Anne Frank est née le 12 juin 1929
à Francfort. Sa famille a émigréaux Pays-Bas en 1933. À Amsterdam, elle connaît
une enfance heureuse jusqu’en 1942, malgré la guerre. Le 6 juillet 1942, les
Frank s’installent clandestinement dans «l’Annexe» de l’immeuble du 263,
Prinsengracht. Le 4 août 1944, ils sont arrêtés sur dénonciation. Déportée à Auschwitz,
puis à Bergen-Belsen, Anne meurt du typhus en février ou mars 1945, peu après
sa sœur Margot. La jeune fille a tenu son journal du 12 juin 1942 au 1er août
1944, et son témoignage, connu dans le monde entier, reste l’un des plus
émouvants sur la vie quotidienne d’une famille juive sous le joug nazi. Cette
édition comporte des pages inédites.
Biographie de l'auteur
Annelies Marie Frank, plus
connue sous le nom d'Anne Frank, née le 12 juin 1929 à Francfort-sur-le-Main,
en Allemagne, sous la République de Weimar, ayant vécu la majeure partie de sa
vie aux Pays-Bas et décédée en mars 1945 (environ deux mois avant la
capitulation allemande) à Bergen-Belsen en Allemagne nazie, fut une adolescente
allemande juive ayant écrit un journal intime, rapporté dans le livre « Journal
d'Anne Frank », alors qu'elle se cachait avec sa famille et quatre amis à
Amsterdam pendant l'occupation allemande durant la Seconde Guerre mondiale dans
le but d'éviter la Shoah.
Analyse
Le 20 juin 1942, Anne Frank écrit dans son journal intime : “Il me
semble que plus tard, ni moi ni personne ne s’intéressera aux confidences d’une
écolière de treize ans.” Il est aujourd’hui l’un des livres les plus connus au
monde. Le journal d’un confinement très particulier. A-t-il quelque chose de
nouveau à nous apprendre ?
Il y a quelque chose de troublant à relire le
Journal d’Anne Frank, l’écrit de confinement le plus célèbre au monde. Le récit
d’une vie en vase clos alors que, dehors, le péril nazi se déployait partout.
Soyons clairs : les temps présent et passé n’ont rien de commun. Le Covid-19 ne
vient pas frapper à nos portes, ou les fracturer, pour emporter certains
d’entre nous vers une mort quasi certaine. Est-il pour autant indécent de
redécouvrir le livre à l’aune de nos confinements sanitaires ? L’occasion, au
contraire, pourrait bien se révéler parfaite.
Anne Frank, donc. La petite fille d’Amsterdam dont
des dizaines de milliers de touristes visitent chaque année la maison, devenue
musée. Ou mémorial. Qui se souvient qu’elle était née en Allemagne ? Pays à
peine connu. Dès 1933, et l’arrivée de Hitler au pouvoir, les Frank avait
choisi l’exil aux Pays-Bas, pensant y trouver la sécurité. De juin 1942 à août 1944, leur fille cadette y tiendra donc son journal
intime.
Aux premiers jours, elle et les siens n’ont pas encore rejoint la clandestinité. Anne, comme les autres enfants, continue d’aller à l’école. Elle se chercher un confident. « Je vais pouvoir, j’espère, te confier toutes sortes de choses, comme je n’ai encore pu le faire à personne, et j’espère que tu me seras d’un grand soutien », écrit-elle le 12 juin 1942, en ouverture du cahier qu’elle vient de recevoir comme cadeau d’anniversaire pour ses 13 ans. Les jours et les mois suivants, elle rédigera sur ses pages des dizaines de lettres, adressées à une amie imaginaire. Récit d’abord presque ordinaire d’une écolière trop bavarde, qui redoute le conseil de classe, et observe avec amusement les garçons en train de lui faire la cour.
Aux premiers jours, elle et les siens n’ont pas encore rejoint la clandestinité. Anne, comme les autres enfants, continue d’aller à l’école. Elle se chercher un confident. « Je vais pouvoir, j’espère, te confier toutes sortes de choses, comme je n’ai encore pu le faire à personne, et j’espère que tu me seras d’un grand soutien », écrit-elle le 12 juin 1942, en ouverture du cahier qu’elle vient de recevoir comme cadeau d’anniversaire pour ses 13 ans. Les jours et les mois suivants, elle rédigera sur ses pages des dizaines de lettres, adressées à une amie imaginaire. Récit d’abord presque ordinaire d’une écolière trop bavarde, qui redoute le conseil de classe, et observe avec amusement les garçons en train de lui faire la cour.
À huit dans « l’Annexe »
L’insouciance est brève. Moins d’un mois après le
début du journal, Otto Frank, le père, reçoit une convocation des SS. Il faut
se cacher. Ainsi débute l’enfermement ; la tragédie familiale entrée dans les
manuels d’histoire : pendant vingt-quatre mois, le père, la mère et leurs deux
filles (l’aînée, Margot, a trois ans et demi de plus qu’Anne) vont vivre au
secret, avec quelques-unes de leurs connaissances. Au total ils sont sept, puis
huit, à se replier au sein de « l’Annexe », un appartement pas très grand,
niché dans l’immeuble qui abrite l’entreprise d’Otto, et dont l’entrée est
dissimulée derrière une bibliothèque. À l’extérieur, un petit réseau de
solidarité les aide à tenir. Et Anne, jour après jour, brosse le tableau de
cette vie amputée, qui résiste.
Bien sûr, elle dit l’angoisse, qui d’un instant à
l’autre peut surgir de tout et de rien – un bruit dans l’escalier voisin, des
tirs dans la rue, un bombardement aérien. Elle dit aussi les éclairs d’espoir,
d’exaltation collective, quand le poste de radio annonce l’amorce d’un
revirement sur le front (« Mercredi soir 8 septembre [1943],
nous nous étions installés devant la radio pour sept heures, et voilà les
premiers mots que nous avons entendus “Here follows the best news from whole
the war : Italie has capitulated 23.” L’Italie a capitulé sans condition ! »).
Mais ce qu’Anne Frank décrit surtout, c’est la
petite société qui se met en place entre les murs de l’Annexe. Elle la dépeint
avec soin, et un sens du détail qui tiendrait presque de la littérature
naturaliste. Longuement, de façon aussi précise que répétée, elle s’attarde sur
les gestes, les manies, les dits et non-dits des occupants de la cachette,
mettant au jour un peu de la psychologie des uns et des autres. Elle donne à
voir, dans l’enfermement, leurs moments de partage, d’ennui, de rêverie,
d’agacement. Confesse sans détour le gouffre émotionnel qui la sépare de sa
mère, soulignant au contraire à quel point elle se sent proche de son père.
