vendredi 1 février 2019

Quand saint François rencontre le Sultan


  

Le Saint chez le Sultan. La rencontre de François d'Assise et de l'Islam. Huit siècles d'interprétation
John Tolan
Paris, Le Seuil, 2007. 512 pages.




Présentation de l'éditeur
En 1219, dans le cadre de la cinquième croisade, François d'Assise rend visite au sultan Malik al-Kâmil. Cette rencontre du christianisme et de l'islam n'a cessé depuis huit siècles de nourrir interprétations et représentations. Des discours hagiographiques à Benoît XVI en passant par Voltaire, des fresques de la basilique d'Assise aux gravures de Gustave Doré, l'événement a suscité une abondance de points de vue : geste de martyr ? mission de prédication aux infidèles ? acte d'audace naïf ? volonté de négocier une issue pacifique et, partant, modèle de dialogue pour l'Église d'aujourd'hui ? Autant de questions qui sont ici replacées dans leur contexte et soumises au crible du regard de l'historien.


L’auteur
Médiéviste, professeur à l'université de Nantes, John Tolan est l'auteur, notamment, du très remarqué Les Sarrasins (Aubier, 2003).




Quand François rencontrait le sultan égyptien

La rencontre entre saint François et le sultan.


Le voyage du pape François en Égypte, du 28 au 29 avril 2017, et notamment sa visite auprès de l’imam d’Al-Azhar, évoquera un lointain précédent : la rencontre de saint François d’Assise avec le sultan Malik al-Kamil, en 1219. Si historiquement, tous les détails du récit ne sont pas avérés, ils sont toujours discutés près de huit siècles plus tard.

En 1219, la guerre fait rage entre les croisés et l’islam. Deux siècles plus tôt, le tombeau du Christ a été réduit en poussière par les troupes du sultan. Dans la plaine égyptienne de Damiette, dans le delta du Nil, les deux armées se font face.
Le sultan al-Kamil a publié un décret promettant une forte récompense en or à quiconque apporterait la tête d’un chrétien. De leur côté, les croisés, commandés par Pélage, essaient de prendre le port de Damiette avec l’intention de conquérir l’Égypte.
Deux tentatives préalables pour prêcher l’Évangile
C’est dans ces circonstances que saint François décide, avec son compagnon le frère Illuminé, d’aller prêcher l’Évangile chez les musulmans. À deux reprises déjà, le Poverello a essayé de se rendre en Terre sainte pour faire connaître le Christ, sans succès.
Le seul récit détaillé sur cet épisode dont disposent les historiens est signé de saint Bonaventure. Il est postérieur de plus d’un siècle à l’événement, et surtout, il se veut surtout une épopée à la gloire du saint fondateur de l’ordre franciscain.
Capturé par les Sarrasins en tentant de franchir leurs lignes, raconte ainsi saint Bonaventure, François demande à voir le sultan, ce qu’il obtient.

Considérée comme un échec
Le neveu de Saladin le reçoit avec beaucoup de courtoisie, note le chroniqueur, mais cette visite est alors considérée comme un échec, car le saint n’a pas réussi à convaincre le sultan du bien-fondé de la religion chrétienne. Ni même obtenu la palme du martyre.
Pendant sept siècles, l’épisode resta donc relativement passé sous silence par les hagiographes de saint François. Même si les fioretti de saint François rapportent qu’à la fin, le sultan lui aurait glissé : « Frère François, je me convertirai très volontiers à la foi du Christ, mais je crains de le faire maintenant ; car si les gens d’ici l’apprenaient ils me tueraient avec toi et tous tes compagnons ».

Un détail oublié
Franciscain, le père Gwenolé Jeusset est intervenu à Assise, le 19 septembre 2016, lors du rassemblement des religions et des cultures pour la paix. Rappelant cet épisode ancien, cet ancien responsable de la Commission franciscaine pour les relations avec les musulmans et membre de la Commission islam du Vatican, a cependant ajouté un détail quasiment oublié jusqu’au XXe siècle
Il s’agit de la méditation que saint François lui-même a tiré de son expérience. « Les frères qui s’en vont parmi les musulmans et autres non-chrétiens, écrit le saint d’Assise, peuvent envisager leur rôle spirituel de deux manières : ou bien, ne faire ni procès ni disputes, être soumis à toute créature humaine à cause de Dieu, et confesser simplement qu’ils sont chrétiens ». Ou bien, poursuit-il, s’ils voient que telle est la volonté de Dieu, annoncer la Parole de Dieu afin que les non-chrétiens croient au Dieu tout puissant, Père, Fils et Saint-Esprit, Créateur de toutes choses, et en son Fils Rédempteur et Sauveur, se fassent baptiser et deviennent chrétiens ».

Le sourire de saint François
De son coté, Albert Jacquard, dans Le souci des pauvres (éd. Flammarion, 1996) écrit que « le sultan n’oublia pas le sourire de François, sa douceur dans l’expression d’une foi sans limite. Peut-être ce souvenir fut-il décisif lorsqu’il décida, dix années plus tard, alors qu’aucune force ne l’y contraignait, de rendre Jérusalem aux chrétiens ».
Ainsi, « ce que les armées venues d’Europe n’avaient pu obtenir, poursuit Albert Jacquard, (…) sans doute le regard clair de François avait-il poursuivi son lent travail dans la conscience de cet homme ouvert à la pensée des autres ».




Publication : Bibliothèque diocésaine d'Aix et Arles



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