Le pari chrétien : Une autre
vision du monde Broché – 11 janvier 2018
François Huguenin
Paris, Tallandier, 2018. 220
pages
Présentation
de l'éditeur
Comment
être chrétien dans notre société qui ne l'est plus ? Alors que l'Eglise porte
une parole sur les questions d'éthique individuelle, la justice sociale et
l'écologie, la protection des plus faibles, des pauvres ou des migrants, les
oppositions parmi les fidèles sont plus vives que jamais. Ils n'ont pas
toujours pris la mesure de la déchristianisation de la société qui nécessite de
repenser la présence des chrétiens en son sein. Cet essai vigoureux a pour
ambition de proposer aux chrétiens un nouveau rapport au monde, cohérent avec
la foi et conscient de l'autonomie du politique à l'égard du religieux. Comment
la parole du Christ peut-elle éclairer l'action du chrétien et le débat d'idées
? Quels types de relations le chrétien entretient-il avec le monde :
d'opposition, de coopération ? De proximité, de distance ? De méfiance, de
confiance ? De pouvoir, de service ? Ces questions cruciales mettent en cause
notre conception de la laïcité, et en amont celle de l'homme, animal politique
et spirituel. Cet essai engagé invite à retrouver les racines de tout
engagement chrétien : une attention centrale à la dignité de la personne
humaine, une vision du monde renouvelée dans un accueil plus profond de
l'Evangile.
Biographie de l'auteur
François Huguenin a publié une série
d'essais qui font référence sur l'histoire des idées et du christianisme,
notamment Histoire intellectuelle des droites (2012) et Les Grandes Figures
catholiques de la France (2016).
Une recension sous la plume de
Jean-Baptiste Sebe dans le Bulletin théologique (Rouen)
Une multitude d’essais sort ces derniers temps pour
réfléchir à la place du christianisme dans la société française sécularisée.
Outre celui de Denis Moreau (Comment
peut-on être catholique ?), François Bégaudeau et Sean Rose (Une
certaine inquiétude), Julien Leclercq (Catholique débutant), Patrice
de Plunkett (Cathos, ne devenons pas une secte), ont publié en ces
premiers mois de 2018, à des titres divers et selon des formules variées, des
textes qui encouragent la réflexion.
Le texte de François Huguenin vise à réinterroger
l’articulation délicate entre christianisme et politique, entre Royaume du ciel
et royaume terrestre. Prenant acte que les récentes élections et les lois
sociétales du quinquennat précédent ont divisé dans les communautés chrétiennes
et parfois radicalisé les chrétiens, l’auteur re-pose la question :
« la foi chrétienne peut-elle éclairer le débat politique ou bien
doit-elle rester cachée ? » (p.15). Le corolaire de cette question
est tout aussi redoutable : « les principes chrétiens sont-ils
articulables avec une société qui ne l’est pas ou ne l’est plus ? »
(id.). Le ton de l’ouvrage est paisible et invite le lecteur à se décider en
conscience, faisant droit à une saine et nécessaire pluralité politique,
renvoyant à la conscience éclairée et adulte du lecteur qui est également un
citoyen et un électeur (p. 86-89).
Le point de départ est philosophique : l’homme
est un animal politique et spirituel. Ces deux dimensions sont
indissociables l’une de l’autre. Elles doivent être distinguées sans être
séparées, unies sans être confondues. D’une certaine façon le principe de
Chalcédoine s’applique ici. La liberté de conscience et de croire est un droit
absolu à préserver impérativement. Huguenin tire le meilleur de la tradition
chrétienne. Défenseur d’une « laïcité théologique qui n’ait pas peur
d’intégrer les cultures des religions sous peine de périr de ses
étroitesses » (p.38), l’auteur montre que limiter dans l’espace public
l’identité spirituelle de l’homme risque de laisser un vide que la nature se
hâterait de combler avec des idéologies dangereuses. La tentation du politique
est d’être tout, de s’absolutiser comme norme et principe totalisant et
totalitaire. Or comme le disait Mgr Pascal Wintzer dans une tribune parue
dans la Croix, il y a quelques années : « Tout n’est pas
politique ». Les religions et notamment le christianisme peuvent préserver
le politique d’une hégémonie fallacieuse.
Benoît XVI et les traditions pontificales antérieures
ont haussé le débat en montrant que l’enjeu est celui des relations entre la
foi et la raison. La raison joue un rôle correctif vis à vis de la religion en
la préservant de tout sectarisme et de tout fondamentalisme et en l’incitant à
structurer sa propre réflexion. La religion purifie la raison de toute
tentation hégémonique qui en vient inévitablement à investir le politique et à
le rendre totalitaire. Le 20èmesiècle en a montré l’exemple.