Comment gérer l’intimité ?
Pointe, avec le même naturel, l’importance soudain
majeure de considérations d’ordinaire anodines – l’usage partagé des
sanitaires. Remarque le rapport de chacun à la pudeur, et sa façon de la gérer
dans un espace qui ne laisse plus guère de place à l’intimité (« comme tous
les sept, nous sommes très différents et que le niveau de pudibonderie est plus
élevé chez les uns que chez les autres, chaque membre de la famille s’est
choisi son recoin personnel », 29 septembre 1942).
En cela, sa radioscopie de la vie confinée résonne
sans doute plus fortement que d’habitude pour les lecteurs que nous sommes
aujourd’hui. Quand Anne Frank relève les sempiternelles disputes entre sa mère
et madame Van Daan – cachée elle aussi dans l’Annexe, avec son époux et leur
fils –, notant que la cohabitation tend, forcément, les relations. Quand elle
parvient malgré tout à s’amuser, en se déguisant avec le fils des Van Daan,
Peter, qui a l’âge de sa sœur, donc celui des jeux enfantins.
Quand elle s’applique, même privée de classe, à
poursuivre son apprentissage grâce à la complicité d’une employée d’Otto Frank
(« Bep a commandé auprès de je ne sais quelle association des cours de
sténographie par correspondance pour Margot, Peter et moi. Tu vas voir quels
parfaits sténographes nous serons l’année prochaine », 1er octobre
1942). Ou, mieux, quand elle raconte qu’après quelques semaines d’enfermement,
tout le monde constate les dégâts pondéraux ! « Ce matin, nous sommes
tous passés sur la balance. Margot pèse maintenant 120 livres, maman 124, papa
141, Anne 87, Peter 134, Mme Van Daan 106, M. Van Daan 150. Depuis trois mois
que je suis ici, j’ai pris 17 livres, énorme, non ? », 14 octobre
1942).
“Comme nous avons la vie facile ici, facile et
tranquille. Nous n’aurions pas à nous inquiéter de toute cette détresse, si
nous ne craignions pas tant pour tous ceux qui nous sont si chers.” Anne Frank
Puis, en tournant une page, la réalité des années 1940 nous rappelle soudain toute la singulière horreur que vécurent les « Annexiens », comme Anne avait fini par les appeler, puisque la cachette semblait être devenue l’unique patrie qui les accepte. Il arrivait à la jeune fille de regarder par-delà les rideaux.
« Souvent le soir, à la nuit tombée, je vois
marcher ces colonnes de braves gens innocents, avec des enfants en larmes,
marcher sans arrêt, sous le commandement de quelques-uns de ces types, qui les
frappent et les maltraitent jusqu’à les faire tomber d’épuisement, ou presque.
Personne n’est épargné, vieillards, enfants, bébés, femmes enceintes, malades,
tout, tout est entraîné dans ce voyage vers la mort. Comme nous avons la vie
facile ici, facile et tranquille. Nous n’aurions pas à nous inquiéter de toute
cette détresse, si nous ne craignions pas tant pour tous ceux qui nous sont si
chers et que nous ne pouvons plus aider. Je me sens mauvaise d’être dans un lit
bien chaud alors que mes amies les plus chères, quelque part au-dehors, ont été
jetées par terre ou se sont effondrées » (19
novembre 1942).
Le
récit de ses états d’âme, sans jamais s’épargner
Stupéfiantes maturité et dignité d’une adolescente
confrontée au pire et qui, au fil des pages, observe ses propres états d’âme
sans jamais s’épargner.
Son journal s’achève le 1er août 1944. Trois jours
plus tard, les occupants de l’Annexe étaient arrêtés, sans doute à la suite
d’une dénonciation. Tous déportés. Seul Otto Frank en revint vivant. À relire
aujourd’hui le cahier de sa fille retrouvé après-guerre, nous n’apprendrons
rien de fondamentalement nouveau sur l’horreur d’une guerre – une vraie. Mais
peut-être un peu sur nos peurs, nos plaintes, parfois nos drames. Plus que
jamais, ce livre-là nous met face à nous-mêmes.
Samedi 20
juin 1942
C’est une
sensation très étrange, pour quelqu’un dans mon genre, d’écrire un journal. Non
seulement je n’ai jamais écrit, mais il me semble que plus tard, ni moi ni
personne ne s’intéressera aux confidences d’une écolière de treize ans. Mais à
vrai dire, cela n’a pas d’importance, j’ai envie d’écrire et bien plus encore
de dire vraiment ce que j’ai sur le cœur une bonne fois pour toutes à propos d’un tas
de choses. Le papier a plus de patience que les gens : ce dicton m’est
venu à l’esprit par un de ces jours de légère mélancolie où je m’ennuyais, la tête
dans les mains, en me demandant dans mon apathie s’il fallait sortir ou rester
à la maison et où, au bout du compte, je restais plantée là à me morfondre.
Oui, c’est vrai, le papier a de la patience, et comme je n’ai pas l’intention
de jamais faire lire à qui que ce soit ce cahier cartonné paré du titre pompeux
de "Journal", à moins de rencontrer une fois dans ma vie un ami ou
une amie qui devienne l’ami ou l’amie avec un grand A, personne n’y verra
probablement d’inconvénient.
Me voici
arrivée à la constatation d’où est partie cette idée de journal ; je n’ai
pas d’amie.
Pour être
encore plus claire, il faut donner une explication, car personne ne
comprendrait qu’une fille de treize ans soit complètement seule au monde, ce
qui n’est pas vrai non plus : j’ai des parents adorables et une soeur de
seize ans, j’ai, tout bien compté, au moins trente camarades et amies, comme on
dit, j’ai une nuée d’admirateurs, qui ne me quittent pas des yeux et qui en
classe, faute de mieux, tentent de capter mon image dans un petit éclat de
miroir de poche. J’ai ma famille et un chez-moi. Non, à première vue, rien ne
me manque, sauf l’amie avec un grand A. Avec mes camarades, je m’amuse et c’est
tout, je n’arrive jamais à parler d’autre chose que des petites histoires de tous
les jours, ou à me rapprocher d’elles, voilà le hic. Peut-être ce manque
d’intimité vient-il de moi, en tout cas le fait est là et malheureusement, on
ne peut rien y changer. De là ce journal. Et pour renforcer encore dans mon
imagination l’idée de l’amie tant attendue, je ne veux pas me contenter
d’aligner les faits dans ce journal comme ferait n’importe qui d’autre, mais je
veux faire de ce journal l’amie elle-même et cette amie s’appellera Kitty.
