Amis
de l'Epoux : Pour une vision renouvelée du célibat sacerdotal
Marc
Ouellet
Paris,
Parole et Silence, 2019. 256 pages.
Présentation de l'éditeur
Les prêtres et les évêques vivent de nos jours un temps
d'épreuve et même de crise, mais ce temps difficile peut devenir une
opportunité de conversion et de croissance. Avec la grâce de Dieu et la volonté
de mieux répondre à Sa Parole. Les scandales, les humiliations et l'usure de
ces dernières années ont précipité le haut et bas clergé dans un état de
vulnérabilité, sinon de désarroi, qu'on reconnaît à des signes de fatigue, de
tensions, et même de découragement, jusqu'à des gestes inconsidérés. Qui sur le
terrain de la pastorale ordinaire ne se sent pas divisé entre deux sentiments
contraires ? Car, d'une part, on insiste sur la conversion missionnaire qui
devrait témoigner et engendrer l'enthousiasme ; alors que, d'autre part, on est
miné intérieurement par une impression de fin d'époque où disparaissent les
restes d'une pastorale d'entretien, familière au temps de chrétienté mais
inopérante dans les nouveaux contextes. Aujourd'hui plus que jamais la sagesse
pastorale de l'Église et la créativité théologique doivent surmonter une
mentalité rationaliste. Elles exigent que les prêtres soient d'authentiques
"amis de l'Époux" détachés d'eux-mêmes et passionnés d'Évangile, des
prêtres kérygmatiques et pastoraux, capables d'accompagner les personnes et les
communautés avec miséricorde et discernement au sens du Pape François.
Biographie de l'auteur
Préfet de la Congrégation pour les Evêques et Président de la
Commission Pontificale pour l'Amérique latine, archevêque émérite du Québec,
Marc Ouellet est né en 1944 à Lamotte, au Canada. Ordonné prêtre en 1968, créé
cardinal en 2013, il est titulaire d'une licence en théologie et philosophie,
et d'un doctorat en théologie dogmatique.
^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^Le Credo du Cardinal Ouellet
Voici des extraits du dernier livre du cardinal Marc Ouellet. Ce
proche de Benoît XVI y explique sa vision de l'Eglise catholique, 50 ans après
Vatican II.
C'est l'un des hommes solides de la Curie romaine, auquel Benoît
XVI a choisi de confier la mission de pourvoir les sièges épiscopaux à travers
le monde. Né en 1944, au Québec, le cardinal Marc Ouellet est à la croisée de
plusieurs cultures. S'il se rattache à la France par sa langue maternelle, il
est d'abord américain, familier de l'univers anglo-saxon et aussi latino,
ayant vécu et enseigné en Colombie. En tant qu'archevêque de Québec, de 2002 à
2010, il s'est employé à redonner aux catholiques des raisons de croire en leur
force prophétique, n'hésitant pas à monter au créneau sur des questions
suscitant la polémique dans un contexte ultra-sécularisé. En exclusivité,
lavie.fr publie quelques extraits du livre où il s'entretient avec le Père
Geoffroy de la Tousche, curé d'Elbeuf (76), intitulé Actualité et
avenir du Concile oecuménique Vatican II (L'Echelle de Jacob,).
Différences entre prêtres et laïcs
On a insisté sur la distinction essentielle qui existe entre les
deux sacerdoces et qui les renvoie l’un à l’autre. Mais il reste du travail à
faire au plan théologique pour approfondir et mieux expliquer le fondement de
cette distinction fondamentale – et non seulement de degré – entre les deux
participations à l’unique sacerdoce du Christ.( ...): Toute différence
aujourd’hui est vue comme établissant des particularités qu’il faudrait, dans
une pensée unique, gommer. Cela est vrai à l’extrême avec l’idéologie dite « du
genre » où la différence sexuelle devient une différence purement culturelle au
lieu d’être une différence fondée en nature. Alors, disons que c’est un trait
de la culture contemporaine, mais, en théologie, cela s’exprime aussi par le
désir de mettre sur le même pied tous les ministères, par exemple le ministère
hiérarchique « à égalité » avec les autres ministères dans l’Eglise, comme
s’ils étaient du même ordre. C’est le sens de cette affirmation, souvent
reprise dans les textes du Magistère, qu’il y a une différence essentielle – et
non seulement de degré. Si l’on veut pénétrer à l’intérieur de ce mystère du
sacerdoce du Christ, il me semble que le sacerdoce baptismal est fondé sur la
filiation : c’est la grâce baptismale de la filiation divine qui nous est
donnée et, par le fait même, nous sommes insérés dans la vie du Fils, donc dans
sa relation au Père, dans son adoration du Père et dans l’offrande de sa vie.