L’auteur combat enfin vigoureusement la tentation
propre aux chrétiens d’agir « à couvert ». Étant sauve la prudence,
n’est-ce pas obéir à l’injonction de vivre sa foi « en privé » et
donc renvoyer de facto la foi à l’espace privé ? (p.50).
« Nier la nation revient à idéaliser le politique et à nier l’incarnation
et la finitude de l’homme. L’absolutiser, c’est rejeter l’universalité de
l’homme et lui refuser sa qualité d’être spirituel qui ne peut être enfermé
dans une histoire ou dans une communauté particulières. Dans les deux cas,
c’est idolâtrer le politique soit en l’érigeant en divinité, soit en faisant une
universalité et un absolu de son inscription dans une finitude
particulière » (p. 130).
Le chapitre 2 ré-explore ce que l’Evangile peut porter
comme incidence politique sans être un programme précis de mesures concrètes.
Les préceptes évangéliques ont une réelle pertinence dans la vie publique et
politique. L’auteur rappelle que « tout est lié dans la foi
chrétienne » : respect de la vie, défense des pauvres, des migrants
et des exclus. Le développement intégral est la clé. Là encore négliger l’une
ou l’autre dimension dans l’engagement éthique et politique, c’est risquer
d’atrophier la foi chrétienne et de la réduire au rang d’un lobby. L’auteur se
fait là-dessus assez ferme.
Les deux chapitres suivants constituent à mon sens
l’originalité du texte de F. Huguenin. Il y décrit de manière précise et
ramassée quelques principes (ne pas imposer ses normes, être solidaires du
monde) pour être chrétien dans un monde qui ne l’est pas et il pointe quelques
écueils (illusion de rallier le monde entier au christianisme, sortir de
l’alternative progressiste réactionnaire, la préférence de son pays et ses
limites…). Avons-nous fait le deuil en France, d’un système politique
chrétien ? Malgré une tradition chrétienne qui récuse toute théocratie,
nous éprouvons une forme de nostalgie blessée du politique. L’auteur avance des
pistes de réflexion sur la place de la Révolution et de la 3èmeRépublique
dans l’inconscient politique catholique. Il met en valeur également le rôle
symbolique hypertrophié de la loi : nous vivons parfois en France avec
l’illusion que tout devrait se régler par la loi fût-elle des hommes ou de
Dieu… Elles ne sont pas du même ordre et ne poursuivent pas d’ailleurs la même
finalité.
L’auteur souligne enfin que, de la même façon que tout
n’est pas politique, il existe d’autres modes d’action qui sont tout autant
politiques mais ne passent ni par le législateur ou l’exécutif. Le centralisme
jacobin a atténué la place des corps intermédiaires, des associations… Elles
sont comme M. Jourdain, elles font de la politique sans le savoir ! Le
dernier chapitre est sans aucun doute l’apport le plus singulier d’Huguenin au
débat. Il propose trois termes pour renouveler le rapport des chrétiens au
politique : communion, transfiguration et conversion. Il semble urgent de
repréciser le sens du bien commun, marque de l’universel. Ce dernier établit
une relation nécessairement spirituelle et de communion entre tous : les
chrétiens rappelant sans cesse la vocation profondément spirituelle de tout
être humain. Tant que chaque chrétien n’aura pas examiné son propre rapport au
monde selon une logique de conversion évangélique, dans la lignée des
Béatitudes, le rapport au politique sera vécu et pensé dans une logique
mondaine inévitablement mortifère. La réalité du politique est, comme toute
autre réalité mondaine, appelée à être transfigurée par l’évangile. Dans ce
monde et pour l’instant, ce ne peut être que sous la croix.
L’essai est stimulant en ce qu’il oblige à des
distinctions. Il souligne aussi les contradictions à lever pour notre société
et les catholiques français. Une question parmi d’autres : le politique
est-il aussi uniforme et monolithique que le décrit l’auteur ? Même s’il
est encore trop tôt pour le dire, la perception actuelle du politique (critique
dans bien des cas et le confondant avec la politique)
n’est-elle pas en train de changer ? Les réseaux sociaux, les médias, les
revendications ne bousculent-elles pas déjà la participation des citoyens au
politique ? On aurait aimé quelques pages de la même eau que les
autres, sur le sujet …
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