Idiote !
Mon histoire ! on n’oublie pas ces choses-là.
Comme on
ne comprendra rien à ce que je raconte à Kitty si je commence de but en blanc,
il faut que je résume l’histoire de ma vie, quoi qu’il m’en coûte.
Mon père, le plus chou des petits papas que j’aie jamais rencontrés, avait déjà trente-six ans quand il a épousé ma mère, qui en avait alors vingt-cinq. Ma soeur Margot est née en 1926, à Francfort-sur-le-Main en Allemagne. Le 12 juin 1929, c’était mon tour.
Mon père, le plus chou des petits papas que j’aie jamais rencontrés, avait déjà trente-six ans quand il a épousé ma mère, qui en avait alors vingt-cinq. Ma soeur Margot est née en 1926, à Francfort-sur-le-Main en Allemagne. Le 12 juin 1929, c’était mon tour.
J’ai
habité Francfort jusqu’à l’âge de quatre ans.
Comme nous sommes juifs à cent pour cent, mon père est venu en Hollande en 1933, où il a été nommé directeur de la société néerlandaise Opekta, spécialisée dans la préparation de confitures. Ma mère, Edith Frank-Holländer, est venue le rejoindre en Hollande en septembre. Margot et moi sommes allées à Aix-la-Chapelle, où habitait notre grand-mère. Margot est venue en Hollande en décembre et moi en février et on m’a mise sur la table, parmi les cadeaux d’anniversaire de Margot.
Comme nous sommes juifs à cent pour cent, mon père est venu en Hollande en 1933, où il a été nommé directeur de la société néerlandaise Opekta, spécialisée dans la préparation de confitures. Ma mère, Edith Frank-Holländer, est venue le rejoindre en Hollande en septembre. Margot et moi sommes allées à Aix-la-Chapelle, où habitait notre grand-mère. Margot est venue en Hollande en décembre et moi en février et on m’a mise sur la table, parmi les cadeaux d’anniversaire de Margot.
Peu de
temps après, je suis entrée à la maternelle de l’école Montessori, la sixième.
J’y suis restée jusqu’à six ans, puis je suis allée au cours préparatoire. En
CM2, je me suis retrouvée avec la directrice, Mme Kuperus, nous nous
sommes faits des adieux déchirants à la fin de l’année scolaire et nous avons
pleuré toutes les deux, parce que j’ai été admise au lycée juif où va aussi
Margot.
Notre vie
a connu les tensions qu’on imagine, puisque les lois antijuives de Hitler n’ont
pas épargné les membres de la famille qui étaient restés en Allemagne. En 1938,
après les pogroms, mes deux oncles, les frères de maman, ont pris la fuite et
se sont retrouvés sains et saufs en Amérique du Nord, ma grand-mère est venue
s’installer chez nous, elle avait alors soixante-treize ans.
A partir
de mai 1940, c’en était fini du bon temps, d’abord la guerre, la capitulation,
l’entrée des Allemands, et nos misères, à nous les juifs, ont commencé. Les
lois antijuives se sont succédé sans interruption et notre liberté de mouvement
fut de plus en plus restreinte. Les juifs doivent porter l’étoile jaune ;
les juifs doivent rendre leurs vélos, les juifs n’ont pas le droit de prendre
le tram ; les juifs n’ont pas le droit de circuler en autobus, ni même
dans une voiture particulière ; les juifs ne peuvent faire leurs courses
que de trois heures à cinq heures, les juifs ne peuvent aller que chez un
coiffeur juif ; les juifs n’ont pas le droit de sortir dans la rue de huit
heures du soir à six heures du matin ; les juifs n’ont pas le droit de
fréquenter les théâtres, les cinémas et autres lieux de divertissement ; les
juifs n’ont pas le droit d’aller à la piscine, ou de jouer au tennis, au hockey
ou à d’autres sports ; les juifs n’ont pas le droit de faire de
l’aviron ; les juifs ne peuvent pratiquer aucune sorte de sport en public.
Les juifs n’ont plus le droit de se tenir dans un jardin chez eux ou chez des
amis après huit heures du soir ; les juifs n’ont pas le droit d’entrer
chez des chrétiens ; les juifs doivent fréquenter des écoles juives, et
ainsi de suite, voilà comment nous vivotions et il nous était interdit de faire
ceci ou cela. Jacques me disait toujours : "Je n’ose plus rien faire,
j’ai peur que ce soit interdit."
Dans
l’été de 1941, grand-mère est tombée gravement malade, il a fallu l’opérer, et
on a un peu oublié mon anniversaire. Comme d’ailleurs dans l’été de 1940, parce
que la guerre venait de se terminer aux Pays-Bas. Grand-mère est morte en
janvier 1942. Personne ne sait à quel point moi, je pense à elle et
comme je l’aime encore. Cette année, en 1942, on a voulu rattraper le temps
perdu en fêtant mon anniversaire et la petite bougie de grand-mère était
allumée près de nous.
Pour nous
quatre, tout va bien pour le moment, et j’en suis arrivée ainsi à la date
d’aujourd’hui, celle de l’inauguration solennelle de mon journal, 20 juin 1942.
Mercredi
8 juillet 1942
Chère
Kitty,
Depuis
dimanche matin, on dirait que des années se sont écoulées, il s’est passé tant
de choses qu’il me semble que le monde entier s’est mis tout à coup sens dessus
dessous, mais tu vois, Kitty, je vis encore et c’est le principal, dit Papa.
Oui, c’est vrai, je vis encore, mais ne me demande pas où ni comment. J’ai
l’impression que tu ne comprends rien à ce que je te dis aujourd’hui, c’est
pourquoi je vais commencer par te raconter ce qui s’est passé dimanche
après-midi.
A trois
heures (Hello s’était absenté pour revenir un peu plus tard) quelqu’un a sonné
à la porte, je n’ai rien entendu parce que j’étais paresseusement étendue sur
une chaise longue à lire au soleil, sur la terrasse. Margot est apparue tout
excitée à la porte de la cuisine. "Il est arrivé une convocation de SS
pour Papa, a-t-elle chuchoté, Maman est déjà partie chez M. Van
Daan." (Van Daan est un ami et un associé de Papa).
