dimanche 5 avril 2020

Le célibat sacerdotal : la vision du cardinal Ouellet

Amis de l'Epoux : Pour une vision renouvelée du célibat sacerdotal 
Marc Ouellet
Paris, Parole et Silence, 2019. 256 pages.



Présentation de l'éditeur
Les prêtres et les évêques vivent de nos jours un temps d'épreuve et même de crise, mais ce temps difficile peut devenir une opportunité de conversion et de croissance. Avec la grâce de Dieu et la volonté de mieux répondre à Sa Parole. Les scandales, les humiliations et l'usure de ces dernières années ont précipité le haut et bas clergé dans un état de vulnérabilité, sinon de désarroi, qu'on reconnaît à des signes de fatigue, de tensions, et même de découragement, jusqu'à des gestes inconsidérés. Qui sur le terrain de la pastorale ordinaire ne se sent pas divisé entre deux sentiments contraires ? Car, d'une part, on insiste sur la conversion missionnaire qui devrait témoigner et engendrer l'enthousiasme ; alors que, d'autre part, on est miné intérieurement par une impression de fin d'époque où disparaissent les restes d'une pastorale d'entretien, familière au temps de chrétienté mais inopérante dans les nouveaux contextes. Aujourd'hui plus que jamais la sagesse pastorale de l'Église et la créativité théologique doivent surmonter une mentalité rationaliste. Elles exigent que les prêtres soient d'authentiques "amis de l'Époux" détachés d'eux-mêmes et passionnés d'Évangile, des prêtres kérygmatiques et pastoraux, capables d'accompagner les personnes et les communautés avec miséricorde et discernement au sens du Pape François.

Biographie de l'auteur
Préfet de la Congrégation pour les Evêques et Président de la Commission Pontificale pour l'Amérique latine, archevêque émérite du Québec, Marc Ouellet est né en 1944 à Lamotte, au Canada. Ordonné prêtre en 1968, créé cardinal en 2013, il est titulaire d'une licence en théologie et philosophie, et d'un doctorat en théologie dogmatique.

^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^Le Credo du Cardinal Ouellet

  
Voici des extraits du dernier livre du cardinal Marc Ouellet. Ce proche de Benoît XVI y explique sa vision de l'Eglise catholique, 50 ans après Vatican II.
C'est l'un des hommes solides de la Curie romaine, auquel Benoît XVI a choisi de confier la mission de pourvoir les sièges épiscopaux à travers le monde. Né en 1944, au Québec, le cardinal Marc Ouellet est à la croisée de plusieurs cultures. S'il se rattache à la France par sa langue maternelle, il est d'abord américain, familier de l'univers anglo-saxon et aussi latino, ayant vécu et enseigné en Colombie. En tant qu'archevêque de Québec, de 2002 à 2010, il s'est employé à redonner aux catholiques des raisons de croire en leur force prophétique, n'hésitant pas à monter au créneau sur des questions suscitant la polémique dans un contexte ultra-sécularisé. En exclusivité, lavie.fr publie quelques extraits du livre où il s'entretient avec le Père Geoffroy de la Tousche, curé d'Elbeuf (76), intitulé Actualité et avenir du Concile oecuménique Vatican II (L'Echelle de Jacob,). 

