mercredi 19 décembre 2018

Fermeture de la bibliothèque diocésaine pour les fêtes de Noël !


Pendant la période des fêtes de Noël et de  fin d'année la Bibliothèque diocésaine d'Aix et Arles sera fermée du 24 décembre 2018 au 1er janvier 2019



mardi 18 décembre 2018

Robert Spaemann (1927-2018)


Robert Spaemann, l’un des pères de l’écologie intégrale

Avec le retour à Dieu du philosophe catholique Robert Spaemann, l’Europe perd un grand penseur critique de la Modernité. L’académicien Rémi Brague, qui l’a bien connu, nous introduit dans sa pensée, très familière des auteurs français. Au cœur de ses recherches, le concept de nature, sans laquelle la philosophie serait impossible, tout comme une éthique de la personne orientée vers le bien.

Le monde philosophique vient de subir, ce même lundi 10 décembre 2018, deux très lourdes pertes : celle de Xavier Tilliette, s.j. (né en 1921), un Français, spécialiste de pensée allemande, en particulier de Schelling, et celle de Robert Spaemann (né en 1927), un Allemand qui a rédigé deux thèses ouvrant une carrière universitaire sur des penseurs français. On m’a chargé de parler ici du second, mais je voulais d’abord souligner cet intéressant chassé-croisé.

Un philosophe détective
J’ai rencontré Robert Spaemann pour la première fois à Munich, où il était déjà professeur à l’Université, après avoir enseigné à Stuttgart, puis à Heidelberg. Si ma mémoire est bonne, c’était en 1975, à l’occasion d’une réunion de lancement de l’édition francophone de la revue Communio. Je me souviens que lors d’une pause d’amicale conversation, j’étais assis à sa droite, et regardais le profil de son visage émacié, son front bombé, son nez aquilin, sa bouche mince plissée sur une pipe recourbée. Immédiatement, un nom me vint à l’esprit : Sherlock Holmes !

En un sens, je ne me trompais pas. Un philosophe est toujours plus ou moins un détective. Et tout spécialement quand il fonde ses hypothèses sur l’examen minutieux des faits d’histoire de la pensée, que tout le monde voit, mais que lui seul observe… Les indices qu’il faut ici faire parler sont de minimes inflexions dans l’usage de certaines notions, dissimulées par la présence dans le vocabulaire de mots qui restent les mêmes.
C’est dans ce style que Spaemann avait entamé sa carrière de chercheur, à l’école de Joachim Ritter, maître d’œuvre de ce monumental Historisches Wörterbuch der Philosophie qui synthétise en douze épais volumes les résultats acquis pendant des dizaines d’années par de nombreuses équipes d’érudits.

La Modernité européenne et l’inversion des fins
Spaemann consacra sa « dissertation » (naguère imitée dans le système français par la « thèse de troisième cycle ») à Louis de Bonald, et son travail d’habilitation (un peu notre défunte « thèse d’État ») à Fénelon. Il écrivit aussi deux ouvrages sur Jean-Jacques Rousseau, et citait volontiers Bernanos.
Il vit en Bonald plus que le réactionnaire auquel on le réduit trop souvent, le fondateur de l’approche sociologique des faits humains. Et c’est l’étude de Fénelon qui lui fit découvrir le fait sur lequel pivota la pensée européenne pour entrer dans la Modernité : l’inversion de la téléologie. En un mot, les choses ne sont plus considérées comme poursuivant les fins que leur indique leur nature ; elles sont désormais tenues de servir les fins que nous leur dictons. Qu’on réfléchisse un instant sur l’audace avec laquelle Descartes utilise l’adjectif « propre » quand il écrit qu’il s’agit, grâce à ce qu’il appelle la « philosophie pratique » (là aussi, quel culot !) d’user des corps pour « tous les usages auxquels ils sont propres » (Discours de la méthode, 6e partie — souligné par moi).

Comment la nature nous oriente vers le bien
C’est le concept de nature qui constituait sans doute le centre de la pensée de Spaemann. Ce mot ne désigne pas notre représentation devenue habituelle du « naturel » comme de ce qui est brut et demande à être raffiné par la « culture », voire carrément refoulé et remplacé par une technique invasive. Son emploi par Spaemann repose sur cette constatation banale, mais sans laquelle aussi bien la philosophie que la science qui en est issue, seraient impossibles : les choses sont ce qu’elles sont, indépendamment de nous. Aristote avait fait un pas de plus, et Spaemann le suit : tout ce qui existe possède des propriétés qui l’orientent vers son bien. Et nous aussi, qui sommes des personnes…


Lire aussi :
La France n’a pas suffisamment rendu à Robert Spaemann l’amour qu’il portait aux penseurs qui s’exprimaient dans sa langue. Alors que les Italiens et les Espagnols ont tout traduit, et les Polonais presque tout, guère plus d’une demi-douzaine de ses livres est accessible aux mondes anglophone et francophone. Certes, son œuvre n’est pas totalement inconnue de ce dernier, grâce aux traductions méritoires que nous devons à Stéphane Robilliard. Si certaines sont parues chez des éditeurs ayant pignon sur rue et diffusant bien, d’autres ont dû trouver refuge dans de petites maisons, dont il faut d’autant plus saluer le courage, mais dont l’écho reste confidentiel.
Écologiste intégral
Il faut dire que Spaemann avait des prises de position devant lesquelles bien des lâchetés ont cessé de nous surprendre : ce catholique fervent (cela suffisait déjà à le rendre odieux à beaucoup) était contre l’énergie nucléaire, et à plus forte raison contre l’arme atomique, contre la vivisection, mais aussi contre l’avortement et l’euthanasie. Toutes positions qu’il défendait au moyen d’arguments purement rationnels. On pense au projet d’écologie intégrale, d’un souci écologique s’étendant à l’homme, lancé par le pape Benoît XVI et défendu aujourd’hui par beaucoup de bons esprits.
L’œuvre de Robert Spaemann pourrait leur permettre d’approfondir encore leur réflexion. Le plus bel hommage que nous pourrons rendre à la mémoire du philosophe sera de le lire et relire.



À lire, de Robert Spaemann en français :
Notions fondamentales de morale, Flammarion, 2011, 7 euros.


Publication : Bibliothèque diocésaine d'Ax et Arles

L'alliance irrévocable : Benoit XVI et la judaïsme


L’alliance irrévocable : Joseph Ratzinger – Benoît XVI et le judaïsme
Paris, Communio, Parole et Silence, 2018. 284 pages.