Cela m’a
fait un choc terrible, une convocation, tout le monde sait ce que cela veut
dire, je voyais déjà le spectre des camps de concentration et de cellules
d’isolement et c’est là que nous aurions dû laisser partir Papa. "Il n’est
pas question qu’il parte", affirma Margot pendant que nous attendions
Maman dans le salon. "Maman est allée chez Van Daan demander si nous
pouvons nous installer demain dans notre cachette. Les Van Daan vont se cacher
avec nous. Nous serons sept." Silence. Nous ne pouvions plus dire un mot,
la pensée de Papa, qui, sans se douter de rien, faisait une visite à l’hospice
juif, l’attente du retour de Maman, la chaleur, la tension, tout cela nous
imposait le silence.
(...)
(...)
Quand
Margot et moi nous sommes retrouvées dans notre chambre, elle m’a raconté que
la convocation n’était pas pour Papa mais pour elle. Cela m’a fait encore un
choc et j’ai commencé à pleurer. Margot a seize ans, ils font donc partir
seules des filles aussi jeunes, mais heureusement, elle n’irait pas, Maman
était formelle, et c’est sans doute à cela que Papa avait fait allusion quand
il m’avait parlé de nous cacher.
Nous
cacher, mais où, en ville, à la campagne, dans une maison, une cabane, où,
quand, comment ?... Cela faisait beaucoup de questions que je ne pouvais
pas poser mis qui revenaient sans cesse. Margot et moi avons commencé à ranger
dans un cartable ce dont nous avions le plus besoin, la première chose que j’y
ai mise, c’était ce cahier cartonné, puis des bigoudis, des mouchoirs, des
livres de classe, un peigne, des vieilles lettres, la perspective de la
cachette m’obsédait et je fourrais n’importe quoi dans la sacoche, mais je ne
le regrette pas, je tiens plus aux souvenirs qu’aux robes.
A cinq
heures, Papa est enfin rentré, nous avons téléphoné à M. Kleiman pour lui
demander de venir le soir même. Van Daan est parti chercher Miep. Miep est arrivée,
a emporté chez elle dans un sac des chaussures, des robes, des vestes, des
sous-vêtements et des chaussettes et a promis de revenir dans la soirée. Après
quoi, notre maison est redevenue silencieuse ; nous n’avions faim ni les
uns ni les autres, il faisait encore chaud et tout était très étrange. Nous
avions loué notre grande chambre du haut à un certain M. Goldschmidt, un
divorcé d’une trentaine d’années, qui apparemment n’avait rien à faire ce
soir-là et s’est incrusté chez nous jusqu’à dix heures, pas moyen de se
débarrasser de lui, quoi qu’on dise.
Miep et
Jan Gies sont arrivés à onze heures, Miep travaille avec Papa depuis 1933 et
est devenue une grande amie, tout comme Jan, son mari de fraîche date. Une fois
encore, des chaussures, des bas, des livres et des sous-vêtements ont disparu
dans le sac de Miep et les grandes poches de Jan ; à onze heures et demie,
ils disparaissaient à leur tour.
J’étais
morte de fatigue et j’avais beau savoir que ce serait ma dernière nuit dans mon
lit, je me suis endormie tout de suite et Maman a dû me réveiller à cinq heures
et demie. Heureusement, il faisait un peu moins étouffant que dimanche ;
des trombes de pluie chaude sont tombées toute la journée. Tous les quatre,
nous nous sommes couverts d’habits, comme pour passer la nuit dans une glacière
et cela dans le seul but d’emporter d’autres vêtements. Aucun juif dans notre
situation ne se serait risqué à quitter sa maison avec une valise pleine
d’habits.
J’avais
mis deux chemises, trois culottes, une robe, et par-dessus une jupe, une veste,
un manteau d’été, deux paires de bas, des chaussures d’hiver, un bonnet, une
écharpe et bien d’autres choses encore, j’étouffais déjà avant de sortir, mais
personne ne s’en souciait. Margot a bourré son cartable de livres de classe,
est allée chercher son vélo dans la remise et a suivi Miep qui l’emmenait vers
des horizons inconnus de moi. En effet, j’ignorais encore quelle serait notre
mystérieuse destination.
A sept
heures et demie, nous avons refermé à notre tour la porte derrière nous, le
seul à qui il me restait à dire adieu, c’était Moortje, mon petit chat, qui
allait trouver un bon refuge chez les voisins, ainsi que l’indiquait une petite
lettre à M. Goldschmidt.
Les lits
défaits, les restes du petit déjeuner sur la table, une livre de viande pour le
chat à la cuisine, tout donnait l’impression que nous étions partis
précipitamment. Mais nous nous moquions bien des impressions, tout ce que nous
voulions, c’était partir, partir et arriver à bon port, et rien d’autre.
La suite à demain.
La suite à demain.
Bien à
toi,
Anne
Samedi 11
juillet 1942
Papa,
Maman et Margot ont encore du mal à s’habituer au carillon de la Westertoren,
qui sonne tous les quarts d’heure. Moi pas, je l’ai tout de suite aimé, et
surtout la nuit, c’est un bruit rassurant. Il t’intéressera peut-être de savoir
quelle impression cela me fait de me cacher, eh bien, tout ce que je peux te
dire, c’est que je n’en sais encore trop rien. Je crois que je ne me sentirai
jamais chez moi dans cette maison, ce qui ne signifie absolument pas que je m’y
sens mal, mais plutôt comme dans une pension de famille assez singulière où je
serais en vacances. Une conception bizarre de la clandestinité, sans doute,
mais c’est la mienne. L’Annexe est une cachette idéale, et bien qu’humide et
biscornue, il n’y en a probablement pas de mieux aménagée ni de plus
confortable dans tout Amsterdam, voire dans toute la Hollande. Avec ses murs
vides, notre petite chambre faisait très nue. Grâce à Papa, qui avait emporté à
l’avance toute ma collection de cartes postales et de photos de stars de
cinéma, j’ai pu enduire tout le mur avec un pinceau et de la colle et faire de
la chambre une gigantesque image. C’est beaucoup plus gai comme ça et quand les
Van Daan nous rejoindront, nous pourrons fabriquer des étagères et d’autres
petites bricoles avec le bois entreposé au grenier. Margot et Maman se sentent
un peu retapées, hier Maman a voulu se remettre aux fourneaux pour faire de la
soupe aux pois, mais pendant qu’elle bavardait en bas, elle a oublié la soupe
qui a brûlé si fort que les pois, carbonisés, collaient au fond de la
casserole.
