lundi 13 novembre 2017

L'éternité reçue : Martin Steffens

L’éternité reçue

Martin Steffens

Paris, Desclée de Brouwer, 2017. 245 pages  


« j’ai réglé mes comptes avec la vie, je veux dire : l’éventualité de la mort est intégrée à ma vie ; regarder la mort en face et l’accepter comme une partie intégrante de la vie, c’est élargir cette vie, par peur de la mort et refus de l’accepter, c’est le meilleur moyen de ne garder qu’un pauvre bout de vie mutilée méritant à peine le nom de vie. Cela semble un paradoxe : en excluant la mort de sa vie on se prive d’une vie complète, en l’y accueillant on élargit et enrichit sa vie »  (Etty Hillesum in Une vie bouleversée. Journal –ceci étant écrit le 3 juillet 1942 quelques jours avant son exécution dans les chambres à gaz.
  

C’est par cette réflexion surprenante que s’ouvre le livre de Martin Steffens L’éternité reçue. On pourrait penser qu’avec un tel titre l’auteur nous donnerait un manuel pour réussir une belle mort  ou se préparer à mourir. Mais en y pénétrant plus en profondeur on s’aperçoit qu’il s’agit bien plutôt d’un hymne à la vie, une vie reçue qu’il faut vivre hic et nunc, ici et maintenant ; il faudra certes quitter cette vie d’ici-bas mais pour recevoir l’Eternité de la main d’un autre, de la main même de Dieu. 

L’auteur nous dit que nous ne sommes pas faits pour mourir mais pour vivre ! Etrange paradoxe quand on sait qu’il nous faudra un jour la quitter pour la recevoir à nouveau ! Dans les premiers chapitres  met en garde contre ses soi-disant préceptes pour se préparer à ce qui fait notre condition humaine, il met en garde contre ces « sagesses de camomille »  comme il s’insurge contre ce souhait de maîtriser la mort par le fait de « vouloir mourir quand on veut et comme on veut » (c’est ce que réclament ceux qui prônent le « droit » à mourir quand on l’a décidé.Qu’est-ce donc que  vivre ? Vivre, c’est apprendre à ne pas vouloir tout maîtriser : il faut apprendre à renoncer à ses désirs même ceux qui sont légitimes, c’est accepter ces « petites morts » dont nous parle l’auteur : à chaque obstacle nous sommes invités à ces renoncements, à nous déprendre de nous-mêmes. Et ce consentement à ces « petites morts » de chaque jour sont des actes d’amour. Mourir à soi-même  c’est tuer en nous ce qui dans notre vie est justement obsédé par la vie.

Ces « petites morts », lues à partir de la pensée de Simone Weil, indiquent un chemin de dépossession et de plénitude. Elles nous introduisent dans le mystère de notre mort et de l’éternité à laquelle nous sommes appelés. Car l'heure viendra où nous serons dessaisis de tout, où il faudra enfin faire le renoncement ultime. Et c'est notre propre vie qui nous sera redonnée en plénitude : nous recevrons encore une fois la vie car la vie nous a été donnée une première fois à la naissance.

Nous étions à la lisière du paradis, et nous ne le savions pas ! Il faudra bien l'éternité pour prendre la mesure de cette étrange nouvelle. L’Eternité reçue : l’éternité c’est le don que Dieu nous fera si nous le voulons bien, si nous ne mangeons pas le « fruit défendu » pour retrouver le Jardin perdu (et là l'auteur ne manque pas de dire que ceux qui veulent pour nous l'immortalité par le mouvement du transhumanisme nous volent notre humainté) ! Mais il faut lire la très belle méditation qu’en fait Martin Steffens qui parle en philosophe et surtout en croyant. Voilà un livre parfois difficile car il ne faut pas oublier que l’auteur est aussi un philosophe.

Mais c’est avant tout un hymne à la vie parce que ce livre est plein d’espérance. « Je ne meurs pas, j’entre dans la vie ! » disait sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus au moment de sa mort. Telle aurait pu être aussi la conclusion de cet ouvrage loin d’être triste parce que l’Espérance en est le moteur.
  

Biographie de l’auteur.

Martin Steffens (né en 1977) est professeur de philosophie en khâgne, conférencier et chroniqueur pour les journaux La Croix et La Vie. C’est également un spécialiste de  Nietzche, Simone Weil et Chestov. Il a publié plusieurs essais, parmi lesquels : Petit traité de la joie. Consentir à la vie (2011 ; Prix Humanisme Chrétien, 2013) ; La Vie en bleu (2014) ; Rien que l'amour (2015 ; Prix des Libraires religieux, 2016) ; Rien de ce qui est inhumain ne m'est étranger. Éloge du combat spirituel (2016). 


Publication : Claude Tricoire - Bibliothèque diocésaine d'Aix et Arles

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