Résumé

Après des siècles d'ignorance, de mépris, voire d'antijudaïsme, de la part des chrétiens, ce qui prépara la voie à l'effroyable antisémitisme nazi du Troisième Reich, l'article 4 de la déclaration Nostra AEtate, votée par les Pères conciliaires en 1965 a marqué un tournant considérable dans les relations entre les Juifs et l'Eglise catholique, ouvrant un dialogue fait de reconnaissance et de respect mutuels.
En 2017, à la demande du cardinal Koch, le pape émérite Benoît XVI a accepté de publier des remarques intitulées Les dons et l'appel sans repentir initialement destinées à la seule Commission. D'abord parues dans l'édition allemande de Communio, puis traduites dans l'édition francophone, ces remarques ont suscité des réactions, notamment celle du Grand rabbin de Vienne Arie Folger qui s'exprima dans la presse de Berlin. Ceci donna lieu pendant l'été 2018 à une correspondance entre le pape émérite et le Grand rabbin. Pour compléter ce dossier, il nous a paru utile de joindre un important document sur Le peuple juif et ses saintes Ecritures dans la Bible chrétienne publié en 2001 par la Commission biblique, la "réflexion théologique sur les rapports entre catholiques et Juifs" signée par le cardinal Koch, Président de la Commission pour les relations religieuses avec le judaïsme (2015) et le texte Entre Jérusalem et Rome. Le partage de l'universel et le respect du particulier publié en février 2017 par la Conférence des rabbins européens et approuvé par le Comité exécutif du Conseil des rabbins américains. Ce texte a été présenté au pape François lors d'une audience le 31 août 2017.

Le dossier réuni ici par Communio ne contient pas la totalité des documents parus sur les relations entre l'Eglise et le judaïsme. Néanmoins, de la Déclaration conciliaire au discours du pape François, il couvre de manière significative soixante années de dialogue intra-religieux.


Présentation de cet ouvrage par la site ZENIT, un organe d’information du Vatican.

Un manuel incontournable pour tous les catéchistes

“L’alliance irrévocable. Joseph Ratzinger-Benoît XVI et le judaïsme”: ce précieux volume est publié en français par Communio/Parole et Silence (290 p.)

La grande nouveauté du volume c’est sans doute à la fois la correspondance du pape émérite avec le rabbin Folger, et la mise ensemble de différents documents clefs. Les traductions de l’allemand sont de Jean-Robert Armogathe. Les catéchistes ont là un nouvel instrument de formation indispensable et sûr, sous la houlette de Benoît XVI.
C’est un dossier réuni par Communio/Parole et silence qui ne contient pas la totalité des documents parus sur les relations entre l’Eglise catholique et le judaïsme depuis la Déclaration conciliaire “Nostra Aetate” (28 octobre 1965). Mais il couvre « de manière significative » soixante années de dialogue, explique l’éditeur.

Celui-ci indique que tout est parti, en 2017, d’une demande du cardinal Kurt Koch, président du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens, et président de la Commission vaticane pour les relations religieuses avec le judaïsme. Le cardinal Koch suggéré à Benoît XVI de publier des remarques intitulées « Les dons et l’appel sans repentir », initialement destinées à la Commission vaticane. Elles ont été ensuite publiées par Communio, en allemand puis en français. La réaction du grand rabbin de Vienne, Arie Folger, a suscité une correspondance entre le pape émérite et le grand rabbin, l’été dernier.
Puis le dossier s’enrichit de deux documents de la Commission biblique vaticane. D’une part, le document sur « Le peuple juif et les Saintes Ecritures dans la bible chrétienne » (2001, le card. Ratzinger présidait la Commission et signe la préface). D’autre part, une « Réflexion théologique sur les rapports entre catholiques et juifs », du cardinal Koch (2015).
S’y ajoute le document publié en février 2017 par la Conférence des rabbins européens, approuvé par le Comité exécutif des rabbins américains, « Entre Jérusalem et Rome. Le partage de l’universel et le respect du particulier ».
Le discours du pape François aux représentants de la Conférence des rabbins européens, du Conseil rabbinique d’Amérique et de la Commission du Grand rabbinat d’Israël (31 août 2017) complète l’ensemble.
Dans « Le don et l’appel sans repentir », présenté par le p. Olivier Artus et par le cardinal Koch, Joseph Ratzinger-Benoît XVI, rappelle notamment que l’Alliance avec Israël, selon l’enseignement de l’Epître aux Romains, « n’a jamais été révoquée ».
Comme le souligne le p. Artus les deux thèses principales – qui fondent le dialogue avec le judaïsme – sont explicitées: d’une part, la « théorie » (et non pas théologie !) « de la substitution » doit être rejetée, et d’autre part, l’Alliance établie par Dieu en faveur d’Israël « est irrévocable ».
L’enjeu c’est aussi le « jamais plus » d’après la Shoah: dans sa correspondance avec le rabbin autrichien, le pape émérite déplore notamment « la triste histoire de l’antijudaïsme chrétien qui conduit finalement à l’antijudaïsme antichrétien des nazis » et à « Auschwitz ».
En somme, ce qui est pour la première fois publié, ensemble et en français, c’est un manuel incontournable pour tous les catéchistes catholiques francophones et pour tous ceux qui sont chargés de transmettre la foi. Incontournable, parce que sans ce socle, la catéchèse ne serait pas vraiment catholique : ce n’est pas une option.
Leur formation et leur mission c’est d’ailleurs l’intention de prière du pape François pour ce mois de décembre 2018.





Publication : Bibliothèque diocésaine d'Aix et Arles

samedi 15 décembre 2018

La vie et les oeuvres d'Alexandre Soljenitsyne


VIE ET ŒUVRES D’ALEXANDRE ISSAÏEVITCH SOLJENITSYNE (1918-2008).

Alexandre Issaïevitch Soljénitsyne est un romancier et dissident russe.

Après une enfance heureuse à Rostov sur le Don, au sud de la Russie, et malgré la disparition de son père avant sa naissance, Soljenitsyne entreprend des études de sciences et de lettres. Il est ensuite mobilisé pour toute la durée de la guerre et devient capitaine.
En janvier 1945, il est arrêté pour avoir émis dans une lettre privée des doutes sur la stratégie politique de Staline, qualifié par ailleurs de "caïd". Il est condamné sans appel à 8 ans de redressement dans un camp, pour complot antisoviétique, une expérience qu'il relatera dans "Une journée d'lvan Denissovitch".

En 1962, Khrouchtchev autorise la parution de cette description crue du goulag. La publication lui attribue une reconnaissance immédiate. Cependant, à partir de 1964, il est la cible d'une vaste campagne de dénigrement orchestrée par les services de la sûreté et l'Union des écrivains. Après un dernier appel à la résistance, il est arrêté et déchu de sa nationalité.
Contraint de s'exiler en Suisse puis aux Etats-Unis, il publie ses œuvres à l'étranger : "Le Premier Cercle", "Le Pavillon des cancéreux" et "L' Archipel du goulag" (1973). Alexandre Soljenitsyne, qui a toujours plaidé pour l'abolition de la censure et subi l'ostracisme des autorités de l'URSS, obtient le prix Nobel de littérature en 1970 "pour la force éthique avec laquelle, il a perpétué les traditions de la littérature russe", qu'il ne peut recevoir que quatre ans plus tard, après avoir été expulsé d'URSS.