Hier
soir, nous sommes descendus tous les quatre dans le bureau privé et avons mis
la radio de Londres, j’étais tellement terrorisée à l’idée qu’on puisse nous
entendre que j’ai littéralement supplié Papa de remonter avec moi ; Maman
a compris mon inquiétude et m’a accompagnée. Pour d’autres choses aussi, nous
avons très peur d’être entendus par les voisins.
(...)
(...)
C’est le
silence qui me rend si nerveuse le soir et la nuit, et je donnerais cher pour
qu’un de nos protecteurs reste dormir ici.
Nous ne
sommes pas trop mal ici, car nous pouvons faire la cuisine et écouter la radio
en bas, dans le bureau de Papa. M. Kleiman et Miep et aussi Bep Voskuyl
nous ont tellement aidés, ils nous ont déjà apporté de la rhubarbe, des fraises
et des cerises, et je ne crois pas que nous allons nous ennuyer de si tôt. Nous
avons aussi de quoi lire et nous allons acheter encore un tas de jeux de
société. Evidemment, nous n’avons pas le droit de regarder par la fenêtre ou de
sortir. Dans la journée, nous sommes constamment obligés de marcher sur la
pointe des pieds et de parler tout bas parce qu’il ne faut pas qu’on nous
entende de l’entrepôt. Hier nous avons eu beaucoup de travail, nous avons dû
dénoyauter deux paniers de cerises pour la firme, M. Kugler voulait en
faire des conserves. Nous allons transformer les cageots des cerises en
étagères à livres.
On
m’appelle.
Bien à
toi,
Anne
Jeudi 6
janvier 1944
Chère
Kitty,
Mon désir
de parler à quelqu’un a pris de telles proportions que j’ai fini par avoir
envie de parler à Peter. Quand il m’arrivait de venir dans sa chambre, là-haut,
à la lumière de la lampe, je m’y sentais toujours bien, mais comme Peter est
toujours trop timide pour mettre quelqu’un à la porte, je n’osais pas rester
longtemps, car j’avais peur qu’il ne me trouve affreusement agaçante. Je
continuais à chercher la moindre occasion de parler un moment avec lui et
celle-ci s’est présentée hier. Peter a attrapé la manie des mots croisés et y
passe toute sa journée, je l’ai aidé et bientôt, nous étions installés l’un en
face de l’autre à sa petite table, lui sur la chaise, moi sur le divan. Je me
sentais toute drôle quand je regardais droit dans ses yeux bleu foncé et me
rendais compte à quel point il était intimidé par cette visite inhabituelle. Je
pouvais lire si facilement en lui, son visage portait encore les traces de sa
maladresse et de son manque d’assurance mais, en même temps, reflétait
vaguement sa conscience d’être un homme. Je comprenais tellement son
comportement timide et me sentais si attendrie. J’aurais voulu lui
demander : "Parle-moi de toi. Regarde au-delà de mon tragique besoin
de bavarder." Je me suis aperçue qu’en fait, il est plus facile de
préparer de telles questions que de les poser. Mais la soirée s’est déroulée
sans que rien ne se passe, sauf que je lui ai parlé de cette histoire de
rougir, pas de ce que j’ai écrit, bien entendu, mais je lui ai dit qu’il
prendrait de l’assurance avec les années.
Le soir
dans mon lit, j’ai pleuré et pleuré, mais pourtant, il fallait que personne ne
m’entende et je trouvais l’idée d’avoir à implorer les faveurs de Peter tout
simplement repoussante. On peut aller très loin pour satisfaire ses envies,
comme tu peux t’en apercevoir, car je me proposais de rendre plus souvent
visite à Peter et d’arriver à le faire parler, d’une manière ou d’une autre.
Ne va en aucun cas t’imaginer que je suis amoureuse de Peter, absolument pas. Si au lieu d’un garçon, les Van Daan avaient eu une fille ici, j’aurais aussi essayé de me lier d’amitié avec elle.
(...)
Ne va en aucun cas t’imaginer que je suis amoureuse de Peter, absolument pas. Si au lieu d’un garçon, les Van Daan avaient eu une fille ici, j’aurais aussi essayé de me lier d’amitié avec elle.
(...)
Vendredi
21 juillet 1944
Chère
Kitty,
A
présent, je suis pleine d’espoir, enfin tout va bien. Tout va même très
bien ! Superbes nouvelles ! On a tenté d’assassiner Hitler, et pour
une fois il ne s’agit pas de communistes juifs ou de capitalistes anglais mais
d’un général allemand de haute lignée germanique, un comte qui en plus est
encore jeune. La Providence divine a sauvé la vie du Führer et,
malheureusement, il s’en est tiré avec seulement quelques égratignures et des
brûlures. Plusieurs officiers et généraux de son entourage immédiat ont été
tués ou blessés. Le principal auteur de l’attentat a été fusillé. Voilà tout de
même la meilleure preuve que de nombreux officiers et généraux en ont assez de
la guerre et aimeraient voir Hitler sombrer aux oubliettes afin de prendre la
tête d’une dictature militaire, et ainsi, de conclure la paix avec les Alliés,
de réarmer et de recommencer la guerre dans une vingtaine d’années. Peut-être
que la Providence a fait exprès de traîner un peu avant de l’éliminer, car il
est beaucoup plus facile et avantageux pour les Alliés de laisser aux Germains
purs et sans tache le soin de s’entre-tuer, les Russes et les Anglais auront
d’autant moins de travail et pourront se mettre d’autant plus vite à la
reconstruction de leurs propres villes.
Mais nous
n’en sommes pas encore là, et rien ne me fait moins envie que d’anticiper sur
ces glorieux événements. Pourtant, tu peux constater que ce que je dis ne
contient que la vérité et toute la vérité ; pour une fois, je ne suis pas
à clamer des idéaux grandioses.
(...)
(...)
Mardi 1er
août 1944
Chère
Kitty,
(...)
J’ai peur que tous ceux qui me connaissent telle que je suis toujours ne découvrent mon autre côté, le côté plus beau et meilleur. J’ai peur qu’ils se moquent de moi, me trouvent ridicule, sentimentale, ne me prennent pas au sérieux. J’ai l’habitude de ne pas être prise au sérieux, mais seule l’Anne insouciante y est habituée et arrive à le supporter, l’Anne profonde n’en a pas la force. Quand il m’arrive vraiment de me forcer à soumettre la gentille Anne aux feux de la rampe pendant un quart d’heure, celle-ci se rétracte comme une sensitive dès qu’elle doit ouvrir la bouche, laisse la parole à Anne numéro 1 et a disparu avant que je ne m’en aperçoive.
