à faire des comparaisons avec son premier
séjour dans cette station balnéaire. En se déchaussant, il se souvient
qu’alors, sa grand-mère avait tenu à lui ôter elle-même ses souliers, par amour
pour lui. Ce souvenir le bouleverse ; il comprend seulement maintenant
qu’il a perdu pour toujours sa grand-mère qu’il adorait. Ce séjour à Balbec est
rythmé par les sentiments en dents de scie que le héros éprouve pour
Albertine : tantôt il se sent amoureux, tantôt elle lui est indifférente
et il songe à rompre. Il commence d’ailleurs à avoir des soupçons sur
elle : il se demande si elle n’est pas lesbienne. Mais il n’arrive pas à
avoir de certitudes. À la fin de ce second séjour, il décide d’épouser
Albertine, pensant que, ce faisant, il la détournera de ses penchants pour les
femmes.
La
Prisonnière : Le
narrateur est de retour à Paris, dans la maison de ses parents, absents pour le
moment. Il y vit avec Albertine, et Françoise, la bonne. Les deux amants ont
chacun leur chambre et leur salle de bains. Le narrateur fait tout pour
contrôler la vie d’Albertine, afin d’éviter qu’elle donne des rendez-vous à des
femmes. Il la maintient pour ainsi dire prisonnière chez lui, et lorsqu’elle
sort, il s’arrange pour qu’Andrée, une amie commune aux deux amoureux, suive
Albertine dans tous ses déplacements. L’attitude du narrateur est très proche
de celle de Swann avec Odette dans Un amour de Swann. L’amour, loin
de le rendre heureux, suscite une incessante méfiance, et une jalousie de tous
les instants. Le héros se rend compte aussi que malgré toutes ses précautions,
Albertine lui est étrangère à bien des égards. Quoi qu’il fasse, elle reste
totalement un mystère pour lui. Cette vie en commun ne dure pas longtemps. Un
jour, Françoise annonce au narrateur qu’Albertine est partie de bon matin.
Albertine
disparue : Dans
certaines éditions, ce volet est intitulé La Fugitive (titre
originellement voulu par Proust mais que portait déjà un autre livre), titre
qui correspond aussi très bien au contenu de cette partie (et qui fait diptyque
avec La Prisonnière). Albertine s’est enfuie de chez le narrateur
alors que celui-ci commençait à ressentir la plus complète indifférence pour
elle. Cela provoque un nouveau revirement de son cœur. Il fait tout pour
retrouver sa maîtresse, et veut croire qu’il sera très vite en sa présence.
Hélas, il apprend par un télégramme qu’Albertine est morte, victime d’une chute
de cheval. Elle lui échappe ainsi définitivement. Son cœur oscille entre
souffrance et détachement au fil du temps. Il se livre, auprès d’Andrée, à un
travail d’enquêteur pour savoir si oui ou non elle était lesbienne et découvre
bientôt que c'était effectivement le cas. Il se rend chez la duchesse de
Guermantes et y croise son amour d’enfance, Gilberte Swann, devenue
mademoiselle Gilberte de Forcheville : Swann est mort de maladie, et
Odette s’est remariée avec monsieur de Forcheville. Swann rêvait de faire
admettre sa femme dans les milieux aristocratiques : à titre posthume, son
souhait est exaucé par le riche remariage d’Odette. Le narrateur fait un voyage
à Venise avec sa mère. Au retour, il apprend le mariage de Gilberte avec son
ami Robert de Saint-Loup. Quelque temps après, il se rend à Tansonville, non
loin de Combray, chez les nouveaux mariés. Gilberte se confie au
narrateur : elle est malheureuse car Robert la trompe. C’est exact, mais
elle croit que c’est avec des femmes alors que Robert est attiré par les
hommes.
Le Temps
retrouvé : Le
début de ce dernier volet se passe encore à Tansonville. Le narrateur, qui
voudrait devenir écrivain depuis qu’il est enfant, lit un passage du Journal des
Goncourt avant de s’endormir, et cela l’amène à croire qu’il n’est pas capable
d’écrire. Il décide de renoncer à devenir écrivain. Nous sommes en pleine Première
Guerre mondiale. Le Paris de cette période montre des personnages globalement
germanophobes, et totalement préoccupés par ce qui se passe sur le front.
Charlus est une exception : il est germanophile. Saint-Loup s’est engagé
et il est parti combattre. Il se fait tuer sur le champ de bataille. Après la
guerre, le narrateur se rend à une matinée chez la princesse de Guermantes. En
chemin, il a de nouveau conscience de son incapacité à écrire. Il attend la fin
d’un morceau de musique dans le salon-bibliothèque des Guermantes et le bruit
d’une cuiller, la raideur d’une serviette qu’il utilise déclenchent en lui le
plaisir qu’il a ressenti autrefois en maintes occasions : en voyant les
arbres d’Hudimesnil par exemple. Cette fois-ci, il décide d’approfondir son
impression, de découvrir pourquoi certaines sensations le rendent si heureux.
