mardi 10 septembre 2019

L'Evangile selon Yong Sheng de Dai Sijie


L’Evangile selon Yong Sheng
Dai Sijie
Paris, Gallimard, 2019. 438 pages.

Un très beau roman qui relate l’histoire vraie, même si elle est quelque peu romancée. C’est l’histoire d’un des premiers pasteurs chinois dans la Chine d’avant l’arrivée du communisme au pouvoir jusqu’à la fin de la Révolution culturelle des années 1970. Après une conversion au christianisme Yong Shen devient pasteur. Son destin va basculer quand il apprend la trahison de sa femme puis la montée en puissance des communistes.  C’est ainsi que l’on traverse l’histoire de la Chine ; si c’est l’histoire d’un chrétien dans la Chine communiste c’est aussi l’histoire d’un homme trahi par sa femme, par sa fille et enfin par son petit fils. Une histoire de trahison mais aussi fait de pardons jusqu’à l’ultime sacrifice.

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Quatrième de couverture
Dans un village proche de la ville côtière de Putian, en Chine méridionale, au début du vingtième siècle, Yong Sheng est le fils d’un menuisier-charpentier qui fabrique des sifflets pour colombes réputés. Les habitants raffolent de ces sifflets qui, accrochés aux rémiges des oiseaux, font entendre de merveilleuses symphonies en tournant au-dessus des maisons. Placé en pension chez un pasteur américain, le jeune Yong Sheng va suivre l’enseignement de sa fille Mary, institutrice de l’école chrétienne. C’est elle qui fait
naître la vocation du garçon : Yong Sheng, tout en fabriquant des sifflets comme son père, décide de devenir le premier pasteur chinois de la ville. Marié de force pour obéir à de vieilles superstitions, Yong Sheng fera des études de théologie à Nankin et, après bien des péripéties, le jeune pasteur reviendra à Putian pour une brève période de bonheur. Mais tout bascule en 1949 avec l'avènement de la République populaire, début pour lui comme pour tant d’autres Chinois d’une ère de tourments – qui culmineront lors de la Révolution culturelle.

Dai Sijie, dans ce nouveau roman, renoue avec la veine autobiographique de son premier livre, Balzac et la petite tailleuse chinoise. Avec son exceptionnel talent de conteur, il retrace l’histoire surprenante de son propre grand-père, l’un des premiers pasteurs chrétiens en Chine.

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 Üne bonne redension du journal La Croix

Inspiré par son grand-père, Dai Sijie compose, en français, une vaste fresque romanesque et embrasse l’histoire mouvementée de l’empire du Milieu.


Après trente ans passés en France, l’écrivain et réalisateur, Dai Sijie est retourné en Chine sur les pas de son grand-père, l’un des premiers pasteurs protestants de l’empire du Milieu dont il voulait depuis longtemps raconter l’histoire. Il l’a certes romancée, pour les besoins du genre, mais sans trop s’en écarter, ni la travestir.
Yong Sheng était né à Putian, dans la province côtière du Fujian. Son père fabriquait des « sifflets pour colombe », objets artisanaux sophistiqués que l’on fixait à la queue des oiseaux et qui, pendant leur vol, produisaient « un concert polyphonique, une symphonie flamboyante ». Il avait nommé son fils Yong Sheng (« le son »). Un code d’honneur régissait la rivalité entre ces chefs d’orchestres colombophiles. Malheur à celui qui l’enfreignait.^

D’une stupeur naît sa vocation
En ce temps-là, des baptistes américains, conduits par le pasteur Gu, étaient venus évangéliser ces villageois du bout du monde. Yong Sheng avait découvert, un soir, derrière une porte dérobée du temple, la statue d’un homme crucifié auquel son institutrice, Mary, la fille du pasteur, offrait le lait de son sein. De cette stupeur naîtra sa vocation.
Marié encore adolescent, bientôt père, Yong Sheng, fils de charpentier, comme Jésus, initié aux symboles christiques, fut désigné pour devenir le premier pasteur chinois de Putian. Pendant un mois, il traversa la Chine, avec un œuf pour toute pitance, afin de rejoindre la faculté de théologie de Nankin.
Dans cet exil lointain, Yong Sheng avait reproduit un dessin fascinant de précision, de Léonard de Vinci, d’un fœtus dans le ventre d’une femme. C’était son seul bien. Il le portait sur lui. Quand il apercevait un cerf-volant, il imaginait le fil invisible qui le reliait à son enfant. Mais une lettre laconique de son père le précipita au bord du suicide.