J’ai peur que tous ceux qui me connaissent telle que je suis toujours ne découvrent mon autre côté, le côté plus beau et meilleur. J’ai peur qu’ils se moquent de moi, me trouvent ridicule, sentimentale, ne me prennent pas au sérieux. J’ai l’habitude de ne pas être prise au sérieux, mais seule l’Anne insouciante y est habituée et arrive à le supporter, l’Anne profonde n’en a pas la force. Quand il m’arrive vraiment de me forcer à soumettre la gentille Anne aux feux de la rampe pendant un quart d’heure, celle-ci se rétracte comme une sensitive dès qu’elle doit ouvrir la bouche, laisse la parole à Anne numéro 1 et a disparu avant que je ne m’en aperçoive.
En
société, la douce Anne n’a encore jamais, pas une seule fois, fait son
apparition, mais dans la solitude, elle l’emporte toujours. Je sais exactement
comment j’aimerais être, comment je suis en réalité... à l’intérieur, mais
malheureusement je ne le suis que pour moi-même. Et c’est sans doute, non c’est
certainement pour cette raison que je prétends avoir une nature intérieure
heureuse, tandis que les autres gens voient en moi une nature extérieure
heureuse. A l’intérieur, l’Anne pure me montre le chemin, à l’extérieur, je ne
suis rien d’autre qu’une petite chèvre turbulente qui a arraché ses liens.
Comme je
l’ai déjà dit, je ressens toute chose autrement que je ne l’exprime et c’est
pourquoi j’ai la réputation d’une coureuse de garçons, d’une flirteuse, d’une
madame je-sais-tout et d’une lectrice de romans à l’eau de rose. Anne joyeuse
s’en moque, rétorque avec insolence, hausse les épaules d’un air indifférent,
fait semblant de ne pas s’en soucier, mais pas du tout, Anne silencieuse réagit
complètement à l’opposé. Pour être vraiment franche, je veux bien t’avouer que
cela me fait de la peine, que je me donne un mal de chien pour essayer de
changer, mais que je dois me battre sans arrêt contre des armées plus
puissantes.
En moi
une voix sanglote : "Tu vois, voilà où tu en es arrivée, de mauvaises
opinions, des visages moqueurs ou perturbés, des personnes qui te trouvent
antipathique, et tout cela seulement parce que tu n’écoutes pas les bons
conseils de la bonne moitié en toi." Ah, j’aimerais bien écouter, mais je
n’y arrive pas, quand je suis calme et sérieuse, tout le monde pense que je
joue encore la comédie et alors je suis bien obligée de m’en sortir par une
blague, sans même parler de ma propre famille qui pense qu’à coup sûr je suis
malade, me fait avaler des cachets contre la migraine, et des calmants, me tâte
le pouls et le front pour voir si j’ai de la fièvre, s’enquiert de mes selles
et critique ma mauvaise humeur ; je ne supporte pas longtemps qu’on fasse
à tel point attention à moi, je deviens d’abord hargneuse, puis triste et
finalement je me retourne le coeur, je tourne le mauvais côté vers l’extérieur,
et le bon vers l’intérieur, et ne cesse de chercher un moyen de devenir comme
j’aimerais tant être et comme je pourrais être, si... personne d’autre ne
vivait sur terre.
Bien à
toi,
Anne
M. Frank
=================
Un journal plus si intime
Anne Frank représente à elle seule la jeunesse qui a souffert et péri
dans les camps d'extermination nazis. Au-delà des chiffres terrifiants des
victimes du nazisme, elle confère une humanité certaine à ceux que le Troisième
Reich a tenté de déshumaniser.
Elle nous fait prendre conscience que, derrière les chiffres, il y a des
hommes, des femmes et des enfants, qui ont eu une vie avant de se retrouver
dans un camp et, pour beaucoup, auraient dû en avoir une après. Pour certains
elle incarne une amie, pour d’autres une sœur, une fille ou une petite-fille.
Elle incarne l’insouciance de la jeunesse, exacerbée par l’atrocité des
événements qu’elle a subis.
Si elle est devenue un tel symbole c'est parce que son père a publié,
deux ans après la Seconde Guerre mondiale, le journal intime qu’elle a
tenu pendant qu’elle vivait recluse, à l’abri de la menace nazie et de la
déportation, avec sa famille à Amsterdam.
Précieux pour la jeune fille, qui le considère comme une confidente, une
amie (qu’elle surnomme Kitty) à qui elle peut tout raconter, son journal l’est
également pour la postérité, qui voit dans ce témoignage une source considérable
pour l'histoire de la Shoah. Retour sur la vie d’Anne Frank.
Une
enfance menacée
Annelies Marie Frank naît le 12 juin 1929 à Francfort-sur-le-Main, au
cœur de l'Allemagne, d’Otto (1889-1980) et Edith (1900-1945) Frank. Elle
a une sœur, de trois ans son aînée, Margot (1926-1945).
Dès les débuts du régime nazi, Otto sent la menace qui pèse sur le
peuple juif et décide d’emmener sa famille s’installer aux Pays-Bas. C’est à
Amsterdam que les parents et leurs deux filles posent leurs valises. Otto y
débute un commerce en pectine, un extrait végétal destiné à épaissir les
confitures.
Mais en 1941, les Allemands occupent les Pays-Bas et la politique antisémite du Troisième Reich
s’intensifie. Anne doit quitter son école publique pour intégrer une école
juive. Otto doit quitter son travail.
Voyant les déportations des Juifs se multiplier, il faut trouver une
solution pour ne pas être envoyé vers ce qu’ils pensent être un camp de travail forcé.
Le 9 juillet 1942, la famille Frank s’installe alors dans les locaux
situés à l’arrière des bureaux de la société de produits alimentaires du père,
Otto Frank. Ils ne sont pas seuls. Quatre voisins, Hermann van Pels, son épouse
et son fils Peter et un dentiste, Fritz Pfeffer, vont leur tenir compagnie
durant leur clandestinité dans ce qu'ils vont surnommer « l’Annexe ».
(Sur)vivre dans l’Annexe
Les huit clandestins vivent calfeutrés. Il ne faut faire aucun bruit.
Personne ne doit les voir ni les entendre, c’est dire s’ils se sentent comme
des êtres illégitimes.