Le sacerdoce ministériel est une représentation, il est aussi relié au mystère du
Christ, mais dans la mesure où Lui, comme Verbe incarné, représente l’autorité
du Père, la Parole du Père. Il est comme le ministre du Père. Le Christ a voulu
conférer à certains hommes ce charisme, de représenter le Père afin de
proclamer la Parole, de donner les sacrements du Christ et ainsi de nourrir le
sacerdoce baptismal. La distinction essentielle, non seulement de degré, entre
les deux sacerdoces, est fondée ultimement dans l’unique sacerdoce du Christ
qui est lui-même enraciné dans la différence entre les Personnes divines. A
cette lumière, il y a moyen de comprendre dans l’Eglise la complémentarité
entre sacerdoce hiérarchique ou ministériel et sacerdoce commun, ou baptismal.
Le service de l'autorité
La véritable charité, c’est-à-dire un amour pour le bien de
l’autre et pas simplement pour soi, est capable d’imposer, de corriger, donc
d’assumer pleinement le rôle de parent. A ce moment-là, l’éducation a lieu car
l’autorité fait grandir. Le service de l’autorité existe aussi dans la famille,
ce qui est vrai dans l’Eglise aussi. On peut ne pas exercer le service de
l’autorité : laisser tout faire, ne pas intervenir, ne pas dire la vérité qui
peut faire mal mais qui éclaire et qui permet de se relever. On laisse alors
les gens dans la confusion de peur de les blesser, de dire une vérité qui ne
sera guère populaire et ira contre la culture ambiante. Ceci se vérifie pour
des évêques, des prêtres, des pasteurs. C’est une charité supérieure que de
communiquer une vérité qui éloigne quelqu’un de nous pour un temps, le temps
qu’il puisse réaliser qu’on a vraiment agi pour lui.
Les charismes
C’est pourquoi les tensions et les divergences sont presque
connaturelles aux charismes. Quand les charismes s’expriment, ils sont portés
par des êtres pécheurs, ils sont alors toujours mélangés d’affirmation de soi,
d’orgueil et d’ambition. C’est pourquoi il faut toujours être soi-même un peu
défiant de soi-même, même dans la défense des plus grandes causes. Car nos
vertus, comme dit la petite Thérèse, ont toujours des taches, elles ne sont
jamais d’une pureté parfaite. C’est pourquoi il faut se rappeler, au milieu de
l’accomplissement ou de la fidélité aux relations trinitaires qui veulent s’ex-
primer en nous – et donc nous parfaire comme êtres humains en unité avec Dieu –
que les blessures, les conséquences du péché nous affectent et nous laissent
toujours une dimension de conversion permanente, toujours à reprendre. Il est
essentiel d’accueillir l’autre avec indulgence, car il est aussi victime de ses
limites que le péché a laissées en nous et que nous ratifions, d’une certaine
manière, par nos péchés actuels.
La radicalité du ministère
La vocation apostolique stricte, elle, naît de la rencontre
personnelle du Christ et d’un appel de sa part à tout quitter pour le suivre. Dans
l’Evangile, quand le Christ appelle, il appelle toujours quelqu’un de singulier
à venir à sa suite et à tout quitter, même sa famille. La plupart des apôtres
étaient mariés mais ils ont quitté leur famille pour suivre le Christ pour la
mission apostolique. Pour prendre une expression du Père Balthasar, je dirais
que la vocation au mariage « converge vers la croix ». L’eros doit s’achever
dans l’agape de la croix. Alors que la vocation consacrée ou ministérielle part
de la croix. Elle commence là, avec l’agape du Christ radical qui demande un
renoncement pour être instrument de l’agape sans la composante de l’amour
conjugal, de l’amour érotique. C’est vraiment un sacrifice, mais pour une
fécondité supérieure.