Différences entre prêtres et laïcs
On a insisté sur la distinction essentielle qui existe entre les deux sacerdoces et qui les renvoie l’un à l’autre. Mais il reste du travail à faire au plan théologique pour approfondir et mieux expliquer le fondement de cette distinction fondamentale – et non seulement de degré – entre les deux participations à l’unique sacerdoce du Christ.( ...): Toute différence aujourd’hui est vue comme établissant des particularités qu’il faudrait, dans une pensée unique, gommer. Cela est vrai à l’extrême avec l’idéologie dite « du genre » où la différence sexuelle devient une différence purement culturelle au lieu d’être une différence fondée en nature. Alors, disons que c’est un trait de la culture contemporaine, mais, en théologie, cela s’exprime aussi par le désir de mettre sur le même pied tous les ministères, par exemple le ministère hiérarchique « à égalité » avec les autres ministères dans l’Eglise, comme s’ils étaient du même ordre. C’est le sens de cette affirmation, souvent reprise dans les textes du Magistère, qu’il y a une différence essentielle – et non seulement de degré. Si l’on veut pénétrer à l’intérieur de ce mystère du sacerdoce du Christ, il me semble que le sacerdoce baptismal est fondé sur la filiation : c’est la grâce baptismale de la filiation divine qui nous est donnée et, par le fait même, nous sommes insérés dans la vie du Fils, donc dans sa relation au Père, dans son adoration du Père et dans l’offrande de sa vie. Le sacerdoce ministériel est une représentation, il est aussi relié au mystère du Christ, mais dans la mesure où Lui, comme Verbe incarné, représente l’autorité du Père, la Parole du Père. Il est comme le ministre du Père. Le Christ a voulu conférer à certains hommes ce charisme, de représenter le Père afin de proclamer la Parole, de donner les sacrements du Christ et ainsi de nourrir le sacerdoce baptismal. La distinction essentielle, non seulement de degré, entre les deux sacerdoces, est fondée ultimement dans l’unique sacerdoce du Christ qui est lui-même enraciné dans la différence entre les Personnes divines. A cette lumière, il y a moyen de comprendre dans l’Eglise la complémentarité entre sacerdoce hiérarchique ou ministériel et sacerdoce commun, ou baptismal.

Le service de l'autorité
La véritable charité, c’est-à-dire un amour pour le bien de l’autre et pas simplement pour soi, est capable d’imposer, de corriger, donc d’assumer pleinement le rôle de parent. A ce moment-là, l’éducation a lieu car l’autorité fait grandir. Le service de l’autorité existe aussi dans la famille, ce qui est vrai dans l’Eglise aussi. On peut ne pas exercer le service de l’autorité : laisser tout faire, ne pas intervenir, ne pas dire la vérité qui peut faire mal mais qui éclaire et qui permet de se relever. On laisse alors les gens dans la confusion de peur de les blesser, de dire une vérité qui ne sera guère populaire et ira contre la culture ambiante. Ceci se vérifie pour des évêques, des prêtres, des pasteurs. C’est une charité supérieure que de communiquer une vérité qui éloigne quelqu’un de nous pour un temps, le temps qu’il puisse réaliser qu’on a vraiment agi pour lui.

Les charismes
C’est pourquoi les tensions et les divergences sont presque connaturelles aux charismes. Quand les charismes s’expriment, ils sont portés par des êtres pécheurs, ils sont alors toujours mélangés d’affirmation de soi, d’orgueil et d’ambition. C’est pourquoi il faut toujours être soi-même un peu défiant de soi-même, même dans la défense des plus grandes causes. Car nos vertus, comme dit la petite Thérèse, ont toujours des taches, elles ne sont jamais d’une pureté parfaite. C’est pourquoi il faut se rappeler, au milieu de l’accomplissement ou de la fidélité aux relations trinitaires qui veulent s’ex- primer en nous – et donc nous parfaire comme êtres humains en unité avec Dieu – que les blessures, les conséquences du péché nous affectent et nous laissent toujours une dimension de conversion permanente, toujours à reprendre. Il est essentiel d’accueillir l’autre avec indulgence, car il est aussi victime de ses limites que le péché a laissées en nous et que nous ratifions, d’une certaine manière, par nos péchés actuels.

La radicalité du ministère
La vocation apostolique stricte, elle, naît de la rencontre personnelle du Christ et d’un appel de sa part à tout quitter pour le suivre. Dans l’Evangile, quand le Christ appelle, il appelle toujours quelqu’un de singulier à venir à sa suite et à tout quitter, même sa famille. La plupart des apôtres étaient mariés mais ils ont quitté leur famille pour suivre le Christ pour la mission apostolique. Pour prendre une expression du Père Balthasar, je dirais que la vocation au mariage « converge vers la croix ». L’eros doit s’achever dans l’agape de la croix. Alors que la vocation consacrée ou ministérielle part de la croix. Elle commence là, avec l’agape du Christ radical qui demande un renoncement pour être instrument de l’agape sans la composante de l’amour conjugal, de l’amour érotique. C’est vraiment un sacrifice, mais pour une fécondité supérieure.