Et il comprend enfin que la mémoire involontaire est seule capable de
ressusciter le passé, et que l’œuvre d’art permet de vivre une vraie vie, loin
des mondanités, qu’elle permet aussi d’abolir les limites imposées par le
Temps. Le héros est enfin prêt à créer une œuvre littéraire.
Analyse
Il est
difficile de résumer la Recherche. Mais l'on peut se reporter à des
études portant sur l'œuvre de Proust comme l'essai de Gérard Genette : « Comment le
petit Marcel est devenu écrivain » (Figures) ou le livre
de Jean-Yves
Tadié, « Proust
et le Roman ». Dans celui-ci Jean-Yves Tadié pense que
l'œuvre « a pour sujet sa propre rédaction. » Dans
l'article Marcel Proust de l'Encyclopædia
universalis, il précise : « Proust a caché son jeu
plus qu'aucun autre romancier avant lui, car, si l'on entrevoit que le roman
raconte une vocation, on la croit d'abord manquée, on ne devine pas que le
héros aura pour mission d'écrire le livre que nous sommes en train de
lire. » Pour Tadié, La Recherche est mouvement vers
l'avenir de la vocation auquel « se superpose la plongée vers le
passé de la remémoration : le livre sera achevé lorsque tout l’avenir de
l’artiste aura rejoint tout le passé de l’enfant.
Éléments de
réflexion
La démarche
de Proust est paradoxale : dans la Recherche, dont sa vie
personnelle a beaucoup influencé le roman, les événements sont décrits dans les
moindres détails, dans un milieu très spécifique (la haute bourgeoisie et
l'aristocratie française du début du xxe siècle)
ce qui lui permet d'accéder à l'universel : « J’ai eu le malheur
de commencer mon livre par le mot « je » et aussitôt on a
cru que, au lieu de chercher à découvrir des lois générales, je m’analysais au
sens individuel et détestable du mot », écrit Marcel Proust.
Influence
La
philosophie et l'esthétique de l'œuvre de Proust ne peuvent cependant être
extraites complètement de leur époque :
la
philosophie de Schopenhauer : pour Anne-Henry, dont
l'influence de ce philosophe est capitale,
la sociologie
de Gabriel Tarde,
l'impressionnisme,
la musique
de Wagner,
l'affaire Dreyfus.
Son style
reste très particulier. Ses phrases, souvent longues et à la construction
complexe rappellent le style du duc de Saint-Simon, l'un des auteurs qu'il cite le plus
souvent. Certaines nécessitent un certain effort de la part du lecteur pour
distinguer leur structure et donc leur sens précis. Ses contemporains
témoignent que c'était à peu près la langue parlée de l'auteur.
Quant à
l'influence de Saint-Simon, Jacques de
Lacretelle rapporte
qu' "un professeur américain, M. Herbert de Ley, auteur d'une étude courte
mais précise et documentée intitulée Marcel Proust et le duc de
Saint-Simon, a constaté que sur quelque quatre cents personnages
aristocratiques chez Proust presque la moitié portent des noms qui paraissent
dans les Mémoires de
Saint-Simon."
Ce style
particulier traduit une volonté de saisir la réalité dans toutes ses
dimensions, dans toutes ses perceptions possibles, dans toutes les facettes du
prisme des différents intervenants. On rejoint les préoccupations des
impressionnistes : la réalité n'a de sens qu'à travers la perception,
réelle ou imaginaire, qu'en a le sujet.
Le prisme
n'est pas que celui des acteurs, mais aussi celui de l'auteur qui se trouve
dans plusieurs angles de vue avec le temps qui passe, le point de vue du moment
présent, le point de vue du moment passé, le point de vue du moment passé tel
qu'il le revit au présent.
L'œuvre ne se
limite pas à cette dimension psychologique et introspective, mais analyse
aussi, d'une manière souvent impitoyable, la société de son temps :
opposition entre la sphère aristocratique des Guermantes et la bourgeoisie
parvenue des Verdurin, auxquelles il faut ajouter le monde des domestiques
représenté par Françoise. Au fil des tomes, l'œuvre reflète aussi l'histoire
contemporaine, depuis les controverses de l'affaire Dreyfus jusqu'à la guerre de 1914-1918.
A propos du
temps et des lieux de la Recherche
L'action
s'inscrit dans un temps parfaitement défini; de nombreuses références
historiques sont là pour fixer le temps de la Recherche. On peut
citer de nombreux exemples:
Swann, quand il commence à fréquenter
le salon des Verdurin,
déjeune un jour chez M. Grévy, à l'Elysée; les Verdurin ont
assisté à l'enterrement de Gambetta.
Il est
question dans A l'ombre des jeunes filles en fleurs de la
visite du tsar Nicolas II à Paris à l'automne 1896
Mais il ne
faut pas chercher à rendre toutes ces allusions cohérentes.