Le mode passif de la mission
La mission en mode passif est vécue de bien des manières : ceux
qui sont inutiles, qui se sentent inutiles, qui sont sur des grabats depuis des
années ou qui vivent des nuits intérieures profondes et interminables (ce fut
d’ailleurs le cas de Mère Teresa). Je crois que la seule solution, c’est
toujours le Christ, le Christ dans son mystère qui assume toute la condition
humaine, dans tous ses états, incluant l’état passif d’être mort ou d’être dans
ce non-sens qu’est l’après-mort sans que l’on soit dans la vision de Dieu, la
condition des morts qui ne voient pas encore Dieu. Le Christ a assumé tous ces
états et Il les a unis à son propre mystère, c’est-à-dire d’être le Verbe de
l’Amour. En assumant tous ces états, Il leur a conféré un sens qui n’est pas à
l’intérieur de ces états : à celui qui croit, à celui qui même ne croit pas, au
fond de toute souffrance et même de désespoir, il reste toujours une présence,
même pour le noncroyant et qui rend moins insupportable ce qui est
insupportable. Au mourant, pour lequel il n’y a plus de parole, on montre le
crucifix. C’est la dernière chose, le dernier message, qui résume tout et qui
permet au mourant de s’accrocher au Seigneur dans son dernier passage. Et le
sens est en Lui. Si on vit avec Lui, on peut tomber dans l’abîme, mais si on
tombe avec lui, on est sauvé ! C’est pourquoi, lors de la tempête apaisée, le
Christ vient, les eaux se calment, et ensuite il demande aux Apôtres : «
Pourquoi avoir peur ? Comment se fait-il que vous n’ayez pas la foi ? » (Mc 4,
40). Parce que nous, quand nous voulons être sauvés, nous voulons être sauvés
des drames terrestres, c’est-à-dire de la tempête qui risque de nous envoyer
dans l’abîme. Mais au fond, le Christ est en train de leur dire : où est votre
foi ? Où est mon pouvoir ? Ce qui importe, ce n’est pas tant que les eaux
soient calmées, mais c’est qu’on soit avec Lui ! Si on coule, on coule avec Lui
! Mais couler avec Lui, c’est être sauvé ! L’important, c’est d’être avec le
Christ ! C’est Lui qui nous amène au port définitif. Ce n’est pas d’abord notre
effort moral, même s’il faut faire sa part, mais c’est surtout notre acte de
foi. Le grand achèvement de l’homme par la grâce du Saint- Esprit c’est l’acte
de foi au Christ.
La mort
La mort est devenue par le Christ un langage de l’amour divin à
notre égard. C’est pourquoi l’Eglise se rassemble toujours dans l’action de
grâce pour la mort du Christ qui est la source de vie éternelle. C’est inouï ce
que nous avons comme message ! C’est vraiment inouï. Le monde ne peut pas
fabriquer ce sens. Le monde butte contre cette limite absolue et c’est là que
le christianisme, au fond, dit le plus profond de son mystère à partir de cette
réalité. C’est la mort du Christ qui a transformé ce signe négatif en signe
positif.
Marie contre l'idéologie
J’ai remarqué que dans les mouvements spirituels, dans les
communautés nouvelles en particulier, il y a une dévotion forte à la Vierge
Marie et cela me semble sain, vraiment sain. Car la proximité de Marie, le
contact et la familiarité avec elle, protège de l’idéologie. Là où est Marie,
l’idéologie a moins de prise car Marie est personnelle, elle est maternelle.
L’idéologie, c’est toujours très masculin en général et pas très personnel :
c’est une pression, une contrainte, on est mené par des idées et donc l’essence
du christianisme est moins vécue dans sa pureté qui est d’ordre personnel.
L'obéissance
Quand l’Eglise se prononce sur des questions précises, par la
voix du successeur de Pierre, avec le collège des évêques, il est normal que
nous lui donnions l’assentiment de notre foi ou de notre consentement même si,
à un moment donné, nous avons pu souscrire à une opinion différente. Dans
l’Eglise, nous pensons en communion. Nous ne sommes pas des individus qui
additionnent les pensées singulières pour voir quel est le consensus qui en
ressort. Non, l’Eglise est beaucoup plus une que le consensus des différentes
personnalités. L’Eglise est une oeuvre de l’Esprit. L’Esprit Saint est l’âme de
l’Eglise et, peu à peu, il conduit les personnes grâce à leurs échanges, en
utilisant aussi les instances qui existent. Cela donne naissance à des
jugements sur ce que l’on doit faire ou ne pas faire, sur ce que l’on doit
croire et ne pas croire. Cela, c’est la foi catholique qui a établi un
Magistère, c’est-à-dire une autorité doctrinale qui doit avoir le dernier mot
sur les questions de foi et les questions morales.