Huit ans après, il prononce le discours de Harvard où il fustige le monde occidental dont il déplore l'effondrement moral, l'industrialisation à outrance et le bazar mercantile. Exilé, il vit avec sa famille, dans le Vermont, pour écrire "La Roue rouge", une épopée historique comptant des milliers de pages.
Après vingt années d'exil, il rentre dans son pays en 1994. En 2007, il reçut des mains de Vladimir Poutine le prix d'Etat russe avant de se retirer du monde.

Fondée sur l'expérience du totalitarisme, son oeuvre, qui a les dimensions d'une grande fresque sociale, s'attache à révéler les falsifications de l'Histoire. 



Août quatorze : Premier nœud. – Paris, Le Seuil, 1972. 509 pages.


Dix jours avant la bataille de la Marne, l'armée russe attaque l'Allemagne en Prusse orientale. Déjà les armées convergentes de Rennenkampf et Samsonov forcent l'armée prussienne à battre en retraite vers la Vistule. C'est alors que le général Hindenburg prend le commandement du front, intercepte les ordres que Samsonov donne par radio en clair à ses unités et, coupant l'armée russe, lui inflige une terrible défaite. Les Allemands donnèrent à leur victoire le nom de Tannenberg, là même où, en 1410, les Polonais s'étaient heurtés aux Chevaliers teutoniques.
Enfin, la bataille des lacs Mazures contraint à une retraite désordonnée l'armée de Rennenkampf et écarte du front oriental la menace de l'armée du tsar.
Août quatorze, «premier nœud» d'une œuvre que d'emblée l'on compare à Guerre et Paix de Tolstoï, est d'abord le récit de la campagne militaire par ses participants. Mais c'est aussi, et de façon grandiose, le premier volet d'une fresque qui représente, en Russie et à travers les Russes, la fin d'un monde qu'achèvera la révolution de 1917. Dans le lent et vaste glissement de cette masse d'hommes dans la fuite ou la mort et à travers une série de familles et de personnages dont l'impitoyable observation ne manque jamais de tendresse, le génie de Soljénitsyne discerne avec une ironie supérieure le mouvement profond de l'Histoire.
Ce sont donc là les premières mesures de l'œuvre qu'Alexandre Soljénitsyne préparait depuis l'adolescence avec l'ambition de rétablir dans sa continuité heurtée, et au-delà des ruptures de circonstance, l'histoire, c'est-à-dire la vie même de son pays.

« Ce jour-là, on n'entendit plus tirer de nulle part. Militaire, civil, femme ou vieillard, on ne voyait toujours aucun Allemand. Notre armée elle-même semblait disparue, il ne restait personne, à part leur division qu'on faisait avancer sur cette route déserte, perdue. Il n'y avait même pas de Cosaques pour aller voir devant ce qui se passait.Et le dernier des soldats, le plus inculte, comprenait que le Commandement ne savait plus où il en était.
Ce jour était le quatorzième de leur marche ininterrompue, le 12 août ».


L’archipel du Goulag (1918-1956) : essai d’investigation littéraire. Première et deuxième parties. Tome 1
Alexandre Soljénitsyne
Paris, Le Seuil, 1974. 446 pages.



Immense fresque du système concentrationnaire en U.R.S.S. de 1918 à 1956,  » L’Archipel du Goulag  » (ce dernier mot est le sigle de l’Administration générale des camps d’internement) fut terminé par Soljénitsyne en 1968.
 » Le cœur serré, je me suis abstenu, des années durant, de publier ce livre alors qu’il était déjà prêt : le devoir envers les vivants pesait plus lourd que le devoir envers les morts. Mais à présent que, de toute façon, la sécurité d’Etat s’est emparée de ce livre, il ne me reste plus rien d’autre à faire que de le publier sans délai. « 
227 anciens détenus ont aidé Soljénitsyne à édifier ce monument au déporté inconnu qu’est  » L’Archipel du Goulag « . Les deux premières parties, qui composent ce premier volume, décrivent ce que l’auteur appelle  » l’industrie pénitentiaire « , toutes les étapes par lesquelles passe le futur déporté : l’arrestation, l’instruction, la torture, la première cellule, les procès, les prisons, etc. – ainsi que le  » mouvement perpétuel « , les effroyables conditions de transfert. Les deux parties suivantes sont consacrées à la description du système et de la vie concentrationnaires « 
L’archipel du Goulag  » n’est pas un roman mais, comme l’intitule Soljénitsyne, un essai d’investigation littéraire. La cruauté parfois insoutenable des descriptions, l’extrême exigence de l’auteur vis-à-vis de lui-même et l’implacable rigueur du réquisitoire sont sans cesse tempérées par la compassion, l’humour, le souvenir tantôt attendri, tantôt indigné ; les chapitres autobiographiques alternent avec de vastes aperçus historiques ; des dizaines de destins tragiques revivent aux yeux du lecteur, depuis les plus humbles jusqu’à ceux des hauts dignitaires du pays. La généralisation et la personnalisation, poussée chacune à leur limite extrême, font de  » L’Archipel du Goulag  » un des plus grands livres jamais écrits vivant au monde,  » notre contemporain capital « .

L’archipel du Goulag (1918-1956) : essai d’investigation littéraire . Troisième et quatrième parties. Tome 2
Alexandre Soljenitsyne
Paris, Le Seuil, 1974. 501 pages.

« Dans sa lutte inégale contre le pouvoir terrestre, usurpateur et mystificateur, l’homme désarmé n’a pas eu depuis des siècles, sous aucune latitude, de défenseur plus lucide, plus puissant et plus légitime qu’Alexandre Issaïevitch Soljjénitsine… ». « C’est probablement le livre de ce siècle. Il va écraser sous sa, masse, sous son poids spirituel et temporel, tout ce qui a été publié deouis la guerre…« 
 Ces deux phrases résument des milliers de réactions qui ont salué de toutes parts la publication du premier tome de l’Archipel du Goulag.
Ce volume central plonge à présent le lecteur au coeur même de l’histoire et de la géographie de l’Archipel. On assiste à son surgissement, à sa consolidation, à son essaimage et à sa prolifération à la surface de ce pays qui a fini par devenir une sorte d’immense banlieue de ses propres camps, vivant du travail exterminateur d’une nouvelle  nation d’esclaves, tout en s’imprégnant peu à peu de ses mœurs et de ses mots. Voici décrite par le menu cette « culture » concentrationnaire qui s’est perpétuée pendant des décennies chez des dizaines de millions d’indigènes de l’Archipel, avec ses rites, ses règles, sa tradition orale, sa hiérarchie et ses castes, jusqu’à engendrer comme une nouvelle espèce infra-humaine – les zeks-, peuplade unique dans l’Histoire, la seule sur cette planète à avoir connu une extinction aussi rapide et à la compenser par un mode de reproduction non moins accéléré : les flots successifs d’arrestations massives.
Impossible à un seul rescapé de tout vouloir décrire en quelques centaines de pages, précise Soljénitsyne ; ajoutant toutefois : « Mais la mer, pour savoir quel en est le goût, il n’est besoin que d’une gorgée. »

L’archipel du Goulag (1918-1956) : essai d’investigation littéraire. Cinquième et sixième parties. Tome 3.
Paris, Le Seuil, 1976. 468 pages.