Au cœur de la tourmente de la Longue Marche
La grande Histoire allait l’arracher à sa déréliction. Au cœur de la tourmente de la Longue Marche, apprenant que le pasteur Gu était prisonnier de l’Armée rouge, il s’élança à la recherche de Mary. Chaque fois qu’il croyait s’en rapprocher, elle venait de s’évaporer. Dai Sijie égare volontairement le lecteur sur le sens de cette quête, révélé dans une scène dramatique, d’une grande puissance, où tout se joue en quelques minutes…
Revenu dans son village, seul et désespéré, Yong Sheng découvre sa fille. Il rebâtit la chaumière familiale dévastée en temple protestant, puis en orphelinat. Il peint longuement, avec un luxe de détails, une fresque colorée inspirée de la Bible, l’arche de Noé, où les oiseaux occupent une place de choix. Mais l’Armée populaire de libération l’arrête et le torture. Yong Sheng entame son chemin de croix.
Construite en quatre parties avec des sauts dans le temps, cette ambitieuse saga romanesque embrasse un siècle de l’histoire mouvementée de la Chine au cours de laquelle le peuple n’aura pas été à la fête. Et moins encore ceux qui s’affichaient chrétiens, fidèles à leur foi. Dans les années 1950, l’Armée rouge prend du galon et ne vénère que Mao. La révolution en action broie les paysans, mate les intellectuels. Les réfractaires à l’ordre nouveau sont balayés, rayés, réduits à néant.

Le parfum ensorcelant d’un arbre mythique
Devenu ouvrier dans un pressoir à huile, semblable à l’instrument de torture des enfers chinois selon les représentations populaires, Yong Sheng est soudain humilié par ses ouailles, trahi par sa fille, jeté en pâture à la meute des villageois qui lui crachent à la figure et le frappent. Agenouillé, une plaque de ciment autour du cou, désigné, stigmatisé comme « agent secret de l’impérialisme, propagateur d’opium intellectuel, droitier irrécupérable ».
Cible du déchaînement de cette violence que les foules haineuses et hurlantes, au nom de causes qui les dépassent, et sans raison intime, savent mettre en œuvre et dont elles retirent une sombre jouissance, vite amère, passée la phase de démente exaltation.
Descendant symbolique de Judas, l’un de ses anciens tortionnaires, pris de remords, sur le point de devenir son gendre, utilisera in extremis pour le tirer d’affaire le parfum ensorcelant d’un arbre mythique, l’aguilaire. C’est dans ce climat, prélude et avant-goût de ce que sera l’effroyable Révolution culturelle, que réapparaît Mary… Le destin de Yong Sheng n’est pas achevé. Pas encore. Nous le suivrons jusqu’au début du XXIsiècle, jusqu’à un épilogue imprévisible.

Du grand romanesque pour un parcours christique
Écrit en français, L’Évangile selon Yong Sheng est l’hommage magnifique et prolifique de Dai Sijie, témoin dévasté à 12 ans des exactions que subit son grand-père. Au lieu de le venger comme il en a longtemps nourri le projet, il transfigure son parcours christique dans un roman-somme poétique, sensuel, charnel, odorant, bercé par la musique des oiseaux, le chant de la terre, la polyphonie de la nature, les fragrances des plantes et des arbres. Vaste fresque historique d’une génération aventureuse, pris dans les convulsions sanglantes et sanguinaires du maoïsme. Un livre ample où palpitent le cœur et le sang des personnages. Du vrai, du grand romanesque, du souffle, de l’inspiration et de beaux personnages.
Dai Sijie renoue avec la veine autobiographique de Balzac et la Petite Tailleuse chinoise, qui nous enchanta quand il parut. Il réussit à mêler, avec art et délicatesse de tissage, la cruauté de temps troublés avec du merveilleux, des épisodes fantaisistes, voire comiques, pour exorciser le traumatisme de son enfance et se comporter, au fond, comme son grand-père qui, jamais, n’eut de haine dans son cœur. Imprégné du message évangélique, il pardonnait à ceux qui l’avaient offensé.

https://www.la-croix.com/Culture/Livres-et-idees/LEvangile-selon-Yong-Sheng-Dai-Sijie-2019-03-07- Dai Sijie, entre deux mondes


Portrait de l’auteur


L’écrivain et réalisateur chinois a connu, adolescent, les camps de rééducation. L’auteur à succès de Balzac et la petite tailleuse chinoise écrit directement en français.
Jean-Claude Raspiengeas, 