Vie consacrée
La réflexion m’a conduit à ce diagnostic : tout se passe comme
si dans plusieurs milieux religieux où la sécularisation a pénétré, le sens
premier prophétique de la vie consacrée était passé au second plan. Quel est ce
sens premier ? Celui d’une vie qui répond à l’amour fou de Dieu manifesté en
Notre Seigneur Jésus-Christ, par sa vie, sa mort et sa résurrection. Un jour,
j’ai rencontré ce Sauveur, le Sauveur. Cet homme Jésus m’a interpellé, il m’a
demandé de répondre à cet amour fou qu’il apporte à l’humanité au nom de Dieu.
C’est de là que jaillit la vie consacrée comme une réponse d’amour de l’épouse
à l’Epoux. Dans certains milieux, on a plutôt interprété la vie consacrée de
façon très fonctionnelle, comme si elle devait apporter des solutions à des
problèmes sociaux, en matière d’éducation, de santé, etc. Alors on a interprété
le sens prophétique de la vie consacrée comme une réponse à des besoins
sociaux, à partir d’ailleurs d’une certaine pertinence sociale. Mais le
charisme fondamental de la vie consacrée, c’est d’annoncer l’amour de Dieu pour
l’humanité, un amour gratuit, miséricordieux, un amour qui refait l’être humain
et qui mérite une réponse radicale de don de soi et de remise totale de soi au
Christ et à l’Eglise, par l’obéissance, par la chasteté consacrée, par la
pauvreté comme style de vie. Je vois dans l’Eglise actuellement le besoin d’une
refondation du sens prophétique de la vie consacrée. On retrouvera alors, mais
comme non dérivée, l’importance de la dimension sociale du charisme. Car nous
unir au Christ, nous unit à tous les besoins de l’humanité dont Il est le
sauveur et dont il nous rend aussi responsables.
Divorcés remariés
Je ne dirais pas que les divorcés remariés n’ont pas accès à
l’Eucharistie : ils continuent d’être invités à l’Eucharistie, ils participent
à l’assemblée eucharistique, ils écoutent avec les autres toute la Parole de
Dieu y compris celle qui se fait sacrement, ce que nous appelons la Présence
réelle. Ils participent à l’offrande. Le Christ s’offre et tout le monde
s’offre avec lui. Ces personnes ont une limite au niveau du témoignage public
de la communion mais rien ne les empêche de communier spirituellement au Corps
du Christ qui est donné à l’assemblée. D’ailleurs, en vérité, toute communion
sacramentelle doit d’abord être communion spirituelle. S’il n’y a pas une
communion spirituelle que le sacrement vient exprimer et nourrir, il n’y a pas
de communion au Corps du Christ. On peut s’avancer en état de péché mortel et
recevoir le Corps du Christ, on n’en recevra pas un bénéfice, mais un moins car
on n’en est pas digne et cette communion n’est pas réalisée dans les
dispositions requises. Les personnes peuvent retrouver l’état de grâce devant
Dieu, même dans le cas d’une limite objective d’un mariage qui fut un échec,
lorsque se noue une nouvelle union qui est peut-être la bonne mais pour
laquelle il n’est pas possible d’établir que le premier mariage est nul. Même
si elles ne peuvent pas recevoir les sacrements explicites, ces personnes
peuvent retrouver la grâce de Dieu par le repentir de l’échec initial, par des
activités de charité. Leur témoignage est alors le suivant : leur communion
s’ex- prime par le fait qu’elles ne reçoivent pas les sacrements, y compris par
respect pour la réalité sacramentelle de l’Eglise. Car le mariage est une
expression du mystère de l’union du Christ et de l’Eglise, de cette seule chair
du Christ et de l’Eglise. Tous les mariages sont scellés par la communion à ce
mystère. Quand on se trouve dans une nouvelle union, on ne peut pas
publiquement aller dire à la communauté et au monde qu’on ne fait qu’un avec ce
mystère, on ne peut pas l’exprimer au plan sacramentel public. Mais on peut
s’abstenir de communier et exprimer ainsi que l’on est dans le respect du
mystère sacramentel de l’Eglise. Il est important de confronter ce choix avec
le pasteur de la communauté, se faire aider par lui à vivre dans la paix, comme
membre de la communauté à part entière, avec cette limite de ne pas pouvoir
recevoir la communion sacramentelle. Cette limite peut être vécue dans un sens
positif comme un témoignage rendu à l’indissolubilité du mariage.
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