Voici le troisième et dernier volume d’une œuvre qui restera comme un monument impérissable à la mémoire des dizaines de millions de victimes du totalitarisme en URSS. Il traite de la période finale du règne de Staline et de celui de ses successeurs : comment, un quart de siècle après son abolition par la Révolution, a été rétabli le bagne russe, bientôt confondu avec les « camps spéciaux », réservés aux détenus politiques, où on leur fait porter des numéros comme chez les nazis – oui, encore quelques années après Nuremberg, quand l’humanité soupirait : « Cela ne se reproduira plus jamais ! « 
A ceux qui n’ont pas manqué de demander, aux historiens marxistes soucieux de rejeter sur les victimes la responsabilité de leur sort : « Mais pourquoi donc vous êtes-vous laissé faire ? » Soljénitsyne répond par une extraordinaire chronique des évasions, grèves, révoltes héroïques qui ont jalonné l’histoire des camps soviétiques de l’après-guerre et dont personne n’avait eu jusqu’ici connaissance.
La mort de Staline a-t-elle mis fin au Goulag ? Absolument pas, répond Soljénitsyne. A certains égards, le régime des camps s’est encore durci. Quant à la relégation, cette forme d’exil intérieur qui toucha 15 millions de paysans lors de la « dékoulakisation », puis des nations entières, elle est devenue une méthode généralisée de mise à l’écart des indésirables. En bref, « les dirigeants passent, l’Archipel demeure ».
Au terme de leur lecture, bien peu d’Occidentaux contesteront qu’ils viennent de refermer un témoignage unique sur l’Histoire d’un siècle barbare, ainsi qu’une œuvre majeure de la littérature mondiale.


Le chêne et le veau : esquisses de la vie littéraire. – Avec en appendices un choix de documents. – Paris, Le Seuil, 1975. 569 pages.


"Un renne donne du front contre le chêne..." dit une locution proverbiale russe, qui explique le titre du livre. Commencés au plus fort de la répression post-kroutchévienne contre les mileux "dissidents", après la saisie des archives de Soljénitsyne et au lendemain du procès Siniavsky-Daniel, ces mémoires ne sont pas seulement une chronique de vingt ans de vie littéraire officielle et clandestine en URSS après Staline, mais se lisent comme le roman autobiographique de l'écrivain lui-même. Ils s'achèvent sur son arrestation et son bannissement en 1974, sauvé par la publication de l'Archipel du Goulag. 


Discours américains : recueil de trois discours prononcés en juin-juillet 1975 aux Etats-Unis – Paris, Le Seuil, 1975. 87 pages.





Les droits de l’écrivain. – Paris, Le Seuil, 1972. 124 pages.


Les Droits de l'écrivain» réunissent un entretien de l'auteur avec Pavel Lichko, mars 1967, un recueil de ses lettres à l'Union des écrivains soviétiques, mai 1967-avril 1968, et un compte-rendu de sa comparution devant elle.

Salué en Occident comme le plus grand écrivain russe vivant, prix Nobel de littérature en 1970, consacré par la publication simultanée dans les pays occidentaux d'Août quatorze, A. Soljénitsyne demeure persécuté en URSS où ses oeuvres interdites circulent clandestinement.
Voici recueillies ses lettres de protestation à l'Union des écrivains soviétiques et le compte rendu qu'il a rédigé de sa comparution devant elle : une des plus sinistres tragi-comédies qu'on puisse lire. En annexe à ce recueil figure le texte du discours que Soljénitsyne a écrit, mais n'a pu prononcer, à l'occasion du prix Nobel.


L’erreur de l’Occident. – Paris, Grasset, 1980. 126 pages.


Textes précédemment parus en anglais dans "Time", février 1980 et

Dans cet essai oublié pour la première fois en 1980, l'auteur de l'Archipel du Goulag rappelle que le communisme est un mal universel et s'interroge sur ce qui conduit les milieux influents, en Occident, à laisser croire que communisme et Russie ne font qu'un, que l'idéologie et le système communistes sont une spécificité russe, comme les zakouskis ou les ballets du Bolchoï.
Qui sont les propagateurs de cette vision du monde où la Russie ferait figure de seul et unique foyer d'infection répandant la pandémie communiste de par le monde ?"


Une journée d’Ivan Denisovitch. – Paris, Union générale d’éditions, 1963. 192 pages.


En 1962, pour qu'Une journée d'Ivan Denissovitch pût être publiée en URSS, Soljenitsyne avait dû consentir à des coupures et, par endroits, remanier le texte original. Voici la version intégrale de ce roman si profondément, si tragiquement russe et qui, cependant, fait maintenant partie du patrimoine mondial de la culture. Vingt ans ont passé depuis qu'il a vu le jour. Des œuvres  monumentales ont succédé à ce joyau : le Premier Cercle, le Pavillon des cancéreux, Août Quatorze et ce requiem colossal qu'est l'Archipel du Goulag ; pourtant, c'est toujours Ivan Denissovitch qui revient le premier à la mémoire dès qu'on nomme Soljenitsyne.
Récit, dans sa version intégrale, de la douloureuse expérience du maçon Denissovitch dans le camp Solovetski. Cette description crue du goulag a fait sensation dès sa parution.

Quatrième de couverture:

Une journée d'Ivan Denissovitch , c'est celle du bagnard Ivan Denissovitch Choukhov, condamné à dix ans de camp de travail pour avoir été fait prisonnier au cours de la Seconde Guerre mondiale. Le récit nous montre sa journée depuis le coup sur le rail suspendu dans la cour qui marque le lever, jusqu'au court répit du soir et au coucher, en passant par les longues procédures de comptage, la peur des fouilles, les bousculades au réfectoire, les travaux de maçonnerie par un froid terrible dans l'hiver kazakhe, les menues chances et malchances de la journée. Archétype du paysan russe moyen, Choukhov, homme humble et débrouillard en qui le bien fait encore son œuvre , a su se libérer intérieurement et même vaincre la dépersonnalisation que ses maîtres auraient voulu lui imposer en lui donnant son matricule. Le talent propre à Soljénitsyne, son don de vision interne des hommes apparaissent ici d'emblée dans une complète réussite : ce chef-d'œuvre à la structure classique restera dans toutes les anthologies du vingtième siècle comme le symbole littéraire de l'après-Staline. 