Le mode passif de la mission
La mission en mode passif est vécue de bien des manières : ceux qui sont inutiles, qui se sentent inutiles, qui sont sur des grabats depuis des années ou qui vivent des nuits intérieures profondes et interminables (ce fut d’ailleurs le cas de Mère Teresa). Je crois que la seule solution, c’est toujours le Christ, le Christ dans son mystère qui assume toute la condition humaine, dans tous ses états, incluant l’état passif d’être mort ou d’être dans ce non-sens qu’est l’après-mort sans que l’on soit dans la vision de Dieu, la condition des morts qui ne voient pas encore Dieu. Le Christ a assumé tous ces états et Il les a unis à son propre mystère, c’est-à-dire d’être le Verbe de l’Amour. En assumant tous ces états, Il leur a conféré un sens qui n’est pas à l’intérieur de ces états : à celui qui croit, à celui qui même ne croit pas, au fond de toute souffrance et même de désespoir, il reste toujours une présence, même pour le noncroyant et qui rend moins insupportable ce qui est insupportable. Au mourant, pour lequel il n’y a plus de parole, on montre le crucifix. C’est la dernière chose, le dernier message, qui résume tout et qui permet au mourant de s’accrocher au Seigneur dans son dernier passage. Et le sens est en Lui. Si on vit avec Lui, on peut tomber dans l’abîme, mais si on tombe avec lui, on est sauvé ! C’est pourquoi, lors de la tempête apaisée, le Christ vient, les eaux se calment, et ensuite il demande aux Apôtres : « Pourquoi avoir peur ? Comment se fait-il que vous n’ayez pas la foi ? » (Mc 4, 40). Parce que nous, quand nous voulons être sauvés, nous voulons être sauvés des drames terrestres, c’est-à-dire de la tempête qui risque de nous envoyer dans l’abîme. Mais au fond, le Christ est en train de leur dire : où est votre foi ? Où est mon pouvoir ? Ce qui importe, ce n’est pas tant que les eaux soient calmées, mais c’est qu’on soit avec Lui ! Si on coule, on coule avec Lui ! Mais couler avec Lui, c’est être sauvé ! L’important, c’est d’être avec le Christ ! C’est Lui qui nous amène au port définitif. Ce n’est pas d’abord notre effort moral, même s’il faut faire sa part, mais c’est surtout notre acte de foi. Le grand achèvement de l’homme par la grâce du Saint- Esprit c’est l’acte de foi au Christ.

La mort
La mort est devenue par le Christ un langage de l’amour divin à notre égard. C’est pourquoi l’Eglise se rassemble toujours dans l’action de grâce pour la mort du Christ qui est la source de vie éternelle. C’est inouï ce que nous avons comme message ! C’est vraiment inouï. Le monde ne peut pas fabriquer ce sens. Le monde butte contre cette limite absolue et c’est là que le christianisme, au fond, dit le plus profond de son mystère à partir de cette réalité. C’est la mort du Christ qui a transformé ce signe négatif en signe positif.

Marie contre l'idéologie
J’ai remarqué que dans les mouvements spirituels, dans les communautés nouvelles en particulier, il y a une dévotion forte à la Vierge Marie et cela me semble sain, vraiment sain. Car la proximité de Marie, le contact et la familiarité avec elle, protège de l’idéologie. Là où est Marie, l’idéologie a moins de prise car Marie est personnelle, elle est maternelle. L’idéologie, c’est toujours très masculin en général et pas très personnel : c’est une pression, une contrainte, on est mené par des idées et donc l’essence du christianisme est moins vécue dans sa pureté qui est d’ordre personnel.

L'obéissance
Quand l’Eglise se prononce sur des questions précises, par la voix du successeur de Pierre, avec le collège des évêques, il est normal que nous lui donnions l’assentiment de notre foi ou de notre consentement même si, à un moment donné, nous avons pu souscrire à une opinion différente. Dans l’Eglise, nous pensons en communion. Nous ne sommes pas des individus qui additionnent les pensées singulières pour voir quel est le consensus qui en ressort. Non, l’Eglise est beaucoup plus une que le consensus des différentes personnalités. L’Eglise est une oeuvre de l’Esprit. L’Esprit Saint est l’âme de l’Eglise et, peu à peu, il conduit les personnes grâce à leurs échanges, en utilisant aussi les instances qui existent. Cela donne naissance à des jugements sur ce que l’on doit faire ou ne pas faire, sur ce que l’on doit croire et ne pas croire. Cela, c’est la foi catholique qui a établi un Magistère, c’est-à-dire une autorité doctrinale qui doit avoir le dernier mot sur les questions de foi et les questions morales.