Des amis non-Juifs, qu’ils surnomment leurs « protecteurs »
les aident, notamment en les ravitaillant car, même s’il est difficile de
vivre, il faut survivre. Mais le temps est long.
Journal d’Anne Franck offert par son père
Pendant ces deux années, Anne écrit dans le journal que son père lui a
offert le 12 juin 1942, pour son treizième anniversaire. C’est un moyen
quasiment vital pour elle de lutter contre l’ennui. Au-delà de s’épancher sur
ses sentiments et ses pensées, elle écrit quelques nouvelles, entame un roman
et note des extraits de ses lectures favorites.
Âgée d’à peine treize ans, il est troublant de remarquer qu’elle est
consciente de ce qu’il arrive aux Juifs. Elle l’évoque avec une certaine
maturité. En effet, elle écrit dans son journal à la date du vendredi 9
octobre 1942 : « Nous n'ignorons pas que ces pauvres gens [les
Juifs capturés par les nazis] seront massacrés. La radio anglaise parle de
chambre à gaz. Peut-être est-ce encore le meilleur moyen de mourir rapidement.
J'en suis malade... »
Un jour, elle entend un discours du ministre de l’Éducation du
gouvernement néerlandais, sur Radio Orange, la radio clandestine des Pays-Bas.
Il invite la population à conserver les journaux intimes et tout autre document
relatif aux souffrances du peuple pendant la guerre. Anne retravaille donc ses
différents journaux dans l’espoir d’en faire plus tard un roman.
Ses espoirs sont de courte durée. Le 4 août 1944, moins d’un an avant le suicide de Hitler, ils reçoivent la pire des
visites, celle de la Gestapo. Aujourd’hui encore, les motifs de cette visite
sont inexpliqués. Ce serait peut-être des voisins hollandais qui les auraient
dénoncés.
Miep Gies, l’une des protectrices de la famille Frank entre 1942 et
1944, parvient à sauver le journal pendant l’opération policière. Elle sait
l’importance qu’il représente pour Anne. Lors d’une visite rendue à la famille
dans l’Annexe, elle l’avait surprise en pleine rédaction. Reconnue JUSTE parmi les nations en 1977, Miep Gies est
morte le 11 janvier 2010 à l’âge de 100 ans.
Dans ce
bâtiment se trouve le où réduit vécut Anne Franck et sa famille
« Papa, Maman et Margot ont encore du mal à s’habituer au carillon de la
Westertoren, qui sonne tous les quarts d’heure. Moi pas, je l’ai tout de suite
aimé, et surtout la nuit, c’est un bruit rassurant. Il t’intéressera peut-être
de savoir quelle impression cela me fait de me cacher, eh bien, tout ce que je
peux te dire, c’est que je n’en sais encore trop rien. Je crois que je ne me
sentirai jamais chez moi dans cette maison, ce qui ne signifie absolument pas
que je m’y sens mal, mais plutôt comme dans une pension de famille assez
singulière où je serais en vacances. Une conception bizarre de la
clandestinité, sans doute, mais c’est la mienne. L’Annexe est une cachette
idéale, et bien qu’humide et biscornue, il n’y en a probablement pas de mieux
aménagée ni de plus confortable dans tout Amsterdam, voire dans toute la
Hollande. Avec ses murs vides, notre petite chambre faisait très nue. Grâce à
Papa, qui avait emporté à l’avance toute ma collection de cartes postales et de
photos de stars de cinéma, j’ai pu enduire tout le mur avec un pinceau et de la
colle et faire de la chambre une gigantesque image. C’est beaucoup plus gai
comme ça et quand les Van Daan nous rejoindront, nous pourrons fabriquer des
étagères et d’autres petites bricoles avec le bois entreposé au grenier. Margot
et Maman se sentent un peu retapées, hier Maman a voulu se remettre aux
fourneaux pour faire de la soupe aux pois, mais pendant qu’elle bavardait en
bas, elle a oublié la soupe qui a brûlé si fort que les pois, carbonisés,
collaient au fond de la casserole.
Hier soir, nous sommes descendus tous les quatre dans le bureau privé et avons mis la radio de Londres, j’étais tellement terrorisée à l’idée qu’on puisse nous entendre que j’ai littéralement supplié Papa de remonter avec moi ; Maman a compris mon inquiétude et m’a accompagnée. Pour d’autres choses aussi, nous avons très peur d’être entendus par les voisins. (...)
C’est le silence qui me rend si nerveuse le soir et la nuit, et je donnerais cher pour qu’un de nos protecteurs reste dormir ici.
Nous ne sommes pas trop mal ici, car nous pouvons faire la cuisine et écouter la radio en bas, dans le bureau de Papa. M. Kleiman et Miep et aussi Bep Voskuyl nous ont tellement aidés, ils nous ont déjà apporté de la rhubarbe, des fraises et des cerises, et je ne crois pas que nous allons nous ennuyer de si tôt. Nous avons aussi de quoi lire et nous allons acheter encore un tas de jeux de société. Evidemment, nous n’avons pas le droit de regarder par la fenêtre ou de sortir. Dans la journée, nous sommes constamment obligés de marcher sur la pointe des pieds et de parler tout bas parce qu’il ne faut pas qu’on nous entende de l’entrepôt. Hier nous avons eu beaucoup de travail, nous avons dû dénoyauter deux paniers de cerises pour la firme, M. Kugler voulait en faire des conserves. Nous allons transformer les cageots des cerises en étagères à livres.
On m’appelle.
Bien à toi,
Anne »
Hier soir, nous sommes descendus tous les quatre dans le bureau privé et avons mis la radio de Londres, j’étais tellement terrorisée à l’idée qu’on puisse nous entendre que j’ai littéralement supplié Papa de remonter avec moi ; Maman a compris mon inquiétude et m’a accompagnée. Pour d’autres choses aussi, nous avons très peur d’être entendus par les voisins. (...)
C’est le silence qui me rend si nerveuse le soir et la nuit, et je donnerais cher pour qu’un de nos protecteurs reste dormir ici.
Nous ne sommes pas trop mal ici, car nous pouvons faire la cuisine et écouter la radio en bas, dans le bureau de Papa. M. Kleiman et Miep et aussi Bep Voskuyl nous ont tellement aidés, ils nous ont déjà apporté de la rhubarbe, des fraises et des cerises, et je ne crois pas que nous allons nous ennuyer de si tôt. Nous avons aussi de quoi lire et nous allons acheter encore un tas de jeux de société. Evidemment, nous n’avons pas le droit de regarder par la fenêtre ou de sortir. Dans la journée, nous sommes constamment obligés de marcher sur la pointe des pieds et de parler tout bas parce qu’il ne faut pas qu’on nous entende de l’entrepôt. Hier nous avons eu beaucoup de travail, nous avons dû dénoyauter deux paniers de cerises pour la firme, M. Kugler voulait en faire des conserves. Nous allons transformer les cageots des cerises en étagères à livres.