Lettre aux dirigeants de l’Union Soviétique : [5 septembre 1973] et autres textes [1972-1974]. –Paris, Le Seuil, 139 pages.


"Quand la violence fait irruption dans la vie paisible des hommes, son visage flamboie d'arrogance, elle porte effrontément inscrit sur son drapeau, elle crie : "Je suis la violence ! Place, écartez-vous, ou je vous écrase !" Mais la violence vieillit vite, encore quelques années et elle perd son assurance, et pour se maintenir, pour faire bonne figure, elle recherche obligatoirement l'alliance du mensonge. Car la violence ne peut s'abriter derrière rien d'autre que le mensonge, et le mensonge ne peut se maintenir que par la violence. Et ce n'est ni chaque jour, ni sur chaque épaule que la violence pose sa lourde patte : elle n'exige de nous que notre obéissance au mensonge, que notre participation quotidienne au mensonge et c'est tout ce qu'elle attend de ses loyaux sujets.
Et c'est là justement que se trouve, négligée par nous, mais si simple, si accessible, la clef de notre libération : le refus de participer personnellement au mensonge ! Qu'importe si le mensonge recouvre tout, s'il devient maître de tout, mais soyons intraitables au moins sur ce point : qu'il ne le devienne pas par moi !"
Alexandre Soljénitsyne, Moscou, 12 février 1974.


Le Pavillon des cancéreux. – Paris, Le Livre de poche, 1973. 701 pages.


En 1955, au début de la déstalinisation, Alexandre Soljenitsyne est exilé dans un village du Kazakhstan après huit ans de goulag. Il apprend alors qu'il est atteint d'un mal inexorable dont le seul nom est un objet de terreur. Miraculeusement épargné, il entreprendra quelques années plus tard le récit de cette expérience.
Au " pavillon des cancéreux ", quelques hommes, alités, souffrent d'un mal que l'on dit incurable. Bien que voisins de lit, Roussanov et Kostoglotov ne se parlent pas. Pour l'un, haut fonctionnaire, la réussite sociale vaut bien quelques concessions. Pour l'autre, Kostoglotov, seule compte la dignité humaine. Pour ces êtres en sursis, mais également pour Zoé la naïve, Assia la sensuelle, Vadim le passionné, c'est le sens même de leur vie qui devient le véritable enjeu de leur lutte contre la mort. Une œuvre de vérité.


Le Premier cercle. – Paris, Laffont, 1972. 823 pages.


Le jeune diplomate Volodine a eu connaissance d'un piège tendu à un médecin de valeur, ami de sa famille, Doit-il le prévenir ? Sa conscience et son coeur disent oui, l'instinct de conservation regimbe. En 1949, sous Staline, il faut se montrer en tout d'une extrême prudence si l'on veut vivre ou simplement survivre, mais alors est-on encore un être humain ? D'ailleurs, il n'existe pas de technique permettant d'identifier les voix. En appelant d'une cabine publique, en faisant vite, les risques restent limités. Et Volodine téléphone. Par malheur, il y a près de Moscou, à Mavrino, une de ces prisons surnommées charachkas où les détenus politiques, pour la plupart ingénieurs et techniciens, sont employés à des travaux de recherche. Ceux de Mavrino s'occupent de mettre au point un téléphone assurant le secret absolu des communications et, accessoirement, d'élaborer un système de codification de la voix analogue à celui des empreintes digitales. Qui sont ces détenus ? Des mathématiciens, des paysans ou de hauts fonctionnaires qui ont plongé par le hasard d'un caprice ou, d'une dénonciation dans l'Enfer de la disgrâce dont la charachka est le premier cercle, le camp de déportation le dernier ? épreuves qu'Alexandre Soliénitsyne, pour les avoir vécues, décrit et dénonce avec vigueur dans ce livre bouleversant.


MARTIN, André. Soljénitsyne le croyant : lettres, discours, témoignages. – Paris, Editions Albatros, 1973. 171 pages.


La prière d’Alexandre Soljénitsyne
"La lutte pour la liberté que nous ignorons en Occident, des hommes et des femmes en Union soviétique la mène âprement et parfois au risque de subir ce qui est pire que la mort : la désintégration de leur personne dans des asiles conçus pour réduire à néant tous ceux qui veulent vivre, agir et penser en hommes libres. (...) Il fallait un géant comme Soljenitsyne pour nous en faire prendre conscience."  André Martin


Publication : Bibliothèque diocésaine d'Aix et Arles

Jésus, l'homme qu préférait les femmes




Jésus, l’homme qui préférait les femmes
Christine Pedotti
Paris, Albin Michel, 2018. 184 pages.

Rares ont été jusqu’ici les recensions pour présenter le livre de Christine Pedotti « Jésus, l’homme qui préférait les femmes ». Voici deux articles qui le présentent : dans le premier, c’est l’auteur elle-même qui en parle ; le second donne le point de vue protestant sur ce livre.

Il est étrange que la présence des femmes dans les Evangiles ait été si peu remarquée depuis deux mille ans. Car ce ne sont pas les textes qui sont misogynes mais la lecture qui en est faite
Il y a sept choses que Dieu déteste, et la première est un homme qui n’a pas de femme. »

Ce proverbe juif, bien connu au temps de Jésus, continue à nourrir toute sorte de fantasmes sur une femme que Jésus aurait pu avoir (Marie-Madeleine) ou une famille qu’il aurait pu fonder. Il reste que le célibat de Jésus questionne l’historien honnête ; est-il possible qu’un juif pieux – et il ne fait pas de doute que Jésus en était un puisse, à 30 ans, n’être pas marié ? C’est si intrigant que des scientifiques réputés pensent qu’il est possible que Jésus ait été marié et soit veuf au moment où il entame ce qu’on nomme sa « vie publique ». En effet, à l’époque, les jeunes gens se mariaient entre 16 et 18 ans, les jeunes filles à partir de 12 ou 13 ans.
Pourtant, sauf à aller chercher des textes datant de plusieurs siècles après la mort de Jésus, il n’y a pas la moindre trace, pas la moindre évocation d’une famille de Jésus autre que ses parents et ses frères et sœurs, dans les Evangiles ou les lettres de Paul.
Les disciples, en revanche, sont au détour d’une phrase munis d’une femme et d’une famille : ainsi, Paul, qui lui-même est célibataire, défend le droit qu’il aurait de prendre femme en écrivant aux chrétiens de Corinthe : « N’avons-nous pas le droit d’emmener une épouse croyante, comme les autres apôtres, et les frères du Seigneur, et Céphas ? » (1 Corinthiens, 9 :5 – Céphas est l’autre nom de l’apôtre Pierre).

