La
Souffrance de Dieu
François
Varillon
Paris,
Edition Bayard/Le Centurion, 1975. 115 pages.
Quatrième de couverture
Un Dieu impassible qui surplombe du haut
de sa gloire le mal et le malheur du monde ! Cette image continue de vivre dans
les profondeurs de l'inconscient. Mais, si rien n'affecte jamais son éternelle
sérénité, Dieu ne peut être qu'indifférent et insensible au drame des humains.
Doit-on vraiment oublier la souffrance des hommes pour chanter l'éclat de Dieu
trois fois saint ? La souffrance demeure. Aujourd'hui des théologiens
s'interrogent sur la présence en Dieu même d'un mystère de souffrance. Ne
souffrirait-il pas lui-même de tout le mal qui ravage la terre, comme osait
l'écrire Jacques Maritain ? Il a fallu le courage intellectuel et l'audace
croyante du père Varillon pour l'exprimer clairement, avec une fervente et
patiente attention au mystère de Dieu vivant et à celui de notre condition.
Pour parler de Dieu, de sa miséricorde autant que de sa puissance, de sa
sensibilité autant que de sa perfection, pour dire la joie sans oublier le mal et
la détresse, il faut méditer ces pages. Elles sont pleines du tourment de Dieu
et de l'homme. Depuis la parution de ce très beau livre, beaucoup s'accordent à
dire avec le père Jacques Guillet : " Personnellement je ne puis penser à
Dieu autrement que sous ces traits. " Parce que ces traits consonnent le
plus avec le témoignage même de la Bible.
En voici quelques passages
Le paradoxe d'un Dieu
humble est apparu violent à plus d'un. Voici que celui d'un Dieu qui souffre
l'est davantage encore. Est-il vrai que la souffrance, comme l'humilité, est au
cœur de la Gloire ? Pour approcher ce
mystère, (...) à la seule pensée qu'il est possible que Dieu souffre, être
saisi soi-même par une souffrance qui serait, si faible soit-elle, une
participation à la sienne. Car, si Dieu souffre, ce ne peut être d'une émotion
vague, en quelque sorte marginale, ou qui effleure sans étreindre.
Rien n'est accidentel en Dieu. Si Dieu souffre, sa souffrance a la même dimension que son être et que sa joie. Dimension sans dimension. Sans limite. Infinie. Au cœur de l'Essence et selon l'incommensurable ampleur de son rayonnement » (page 12)
Rien n'est accidentel en Dieu. Si Dieu souffre, sa souffrance a la même dimension que son être et que sa joie. Dimension sans dimension. Sans limite. Infinie. Au cœur de l'Essence et selon l'incommensurable ampleur de son rayonnement » (page 12)
Mais il y a ceci que je ne
puis pas vouloir positivement, ni même désirer ; l'expérience d'une participation à la
souffrance de Dieu (...) ne peut être qu'une théopathie. Au double sens du mot : non seulement "
souffrir Dieu ", comme tous les mystiques (...) mais souffrir sa
souffrance. En deçà déjà de cet éventuel redoublement de d’abîme, j’ai appris
qu’une « intention du mysticisme (...) et « destructive de la
mystique : elle lui substitue en effet un esthétisme de la
spiritualité » Je dois donc, parlant d’un Dieu qui peut-être souffre, me résigner à souffrir de ne pas souffrir,
veillant seulement à ne jamais me complaire en ce qui serait augmentation de
connaissance (...) » (pp. 12-13)
Que votre livre, me dit une
jeune femme, soit l’enfant du désert ! Elle dit bien. Mais quelle amertume
tout de même en cette sécheresse obligée, quand je songe qu’un Dostoievski était malade d'émotion devant la
toile de Holbein, au musée de Bâle, représentant le corps décomposé du Christ
détaché de la croix ! A cet instant le grand romancier échappait à ce qu'il
appelait le "terrestre ordre normal ", entendant par là l'équilibre
facile de l'existence en sa banalité, privée de tragique, de profondeur et de
mystère. Si du moins j'étais frappé en plein visage, et mon lecteur avec moi,
par la gravité du visage de Dieu ! Cela doit être possible. Mais Hegel avait
bien raison de redouter l’art médiocre qui « donne à la platitude
l’apparence d’un discours profond ». (p.13)
L'Image d'un Dieu
impassible qui surplombe dans une olympienne sérénité le mal et le malheur du
monde subsiste et vit d'une vie secrète dans les profondeurs de l'inconscient
de l'humanité. Impassible, cela veut dire insensible, donc indifférent (...).
Comment croire que Dieu est Amour, s'il faut penser que notre souffrance ne
l'atteint pas dans son être éternel ? Quand je pleure ou me dégrade, est-il
"marbre absolu "? L'amour est vulnérable, mais une nature parfaite ne
l'est pas. Or Dieu est parfait, sauf à ne pas être vraiment Dieu. Aussi bien,
pour plus d'un, l'image d'un être que rien ne peut blesser se juxtapose, non
sans susciter une sourde révolte, la réalité historique d'un Christ fraternel
qui a souffert et qui est mort sur une croix. La souffrance du Christ, loin
d'atténuer le scandale de l'impassibilité du Père et de l'Esprit, semblerait
plutôt l'accroître. Car ce n'est pas seulement la douleur des créatures qui
serait impuissante è émouvoir l'éternel, mais celui que le Père a envoyé, le
Fils fait homme, aurait pu agoniser jusqu'à suer du sang sans qu'en son être
immuablement bienheureux l'Absolu ait douloureusement vibré!
Jésus d'ailleurs n'a
souffert qu'un temps, la douleur humaine est de tous les temps. C'est maintenant
que j'ai mal, c'est autrefois qu'il a porté sa croix. Il est maintenant
glorieux. Au chevet du cancéreux dont la face est rongée et qui respire
interminablement, l'épouse la plus chrétienne peut laisser échapper cette
plainte qu'il serait bien imprudent de qualifier de « blasphème grave "
Pour le Christ cela n'a duré que quelques heures, pour toi ce sont des mois!
" Dérision tragique, quand on entend cela, du moindre essai d'argumenter
sur le rapport de l'éternité et du temps! Rien ne peut faire qu'à l'heure où je
plie sous le fardeau, le bonheur de Dieu et de son Christ ne soit imaginé comme
étant sans défaut. Puissance de l'inconscient! Ténacité des fantasmes qu'il
suscite ! (pp. 14-15)
Si les gens savaient... que
Dieu `'souffre" avec nous et beaucoup plus que nous de tout le mal qui
ravage la terre, bien des choses changeraient sans doute, et bien des âmes
seraient libérées" (...) (p. 15)
Dans l'ordre de l'être, la
souffrance est une imperfection. Dans l'ordre de l'amour, elle est le sceau de
la perfection (p. 71).
Jésus avait touché le fond
de la douleur des hommes en épousant sur la croix leur solitude. Il ne savait
pas, disions-nous, que le Père partageait sa souffrance: aspect abyssal de la
kénose. Mais ce qu'alors le Père partage, c'est, plus profonde que toute autre
souffrance, la solitude du Fils. Car il sait que le Fils ne sait pas, et son
amour, en le retenant d'intervenir, atteint la cime de sa puissance: c'est, la
lettre, la Toute-Puissance. (p.74)
Si Dieu souffre, c'est de
trop aimer (p. 76)
Publication : Bibliothèque diocésaine d'Aix et Arles
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