De même, les
lieux de la Recherche sont souvent parfaitement identifiables :
Quand elle
rencontre Swann, Odette de Crécy habite rue La
Pérouse, derrière l'Arc de triomphe; Swann, le quai
d'Orléans.
Le narrateur et Gilberte Swann jouent dans les jardins des Champs-Elysées.
Un roman d'apprentissage selon Gilles Deleuze
Deleuze voit dans La
Recherche un roman d'apprentissage sur les signes. Il y a consacré un
livre, Proust et les signes, 1964.
Personnages
principaux
le narrateur
sa mère
sa grand-mère
Albertine
Françoise
Charles Swann : inspiré par Charles Haas (1833-1902)
Odette Swann : Laure Hayman, amie de Proust et de Paul Bourget, serait le modèle supposé du
personnage
Gilberte
Swann
Robert de
Saint-Loup ;
inspiré en partie par le prince Léon Radziwill, par Gaston Arman de Caillavet et par le duc de Guiche
le baron de Charlus
la duchesse de
Guermantes :
inspirée notamment par Mme Straus, la comtesse de
Chevigné, Hélène
Standish et par
la comtesse Greffulhe
Madame
Verdurin :
inspirée en partie par Madame Arman
de Caillavet
mais aussi
des représentants emblématiques des arts (Bergotte pour la littérature, Vinteuil pour
la musique, Elstir pour la peinture), de la médecine
(le docteur
Cottard), etc.
Éditions
Edition
italienne, I Meridiani, Mondadori, 1983.
Gallimard :
Les quatre versions chez Gallimard utilisent toutes le même texte :
Pléiade :
édition en 4 volumes, reliée cuir, avec notes et variantes
Folio :
édition en 7 volumes, poche
Collection
blanche : édition en 7 volumes, grand format
Quarto :
édition en 1 volume, grand format
Garnier-Flammarion :
édition en 10 volumes, poche
Livre de
Poche : édition en 7 volumes, poche
Bouquins :
édition en 3 volumes, grand format
Omnibus :
édition en 2 volumes, grand format
Intégrale
de À la recherche du temps perdu, lu par André Dussollier, Guillaume
Gallienne, Michaël Lonsdale, Denis
Podalydès, Robin Renucci et Lambert Wilson aux éditions Thélème.
MARCEL PROUST (1871-1922)
Valentin Louis Georges Eugène Marcel Proust est un auteur français qui a marqué le XXe siècle et la littérature mondiale par son œuvre éblouissante.
Issu d’un milieu bourgeois, cultivé et marqué par un entourage féminin, le jeune Marcel est de santé fragile ; il aura toute sa vie de graves difficultés respiratoires causées par l'asthme.
Il fait d’abord des études de droit, puis de lettres, pour finir par intégrer le milieu artistique et mondain de Paris, ce qui lui vaut une réputation de dilettante mondain.
Il commence une carrière de journaliste-chroniqueur, travaillant aussi à un roman qui semble ne jamais pouvoir s’achever ("Jean Santeuil").
En 1900, il voyage à Venise et à Padoue pour découvrir les œuvres d'art en suivant les pas de John Ruskin sur lequel il publie des articles et dont il traduit sans succès certains ouvrages.
La mort de sa mère déstabilise encore sa personnalité sensible et inquiète. Son activité littéraire devient plus intense, et c'est en 1907 que Marcel Proust commence l'écriture de son grand œuvre "À la recherche du temps perdu", dans la solitude de sa chambre aseptisée. Il écrit l'un des romans occidentaux les plus achevés, dont les sept tomes sont publiés entre 1913 et 1927, c'est-à-dire en partie après sa mort.
Il s’insurge contre la méthode critique de Sainte-Beuve, alors très en vogue, selon laquelle l'œuvre d'un écrivain serait avant tout le reflet de sa vie et ne pourrait s'expliquer que par elle.
Tandis que la première partie, "Du côté de chez Swann", passe inaperçue, "A l'ombre des jeunes filles en fleurs", le deuxième volet de la "Recherche" reçoit en 1919 le prix Goncourt.
Dans l'ensemble de son œuvre, Proust questionne les rapports entre temps, mémoire et écriture. Connu pour la longueur de ses phrases parsemées de relatives au rythme dit "asthmatique", Marcel Proust reste une référence et un monument incontestable de la littérature française. Dans la "Recherche du Temps Perdu", il réalisa une réflexion sur le sens de l'art et de la littérature, sur l'existence même du temps, sur sa relativité et sur l'incapacité à le saisir au présent.
Ses amis et relations utilisaient, pour qualifier sa manière d'écrire, le verbe « proustifier » .
Il meurt, épuisé, emporté par une bronchite mal soignée.
Publication : Bibliothèque diocésaine d'Aix et Arles
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