Vie consacrée
La réflexion m’a conduit à ce diagnostic : tout se passe comme si dans plusieurs milieux religieux où la sécularisation a pénétré, le sens premier prophétique de la vie consacrée était passé au second plan. Quel est ce sens premier ? Celui d’une vie qui répond à l’amour fou de Dieu manifesté en Notre Seigneur Jésus-Christ, par sa vie, sa mort et sa résurrection. Un jour, j’ai rencontré ce Sauveur, le Sauveur. Cet homme Jésus m’a interpellé, il m’a demandé de répondre à cet amour fou qu’il apporte à l’humanité au nom de Dieu. C’est de là que jaillit la vie consacrée comme une réponse d’amour de l’épouse à l’Epoux. Dans certains milieux, on a plutôt interprété la vie consacrée de façon très fonctionnelle, comme si elle devait apporter des solutions à des problèmes sociaux, en matière d’éducation, de santé, etc. Alors on a interprété le sens prophétique de la vie consacrée comme une réponse à des besoins sociaux, à partir d’ailleurs d’une certaine pertinence sociale. Mais le charisme fondamental de la vie consacrée, c’est d’annoncer l’amour de Dieu pour l’humanité, un amour gratuit, miséricordieux, un amour qui refait l’être humain et qui mérite une réponse radicale de don de soi et de remise totale de soi au Christ et à l’Eglise, par l’obéissance, par la chasteté consacrée, par la pauvreté comme style de vie. Je vois dans l’Eglise actuellement le besoin d’une refondation du sens prophétique de la vie consacrée. On retrouvera alors, mais comme non dérivée, l’importance de la dimension sociale du charisme. Car nous unir au Christ, nous unit à tous les besoins de l’humanité dont Il est le sauveur et dont il nous rend aussi responsables.

Divorcés remariés
Je ne dirais pas que les divorcés remariés n’ont pas accès à l’Eucharistie : ils continuent d’être invités à l’Eucharistie, ils participent à l’assemblée eucharistique, ils écoutent avec les autres toute la Parole de Dieu y compris celle qui se fait sacrement, ce que nous appelons la Présence réelle. Ils participent à l’offrande. Le Christ s’offre et tout le monde s’offre avec lui. Ces personnes ont une limite au niveau du témoignage public de la communion mais rien ne les empêche de communier spirituellement au Corps du Christ qui est donné à l’assemblée. D’ailleurs, en vérité, toute communion sacramentelle doit d’abord être communion spirituelle. S’il n’y a pas une communion spirituelle que le sacrement vient exprimer et nourrir, il n’y a pas de communion au Corps du Christ. On peut s’avancer en état de péché mortel et recevoir le Corps du Christ, on n’en recevra pas un bénéfice, mais un moins car on n’en est pas digne et cette communion n’est pas réalisée dans les dispositions requises. Les personnes peuvent retrouver l’état de grâce devant Dieu, même dans le cas d’une limite objective d’un mariage qui fut un échec, lorsque se noue une nouvelle union qui est peut-être la bonne mais pour laquelle il n’est pas possible d’établir que le premier mariage est nul. Même si elles ne peuvent pas recevoir les sacrements explicites, ces personnes peuvent retrouver la grâce de Dieu par le repentir de l’échec initial, par des activités de charité. Leur témoignage est alors le suivant : leur communion s’ex- prime par le fait qu’elles ne reçoivent pas les sacrements, y compris par respect pour la réalité sacramentelle de l’Eglise. Car le mariage est une expression du mystère de l’union du Christ et de l’Eglise, de cette seule chair du Christ et de l’Eglise. Tous les mariages sont scellés par la communion à ce mystère. Quand on se trouve dans une nouvelle union, on ne peut pas publiquement aller dire à la communauté et au monde qu’on ne fait qu’un avec ce mystère, on ne peut pas l’exprimer au plan sacramentel public. Mais on peut s’abstenir de communier et exprimer ainsi que l’on est dans le respect du mystère sacramentel de l’Eglise. Il est important de confronter ce choix avec le pasteur de la communauté, se faire aider par lui à vivre dans la paix, comme membre de la communauté à part entière, avec cette limite de ne pas pouvoir recevoir la communion sacramentelle. Cette limite peut être vécue dans un sens positif comme un témoignage rendu à l’indissolubilité du mariage.



Publication : Bibliothèque diocésaine d'Aix et Arles

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