Le Saint chez le Sultan. La rencontre de François d'Assise et de l'Islam.
Huit siècles d'interprétation
John Tolan
Paris, Le Seuil, 2007. 512 pages.
Présentation de l'éditeur
En 1219, dans le cadre de la cinquième croisade,
François d'Assise rend visite au sultan Malik al-Kâmil. Cette rencontre du
christianisme et de l'islam n'a cessé depuis huit siècles de nourrir
interprétations et représentations. Des discours hagiographiques à Benoît XVI
en passant par Voltaire, des fresques de la basilique d'Assise aux gravures de
Gustave Doré, l'événement a suscité une abondance de points de vue : geste de
martyr ? mission de prédication aux infidèles ? acte d'audace naïf ? volonté de
négocier une issue pacifique et, partant, modèle de dialogue pour l'Église
d'aujourd'hui ? Autant de questions qui sont ici replacées dans leur contexte
et soumises au crible du regard de l'historien.
L’auteur
L’auteur
Médiéviste, professeur à l'université de Nantes, John
Tolan est l'auteur, notamment, du très remarqué Les Sarrasins (Aubier,
2003).
Quand François
rencontrait le sultan égyptien
La rencontre entre saint François et le sultan.
Le voyage du pape François en Égypte, du 28 au 29 avril 2017, et notamment
sa visite auprès de l’imam d’Al-Azhar, évoquera un lointain précédent : la
rencontre de saint François d’Assise avec le sultan Malik al-Kamil, en 1219. Si
historiquement, tous les détails du récit ne sont pas avérés, ils sont toujours
discutés près de huit siècles plus tard.
En 1219, la guerre fait rage entre les
croisés et l’islam. Deux siècles plus tôt, le tombeau du Christ a été réduit en
poussière par les troupes du sultan. Dans la plaine égyptienne de Damiette,
dans le delta du Nil, les deux armées se font face.
Le sultan al-Kamil a publié un décret
promettant une forte récompense en or à quiconque apporterait la tête d’un
chrétien. De leur côté, les croisés, commandés par Pélage, essaient de prendre
le port de Damiette avec l’intention de conquérir l’Égypte.
Deux tentatives préalables pour prêcher l’Évangile
C’est dans ces circonstances que saint
François décide, avec son compagnon le frère Illuminé, d’aller prêcher
l’Évangile chez les musulmans. À deux reprises déjà, le Poverello a
essayé de se rendre en Terre sainte pour faire connaître le Christ, sans
succès.
Le seul récit détaillé sur cet épisode
dont disposent les historiens est signé de saint Bonaventure. Il est postérieur
de plus d’un siècle à l’événement, et surtout, il se veut surtout une épopée à
la gloire du saint fondateur de l’ordre franciscain.
Capturé par les Sarrasins en tentant de
franchir leurs lignes, raconte ainsi saint Bonaventure, François demande à voir
le sultan, ce qu’il obtient.
Considérée comme un échec
Le neveu de Saladin le reçoit avec
beaucoup de courtoisie, note le chroniqueur, mais cette visite est alors
considérée comme un échec, car le saint n’a pas réussi à convaincre le sultan
du bien-fondé de la religion chrétienne. Ni même obtenu la palme du martyre.
Pendant sept siècles, l’épisode resta donc
relativement passé sous silence par les hagiographes de saint François. Même si
les fioretti de saint François rapportent qu’à la fin, le
sultan lui aurait glissé : « Frère François, je me convertirai très
volontiers à la foi du Christ, mais je crains de le faire maintenant ; car si
les gens d’ici l’apprenaient ils me tueraient avec toi et tous tes
compagnons ».
Un détail oublié
Franciscain, le père Gwenolé Jeusset est
intervenu à Assise, le 19 septembre 2016, lors du rassemblement des religions
et des cultures pour la paix. Rappelant cet épisode ancien, cet ancien
responsable de la Commission franciscaine pour les relations avec les musulmans
et membre de la Commission islam du Vatican, a cependant ajouté un détail
quasiment oublié jusqu’au XXe siècle
Il s’agit de la méditation que saint
François lui-même a tiré de son expérience. « Les frères qui s’en vont
parmi les musulmans et autres non-chrétiens, écrit le saint d’Assise, peuvent
envisager leur rôle spirituel de deux manières : ou bien, ne faire ni procès ni
disputes, être soumis à toute créature humaine à cause de Dieu, et confesser
simplement qu’ils sont chrétiens ». Ou bien, poursuit-il, s’ils voient que
telle est la volonté de Dieu, annoncer la Parole de Dieu afin que les
non-chrétiens croient au Dieu tout puissant, Père, Fils et Saint-Esprit, Créateur
de toutes choses, et en son Fils Rédempteur et Sauveur, se fassent baptiser et
deviennent chrétiens ».
Le sourire de saint François
De son coté, Albert Jacquard, dans Le souci des pauvres (éd.
Flammarion, 1996) écrit que « le sultan n’oublia pas le sourire de
François, sa douceur dans l’expression d’une foi sans limite. Peut-être ce
souvenir fut-il décisif lorsqu’il décida, dix années plus tard, alors qu’aucune
force ne l’y contraignait, de rendre Jérusalem aux chrétiens ».
Ainsi, « ce que les armées venues
d’Europe n’avaient pu obtenir, poursuit Albert Jacquard, (…) sans doute le
regard clair de François avait-il poursuivi son lent travail dans la conscience
de cet homme ouvert à la pensée des autres ».
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