« J’avais douze ans. En revenant de l’école, j’ai vu sur la place du village mon grand-père, un pasteur protestant, que j’aimais tant, un homme bon et généreux, agenouillé, une plaque de ciment autour du cou, recevant insultes et crachats de la foule. Je reconnaissais nos voisins et les fidèles du temple qui le frappaient. Sa fille l’avait dénoncé. Pendant longtemps, j’ai pensé que je le vengerais.
Contraint de cohabiter sous le même toit avec sa fille, je ne lui ai plus jamais adressé la parole. Après des mois de détention, quand mon grand-père est revenu, il s’est assis à table, sans la moindre allusion. Il parlait normalement à sa fille, comme si rien ne s’était passé. J’ai fini par comprendre et accepter sa grandeur d’âme: le pardon et l’amour sont supérieurs à la haine et la vengeance. »

Dans les salons de Gallimard, son éditeur, Dai Sijie, 65 ans, parle un français mâtiné d’accent chinois, appris chez nous à la fin des années 1970, quand les autorités ont expédié en France ce brillant étudiant en histoire de l’art chinois. « J’avais presque trente ans et je ne possédais de votre langue que quelques rudiments. À l’université, je passais des journées entières à ne rien comprendre. J’ai dû m’accrocher. »

Il apprend le français, à 30 ans, en France
Adolescent pendant la terrible Révolution culturelle, Dai Sijie, « coupable » d’être fils de médecin, a été déporté en camp de rééducation, dans les montagnes du Sichuan, loin de chez lui. Il n’en est sorti que trois ans plus tard.
En France, après un passage à Bordeaux, Dai Sijie a intégré l’IDHEC­, la meilleure école de cinéma en France. « Nous devions écrire en permanence des scénarios et tourner des courts métrages. Mon premier film, Chine ma douleur, m’a valu d’être banni, avec interdiction de rentrer dans mon pays jusqu’en 1995. Mes deux films suivants ont été des échecs. Je pensais que c’était fini pour moi. »
Dai Sijie se lance alors dans l’écriture en français d’un « petit roman, modeste, sans ambition littéraire ». L’histoire est celle de sa génération, découvrant en secret la littérature française et lui vouant un culte. Quand Balzac et la Petite Tailleuse chinoise paraît, la critique s’emballe. Bernard Pivot, à «Apostrophes», le recommande vivement. Les ventes s’envolent (250 000 exemplaires, traduit en 25 langues, sauf en chinois). Le film qu’en tire son auteur est aussi un succès. Il recevra même le prix Femina pour son livre suivant.
Si Dai Sijie a pu, comme son aïeul persécuté, se libérer du besoin de vengeance, il le doit à ce grand-père qui, par son exemple, lui a démontré la puissance du pardon. « Il m’enseignait que tout être humain avait une âme, quelque chose de plus grand que l’esprit, de plus intime que le corps. Cette croyance soutient toute ma vie. J’ai aussi écrit ce livre pour témoigner de l’existence de l’âme. »

La Chine dans une frénésie de consommation
Aujourd’hui, Dai Sijie qui avait quitté un pays prohibant la propriété privée, découvre une Chine capitaliste, prise dans une frénésie de consommation, exaltant l’enrichissement personnel. « C’est très fragile, soupire-t-il. Nos valeurs millénaires ont disparu. Seule la famille tient encore. Et la main de fer du Parti communiste. »
Il constate aussi la folie autour des nouvelles technologies. « Un robot peut toujours gagner une partie d’échecs, admet-il. Mais jamais il ne pourra écrire un roman. Il lui manquera d’éprouver des sentiments, de connaître la peine et la joie, d’avoir le goût des mots pour forger un style personnel, intime. »
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Le parcours de Dai Sijie
Né le 2 mars 1954 à Putian (sud-est de la Chine).
1971. Pendant la Révolution culturelle, il passe trois ans en camp de rééducation, dans les montagnes du Sichuan.
1976. Il suit études sur l’histoire de l’art chinois à l’Université de Pékin. 1984. Études de cinéma à Paris à l’IDHEC­.
► Ses films
1989. Chine ma douleur, prix Jean-Vigo
1994. Le Mangeur de lune
1998. Tang le onzième
2002. Balzac et la Petite Tailleuse chinoise
2006. Les Filles du botaniste
2016. Le Paon de nuit
► Ses livres
2000. Balzac et la Petite Tailleuse chinoise, plusieurs fois primé.
2003. Le Complexe de Di, prix Femina.
2007. Par une nuit où la lune ne s’est pas levée.
2009. L’Acrobatie aérienne de Confucius.
2011. Trois vies chinoises.
2019. L’Évangile selon Yong Sheng.



Publication : Bibliothèque diocésaine d'Aix et Arles

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