Jésus, protecteur des femmes
Pourtant, s’il n’y a pas la moindre trace d’une femme de Jésus, il y a autour de Jésus beaucoup de femmes, et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il se conduit avec elles d’une façon extrêmement singulière pour les usages de son temps. En effet, la société juive de l’époque est très fortement patriarcale. Les femmes passent de l’autorité de leur père à celle de leur mari, ou, à défaut, de leur frère ou de leur fils aîné. Qu’une femme puisse être indépendante est inenvisageable, et le malheur et la misère tombent sur les veuves sans protecteur ou les épouses répudiées.
L’Evangile évoque l’extrême pauvreté des veuves. Quant aux répudiées, elles sont réduites, dans le meilleur des cas, à une situation de domesticité dans la maison de leur père ou de leur frère et, le plus souvent, à la prostitution. L’opposition de Jésus à la répudiation – et non au divorce comme on le dit trop souvent – est évidemment une interdiction faite aux hommes de se débarrasser d’une épouse comme d’un vieux chameau de réforme. Les disciples ne s’y trompent d’ailleurs pas qui s’exclament : « Si telle est la condition de l’homme envers la femme, il n’est pas avantageux de se marier » (Matthieu, 19 :10). En cette matière, Jésus est bien le protecteur des femmes contre la « dureté du cœur  des hommes ».

Le rôle « naturel » de la femme
Mais Jésus ne protège pas seulement les femmes, il les considère comme de véritables interlocutrices. L’Evangile de Luc le montre ainsi dans la maison de deux femmes, Marthe et Marie, sœurs  de Lazare, à Béthanie. Marthe, sans doute l’aînée, s’agite à la cuisine comme une bonne maîtresse de maison afin d’accueillir dignement son hôte, tandis que Marie demeure assise aux pieds de Jésus, qu’elle écoute. Mais Marthe ne l’entend pas ainsi, et l’évangéliste, avec un beau talent littéraire, nous la montre furibarde, faisant, en une seule phrase, reproche à Jésus et à sa sœur :
« Cela ne te fait rien que ma sœur me laisse servir toute seule ? Dis-lui donc de m’aider ! »
Et bien non, n’en déplaise à Marthe, cela ne lui fait rien, à Jésus, qui répond à la râleuse :
« Marie a choisi la meilleure part, elle ne lui sera pas enlevée » (10 : 40-42).
Le rôle « naturel » de la femme n’est donc pas d’être à la cuisine ! Si une femme le souhaite, elle a droit à la part qui, dans le judaïsme traditionnel, est celle des hommes : celle de la réflexion et de l’étude.
Si la place des femmes n’est pas à la cuisine, serait-elle dans la maternité ? Pas sûr. Un peu plus tard, l’Evangile rapporte une autre scène : alors que Jésus traverse un village, une femme crie dans la foule : « Heureuses les entrailles qui t’ont porté et les seins que tu as sucés ! » La réponse de Jésus fuse : « Heureux plutôt ceux qui écoutent la parole de Dieu et l’observent ! » (11 :27-28). Ainsi donc, le bonheur d’une femme ne serait pas dans son ventre et ses seins ?

Jésus n’est pas toujours entouré de femmes convenables…
Mais la singularité de la relation de Jésus avec les femmes ne se résume pas à ces épisodes, car des femmes, dans les Evangiles, il n’en manque pas et, contrairement à ce qu’on imagine, la mère de Jésus, Marie de Nazareth, bien qu’omniprésente dans le catholicisme et dans l’orthodoxie, n’y est guère qu’une présence furtive. Ni Jean ni Paul ne connaissent son nom.
Ce sont donc d’autres femmes qui entourent Jésus, et, il faut bien le reconnaître, pas toujours des femmes convenables.
C’est le cas d’une célèbre prostituée, lors d’un banquet chez un certain Simon – on la confond souvent à tort avec Marie-Madeleine, que Jésus délivre de sept démons. La belle de chez Simon saisit les pieds de Jésus, les baigne de ses larmes, les essuie avec ses cheveux et y répand un très coûteux parfum sous le regard réprobateur du maître de maison et de ses invités qui se scandalisent que Jésus accepte sans protester un hommage si sensuel. Ne voit-il pas qui est cette femme ? Si, il le voit très bien, et c’est pour elle qu’il déclare :
« A ceux qui auront beaucoup aimé, il sera beaucoup pardonné » (Luc, 7 :47).
A cette rencontre fait écho la scène de la femme prise en flagrant délit d’adultère qui est jetée par ses accusateurs aux pieds de Jésus : doit-on la lapider comme le prescrit la loi de Moïse ? Non sans humour, Jésus propose que celui qui n’a jamais péché jette la première pierre. Tous les hommes, confus, se retirent et Jésus relève la femme : « Moi non plus, je ne te condamne pas » (Jean, 8 :11).

S’il y a de la misogynie dans les Evangiles, c’est celle des disciples 
Jésus est aussi montré par les auteurs des Evangiles comme celui qui se laisse toucher, au propre et au figuré, par la détresse des femmes. Jésus ne montre aucun intérêt pour les règles de pureté rituelles qui interdisent le contact avec les femmes. Un jour, une femme « impure » selon la loi religieuse car affligée depuis des années de pertes de sang, touche le bas de son manteau, et Jésus, loin de s’insurger, en la guérissant, la délivre de l’isolement social dans lequel sa maladie l’avait plongée.
Parmi les femmes qui émeuvent Jésus, on notera l’étrangère syro-phénicienne qui le supplie de guérir son enfant malade. D’abord, il la repousse, mais elle insiste tant qu’à la fin il se laisse convaincre et s’exclame : « O femme, grande est ta foi ! Qu’il t’advienne selon ton désir ! » (Matthieu, 15 :28).
Et en effet, les Evangiles sont parcourus par les manifestations de la foi humble et insistante des femmes. Il est étrange que cette présence des femmes ait été si peu remarquée depuis deux mille ans. Car ce ne sont pas les Evangiles qui sont misogynes mais la lecture qui en est faite, qui repousse les femmes au fond du décor et privilégie les hommes qui pourtant ne comprennent rien. Jésus ne cesse de morigéner ses propres disciples : «Cœurs  sans intelligence… », «esprits bouchés ». Il n’y va pas de main morte !
S’il y a de la misogynie dans les Evangiles, c’est celle des disciples, et, avec une incroyable honnêteté, ils l’avouent. Ainsi, les femmes, et tout particulièrement Marie-Madeleine, sont les premiers témoins de la résurrection. Ce sont elles qui, devant le tombeau vide, reçoivent l’annonce incroyable : « Ne cherchez pas parmi les morts celui qui est vivant. » Or, quand elles courent le rapporter aux disciples, ceux-ci haussent les épaules : « Ces propos leur semblèrent du radotage, et ils ne les crurent pas » (Luc, 24 :5-11).