On m’appelle.
Bien à toi,
Anne »
Otto Franck (1889-1980), le
père d’Anne Franck
Toute la famille est alors envoyée à Westerbork, un camp de transit au
Pays-Bas, avant d’être déportée par le dernier convoi vers Auschwitz le 3
septembre 1944. Le voyage s’effectue dans des conditions effroyables, entassés
dans un wagon à bestiaux. Pour les mille voyageurs, un seul petit tonneau fait
office de toilettes.
À l’arrivée, la famille est séparée. Otto est envoyé dans un camp
d’hommes et Anne est internée, avec sa mère et sa sœur, dans un camp de femmes.
Après avoir vécu ensemble dans leur petit refuge pendant deux ans, ils se
quittent brutalement et ne se reverront jamais.
Anne et sa sœur Margot sont transférées à Bergen-Belsen en octobre, où
elles découvrent le manque (quasi absence) de nourriture, la fatigue
insoutenable et le froid insurmontable. À peine cinq mois plus tard, et
seulement quelques semaines avant la libération du camp, elles meurent victimes
d’une épidémie de typhus.
La mère des filles, restée à Auschwitz, meurt au début du mois de
janvier 1945, très peu de temps avant l’évacuation du camp par les Allemands le
18 janvier de la même année.
Seul rescapé de la famille Frank, Otto est découvert par les troupes
soviétiques qui libèrent le camp le 27 janvier 1945. Il retourne à Amsterdam.
Il sait que son épouse n’a pas survécu mais doit attendre un long moment dans
la tourmente avant d’apprendre la mort de ses deux filles.
Après la guerre, Miep Gies lui remet le journal de sa fille, dont elle
n’a jamais lu une ligne. Elle voulait le rendre à Anne en mains propres mais,
ayant appris sa mort, décide de le donner naturellement à Otto. Ce dernier
prend la décision de le publier en 1947. Trois ans plus tard, il est traduit en
français et le monde entier va vite se prendre de passion pour l’histoire
d’Anne Frank.
Un jeune antiquaire et artiste américain, originaire du Massachussets,
Ryan Cooper, écrit une lettre à Otto dans les années 1970. S’ensuit une longue
correspondance d’où émerge une réelle amitié entre les deux hommes qui se
rencontreront à plusieurs reprises.
Otto décède en 1980, à l’âge de 91 ans. Ryan Cooper dit à son
propos : « Il ressemblait beaucoup à Anne dans le sens où il était optimiste. Il a
toujours cru que le monde serait juste à la fin, et il a fondé cet espoir sur
les jeunes ».
Pour les 90 ans de la naissance d’Anne Frank, le 12 juin 2019, Ryan
Cooper fait don de ces lettres échangées avec Otto Frank au Musée mémorial de
la Shoah à Washington. Un débat au sujet de leur numérisation est en cours.
Vendredi 21 juillet 1944
« Chère Kitty,
A présent, je suis pleine d’espoir, enfin tout va bien. Tout va même
très bien ! Superbes nouvelles ! On a tenté d’assassiner Hitler, et
pour une fois il ne s’agit pas de communistes juifs ou de capitalistes anglais
mais d’un général allemand de haute lignée germanique, un comte qui en plus est
encore jeune. La Providence divine a sauvé la vie du Führer et,
malheureusement, il s’en est tiré avec seulement quelques égratignures et des
brûlures. Plusieurs officiers et généraux de son entourage immédiat ont été
tués ou blessés. Le principal auteur de l’attentat a été fusillé. Voilà tout de
même la meilleure preuve que de nombreux officiers et généraux en ont assez de
la guerre et aimeraient voir Hitler sombrer aux oubliettes afin de prendre la
tête d’une dictature militaire, et ainsi, de conclure la paix avec les Alliés,
de réarmer et de recommencer la guerre dans une vingtaine d’années. Peut-être
que la Providence a fait exprès de traîner un peu avant de l’éliminer, car il
est beaucoup plus facile et avantageux pour les Alliés de laisser aux Germains
purs et sans tache le soin de s’entre-tuer, les Russes et les Anglais auront
d’autant moins de travail et pourront se mettre d’autant plus vite à la
reconstruction de leurs propres villes.
Mais nous n’en sommes pas encore là, et rien ne me fait moins envie que
d’anticiper sur ces glorieux événements. Pourtant, tu peux constater que ce que
je dis ne contient que la vérité et toute la vérité ; pour une fois, je ne
suis pas à clamer des idéaux grandioses. (...) »
Anne Frank, actrice de la Grande Histoire
Anne Frank est l’exemple même de la petite Histoire qui se mêle à la
Grande. Car ce n’est pas seulement pour connaître son parcours que le monde
s’est intéressé à son journal mais aussi pour appréhender cette tragédie dans
sa globalité humaine. Du focus sur cette jeune fille, on peut élargir nos
horizons et envisager des chemins de vie parallèles et différents au sien.
Couverture
du Roman graphique Le Journal d’Anne Frank par Ari Folman et David Polomsky,
Editions Calmann Lévy, 2017.
Toutefois, il ne s’agit pas de décalquer la vie d’Anne Frank en millions
d’exemplaires. Primo
Levi , l’auteur de Et si c’est un homme l’exprime
bien : « À elle seule, Anne Frank nous émeut plus que les
nombreuses victimes qui ont souffert comme elle, mais dont l'image est restée
dans l'ombre. Il faut peut-être que les choses en soient ainsi : si nous
devions et si nous étions capables de partager les souffrances de chacun, nous
ne pourrions pas vivre. »
Son journal est aussi l’un des principaux moyens utilisés pour raconter
l’une des plus sombres périodes de notre Histoire à la jeune génération, qui
peut davantage se retrouver et s’identifier dans le discours d’une adolescente.
Aujourd’hui, son journal, traduit dans plus de soixante-dix langues, est
classé au patrimoine mondial de l’UNESCO. Le lieu où elle et sa famille se
cachèrent, à Amsterdam, est devenu un musée en 1960. L’ancienne Annexe est
désormais connue dans le monde entier sous le nom de Maison d’Anne Frank.
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