Jésus serait-il féministe ?
Pour autant, doit-on conclure que Jésus était féministe ? Le mot et l’idée sont bien sûr totalement anachroniques. Cependant, on demeure étonné de la bienveillance de Jésus à l’égard des femmes. Il ne fait pas de doute qu’il goûte leur compagnie et leur conversation. On est étonné de constater que dans un mode de discours qui lui est très particulier, la parabole, les images liées au monde des femmes sont nombreuses et quasi à parité avec celles qui sont masculines. Ainsi, le Royaume de Dieu est « comme un homme qui a perdu une brebis… », « comme une femme qui a perdu une pièce d’argent… », «comme une femme qui met du levain dans la pâte… », « comme un homme qui trouve une perle de grande valeur… ». Et la confiance en Dieu est comme celle des oiseaux qui ne sèment (masculin) ni ne tissent (féminin) mais qui sont nourris et vêtus. Au final, ce qui est frappant, c’est à quel point Jésus parle aux femmes « d’égal à égal ».
Le dialogue qu’il noue avec la Samaritaine est à cet égard exemplaire. Jésus, en plein midi, au puits de Jacob, lieu de la rencontre amoureuse par excellence, engage un dialogue théologique avec une femme sur le « don de Dieu », et la façon de prier. « Ici ou au Temple de Jérusalem ? » demande la femme. »En esprit et en vérité », répond Jésus. L’évangéliste Jean nous montre d’ailleurs les disciples choqués de voir leur maître en conversation avec cette femme. Il est vrai que pour aller au puits en plein midi, il faut sans doute qu’elle soit en marge de la communauté. En effet, elle l’est : femme de beaucoup d’hommes, cinq maris successifs et un amant, paraît-il. L’évangéliste ne fait pas de mystère : au puits de la rencontre, elle a rencontré l’homme de sa vie (le septième, celui de l’accomplissement suivant la symbolique des nombres). Cette scène a inspiré de nombreux peintres qui y ont figuré à la fois le désir et la soif spirituelle. Jésus promet à la femme ce qu’il nomme « l’eau vive ». Mais la misogynie ordinaire des commentaires des hommes d’Eglise en fait une fille perdue, aux mœurs  légères, que Jésus remet dans le droit chemin.

Hélas, la présence des femmes dans les Evangiles a souvent donné lieu de la part des hommes, seuls autorisés à commenter les textes, à des jugements de sotte morale sur la vertu des femmes. Il y a pourtant bien un évangile – au sens étymologique de « bonne nouvelle » – annoncé aux femmes et reçu par elles. Espérons que les filles du XXIe siècle liront ces textes qui sont désormais ouverts à tous et toutes et y trouveront matière à combattre le masculinisme arrogant, contraire au message de Jésus, de tant d’hommes d’Eglise…
Christine Pedotti

Cet article est paru dans le hors-série de « l’Obs », « L’énigme Jésus », en kiosque depuis le 24 décembre 2017.


Jésus, l’homme qui préférait les femmes, un essai audacieux
Publié le : 2018-10-30 16:48:03 
Joëlle Razanajohary, la fondatrice du blog Servir ensemble, a lu pour nos lecteurs le livre :

« Jésus, l’homme qui préférait les femmes » est un livre à la fois audacieux et simple !
Audacieux par son titre qui résume la thèse centrale de l’auteure : Jésus, que l’histoire et la tradition dépeignent constamment entouré d’hommes et en interaction principale avec des hommes, ‘préférait’ être en relation avec des femmes ! La thèse est osée, puisque tout en s’opposant aux lectures habituelles (qui placent Jésus et les douze disciples au centre des évangiles) elle aborde avec humour les problématiques de genre sans même en avoir l’air. Rien de ‘sexuel’ cependant dans l’affirmation… Histoire de rassurer tout le monde !
Simple par le moyen choisi par l’auteure pour démontrer sa thèse : l’attention concentrée sur la qualité des relations que Jésus entretenait avec elle permet de dégager des points de vue largement passés sous silence lorsque les lectures sont effectuées par des hommes seulement.
Christine Pedotti fait ainsi le pari que malgré la masculinité de tous les auteurs des évangiles, les textes contiennent suffisamment d’indices clairs de ce que Jésus vivait avec les femmes pour démonter les compréhensions partielles et misogynes traditionnelles. Elle montre que nos yeux n’ont pas su, ou pas pu voir parce qu’ils n’ont pas été formés à lire tout simplement ce qui est écrit.
Et ça marche ! Au fil des chapitres, l’auteure déroule son fil d’Ariane à travers les textes pour nous faire entrer dans un monde nouveau où :
La maternité n’est plus le lieu unique de vie, d’accomplissement des femmes. La figure de Marie sa mère, le peu de places que les évangiles lui réservent, mais aussi les différentes paroles du Christ à son égard sont étudiées et servent à redéfinir la destinée des femmes.
De même le mariage va être l’objet d’un repositionnement particulier grâce au focus positif placé sur le célibat. Mais c’est un célibat volontaire dont parle Jésus. Un célibat qui ne cherche pas à fuir le sexe opposé : Jésus lui-même célibataire, est proche des femmes et il démontre qu’il connait bien l’univers féminin, son quotidien, puisqu’il en fait même le lieu d’une partie de son enseignement !
Dans l’environnement immédiat du Christ apparaissent ainsi des femmes diverses dont les noms ont rarement été retenus, patriarcat oblige, mais qui toutes sont l’objet d’interactions diverses et surtout d’enseignements.
Jésus les voit : Pour lui, les femmes ne sont pas invisibles. Bien plus il les regarde. L’auteure montre la qualité du regard et de l’attention que Jésus porte aux femmes : La petite veuve de Jérusalem, la veuve de Nain, la femme courbée défilent sous nos yeux et nous réalisons soudainement combien, oui, l’attitude de Jésus prouve son intérêt pour elles, l’estime qu’il leur porte.
Jésus les admire : L’épisode de la femme syro-phénicienne qui arrache à Jésus la guérison de sa fille possédée est longuement commenté, de même que son comportement avec Marthe qu’il traite « d’homme à homme ». Expression légèrement choquante au point de départ, mais ô combien heureuse ! Oui, Jésus traite les femmes d’homme à homme !
Jésus parle avec les femmes  et bien plus encore, puisqu’il entame avec elles des conversations théologiques ! Ainsi, avec la samaritaine à qui il confie pleinement qui il est et le cœur de la volonté de Dieu : Une révélation aussi précieuse que « Dieu est esprit et il faut que ceux qui l’adorent, l’adorent en esprit et en vérité » est confiée à une femme dans une discussion théologique décisive. Improbable Jésus !
Jésus libère les femmes de l’enfermement dans le service domestique et les accepte comme disciples. L’auteure affirme que dans l’épisode de Marthe et Marie, Jésus « libère les femmes de leur assignation à une identité de genre ». Jésus libère également les femmes de l’opprobre et du déshonneur lié aux ‘fautes sexuelles’ ; l’épisode de la femme adultère est lu et compris comme l’annulation d’une injustice envers les femmes trop souvent jugées seules coupables, comme la libération de l’emprise et de la domination des hommes sur elles.
Jésus touche les femmes et se laissent toucher par elles, ce qui est proprement scandaleux pour un juif pieux, puisqu’on ne sait jamais à quel moment une femme est impure à cause de ses menstruations, il vaut donc mieux ne jamais les toucher ! De « femmes sujettes à des épisodes d’impureté », elles étaient devenues des « êtres potentiellement impurs risquant d’inoculer l’impureté à des êtres purs ». L’épisode de la femme aux douze années de perte de sang témoigne de la réhabilitation physique, mais aussi psychique et sociétale, tout autant que religieuse. De même l’épisode de l’onction de Béthanie prend ici un sens tout à fait nouveau puisqu’il est comparé à un geste prophétique et décrit par Jésus comme un geste mémoriel malheureusement ‘oublié’ par l’histoire chrétienne que les hommes ont écrite !
Jésus confie la bonne nouvelle de la résurrection aux femmes. Femmes au pied de la croix alors que les hommes fuient. Femmes au tombeau alors que les hommes se cachent… L’auteure se pose la question du pourquoi. Pourquoi les femmes sont-elles encore là, assurant la continuité de l’histoire du Christ avec l’humanité alors que les hommes n’y sont plus ? C’est ici qu’elle lit la cause de cette préférence qui relie Jésus aux femmes. Jésus préfère les femmes non pas à cause de leur genre, mais peut-être à cause de la profondeur de leur amour…
Le dernier chapitre va plus loin et met en lumière la cause de cet amour profond des femmes à l’égard de Jésus. Les femmes font partie de la catégorie des ‘petits’. Les petits, ces personnes violentées, humiliées, rejetées, que Dieu voit et qu’il choisit toujours de relever, lui qui est venu pour ‘disperser les superbes’…




Christine Pedotti
 Biographie
Christine Pedotti est née en 1960 dans les Ardennes. Après des études d’histoire et de sciences politiques, elle a collaboré à la naissance de Grain de Soleil, mensuel chrétien destiné aux enfants publié par Bayard. Elle a écrit de nombreux ouvrages de vulgarisation de la foi catholique, principalement adressés aux jeunes et aux enfants, en particulier dans la collection Théo chez Fleurus-Mame. . Chez cet éditeur, elle a dirigé le département religieux et créé un département de la jeunesse, où elle est à l’origine du Dico des Filles.
En 2008, à la suite d’un propos sexiste du cardinal archevêque de Paris André Vingt-Trois, elle crée, avec Anne Soupa, le Comité de la Jupe   pour lutter contre la discrimination à l’égard des femmes dans l’Eglise catholique. En 2009, toujours avec Anne Soupa, elle crée la Conférence catholique des baptisé-e-s francophones (C.C.B.F.), afin de promouvoir la responsabilité des baptisés catholiques.
Elle est chevalier de la Légion d’honneur depuis le 1er janvier 2014
Ouvrages
Le petit Théo, carnet de route des années caté, Droguet & Ardant, 2001
En collaboration avec Michel Dubost, Stanislas Lalanne et Jacques Perrier
Le livre de la foi des tout petits, Mame, 2003
Le livre de la foi des petits enfants, Mame, 2004
Théo des tout petits en images, Droguet & Ardant, 2005
Le livre de la prière en famille, Mame/Edifa, 2006
Mon premier Théo, Mame, 2006
Nouvelle édition
Petite encyclopédie du christianisme pour tous, Fleurus, 2007
Quand la Bible offre l’impossible, Mame, 2008
Théo Junior, Mame, 2008
Nouvelle édition
La Longue Patience du sanglier, Plon, 2009
Roman. En collaboration avec Vincent Villeminot
Le Nouveau Théo, Mame, 2009
Direction d’ouvrage
Théo Benjamin, Mame, 2009
Nouvelle édition
Les Pieds dans le Bénitier, Presses de la Renaissance, 2010
En collaboration avec Anne Soupa
La bataille du Vatican, Plon, 2012
Ce Dieu que j’aime, Médiapaul, 2012
Faut-il faire Vatican III, Tallandier, 2012
Jésus, cet homme inconnu, XO, 2013.
La Bible racontée comme un roman , XO Editions, T1, 2015.
La Bible racontée comme un roman , XO Editions, T2, 2016
Jésus, l’Encyclopédie (dir.), Albin Michel, 2017
Jésus, l’homme qui préférait les femmes, Albin Michel, 2018

 La phrase de Mgr André Vingt-Trois qui a tout déclenché 
 Emission «Face aux Chrétiens», le 6 novembre dernier. Mgr Vingt-Trois est ce jour-là l’invité de Radio-Notre-Dame. L’un des quatre journalistes présents l’interroge sur le rôle des femmes dans la célébration des offices. Réponse de l’archevêque de Paris : «Ce qui est plus difficile c’est d’avoir des femmes qui soient formées, le tout ce n’est pas d’avoir une jupe, c’est d’avoir quelque chose dans la tête». Un propos qui ne suscite alors aucune réaction de ses interlocuteurs.
Mais la petite phrase, relevée par Le Canard enchaîné, va déclencher ensuite des réactions outrées sur le site de la radio associative.  . De nombreux mails de paroissiens indignés sont envoyés à Radio Notre-Dame. Les «Réseaux du parvis», une association du diocèse de Lyon, décide de son côté d’adresser une lettre ouverte au cardinal Vingt-Trois : «Même sous couvert d’humour, tout mépris à l’encontre des femmes met en péril l’équilibre de la société tout entière».
Celui qui est aussi le président de la Conférence des évêques de France leur répond alors directement dans un courrier dont une copie a été transmise à l’Agence France-Presse. L’homme d’Eglise dit regretter «la maladresse de (son) expression» et assure que «dans l’exercice de (sa) responsabilité», il «n’hésite jamais à appeler des femmes à des responsabilités quand elles sont en situation de les exercer».


Publication : Bibliothèque diocésaine d'Aix et Arles