dimanche 4 mai 2014

LOS CRISTEROS VUS PAR UN HISTORIEN FRANÇAIS



Ce Français qui a révolutionné l'histoire du Mexique

LE MONDE CULTURE ET IDEES |  • Mis à jour le  |Par 


Massacre de «cristeros» en 1929 (photo anonyme).

C'est un historien français, âgé de 70 ans, inconnu chez nous mais célébré auMexique. Jean Meyer a bataillé pendant trois décennies afin de révéler un épisode tragique de ce pays et pour que ce dernier en reconnaisse l'existence : l'assassinat de 250 000 paysans catholiques, entre 1926 et 1929. Après la révolution de 1910, les soldats de l'Etat ultralaïque ont massacré ces paysans qui entendaient célébrer la messe et qui criaient leur foi en le Christ-Roi. D'où leur nom de "cristeros" et celui de leur mouvement, la Christiade.

Etrange destin que celui de Jean Meyer, Alsacien né à Nice en 1942, qui le mènera à mettre au jour ce qu'il appelle "cette gigantesque Vendée mexicaine". Tout commence par un emballement de jeunesse. Etudiant en histoire, il a 20 ans et veut se rendre à Cuba, attiré par Fidel Castro et Che Guevara : "Le cinéaste Chris Marker m'avait même prêté une caméra", raconte-t-il, dans sa résidence de Mexico, où il est installé depuis quarante ans - il a même obtenu la naturalisation en 1979.
Il oublie vite Cuba, car c'est en découvrant le Mexique qu'il trouve sa terre d'élection. Revenu à Paris, il profite de sa cinquième année d'agrégation pouringurgiter tous les livres que le Musée de l'homme possède sur ce pays etrassembler ce qu'il peut glaner aux archives diplomatiques du Quai d'Orsay. Il suit le séminaire de Pierre Chaunu, le grand américaniste de l'époque, et songe àconsacrer sa thèse au révolutionnaire Emiliano Zapata, défenseur des paysans du Sud.

SUR LA PISTE DE LA CHRISTIADE
Cependant, un jeune jésuite le met sur la piste de la Christiade. C'est un "sujet vierge", dit-il. Parce que, sous le régime autoritaire du Parti révolutionnaire institutionnel, au pouvoir de 1929 à 2000, les historiens, pratiquant l'autocensure, ont fait l'impasse sur cet épisode peu reluisant. En 1962, soit plus de trente ans après les faits, Jean Meyer découvre que les archives de l'Etat et celles de l'Eglise sont encore fermées. Il fait antichambre pendant trois semaines chez l'archevêque de Mexico. Jusqu'au moment où monseigneur laisse éclater sa colère : "Vous êtes un imbécile ou vous faites l'imbécile ? Ne voyez-vous pas que les cendres sont encore chaudes ?" Quant à l'armée, elle prétend alors ne déteniraucun document sur la période. "Mais quand j'ai pu voir, je suis tombé sur 250 caisses !"
Avant de pouvoir faire parler les archives, Jean Meyer n'a qu'une solution : il prend sa 4L et va à la rencontre de survivants pour recueillir méthodiquement leurs témoignages. "On saura plus tard qu'ils n'exagéraient pas." Il n'est pas totalement isolé. Le chercheur avoue sa dette à l'égard de l'écrivain mexicain Luis Gonzalez, qui publie en 1968 Pueblo en Vilo. Microhistoria de San José de Gracia (traduit parLes Barrières de la solitude. Histoire universelle de San José de Gracia) : "C'est le premier livre courageux et irrespectueux envers la révolution mexicaine, qu'il voit à travers l'histoire de son village, San José de Gracia, au Michoacan." Luis Gonzalez lui fait connaître aussi Juan Rulfo : les deux titres de ce précurseur du réalisme magique, Le Llano en flammes (nouvelles) et Pedro Paramo (roman), sont situés sur les terres des cristeros.
UN HOMME GÊNANT
Après plusieurs années d'enquête de terrain, Jean Meyer est expulsé du Mexique. La raison ? Il a publié, dans la revue Esprit, un article sur l'année 1968 en Amérique latine : "On m'a opposé l'article 33 de la Constitution qui interdit aux résidents étrangers de se mêler de politique, se souvient-il. Mon article contenait quatre pages sur vingt-cinq sur le mouvement étudiant réprimé à Mexico à la veille des Jeux olympiques."
Jean Meyer gêne, mais surtout pour ses découvertes sur la Christiade qui contredisent la prétendue continuité au Mexique entre l'idéal démocratique de 1910 et le nationalisme des années 1930. La légende nationale fait le tri. Elle glorifie Zapata, la réforme agraire, la nationalisation du pétrole, l'accueil sur ses terres de républicains espagnols et de Trotski. Mais elle occulte ce qui contredit son idéal révolutionnaire : la Christiade, bien sûr, mais aussi le refus d'accueillir des juifs avant la guerre au prétexte qu'ils ne sont pas des réfugiés politiques, ainsi que les ressortissants d'une dizaine de nationalités, dont les Polonais - "Ce n'était pas du racisme, mais de la xénophobie", commente Jean Meyer.
Ce dernier est rejeté par l'Etat, et aussi par les historiens. "Cette révolte paysanne était politiquement incorrecte et donc niée par les historiens soi-disant progressistes", explique l'historien Enrique Krauze. Professeur à l'université de Chicago, le Mexicain Mauricio Tenorio renchérit : "La Christiade était considérée comme une révolte de petits propriétaires catholiques, contre-révolutionnaires et réactionnaires, en lutte contre un gouvernement révolutionnaire et laïque." Même son de cloche pour Andres Lira, professeur au prestigieux Colegio de Mexico : "La Christiade était un sujet tabou."
"C'EST DU JOURNALISME, PAS DE L'HISTOIRE"
Les mêmes ennuis, Jean Meyer les rencontre en France, où il soutient sa thèse à la Sorbonne, en 1971. Pierre Vilar, historien marxiste de la guerre d'Espagne et membre du jury, lui lance : "C'est du journalisme, pas de l'histoire." Cette thèse voit pourtant le jour en France, en 1975, sous le titre La Christiade. L'Eglise, l'Etat et le peuple dans la révolution mexicaine. L'année précédente, il avait lancé une première salve en publiant chez Gallimard Apocalypse et révolution au Mexique, dans la collection "Archives", dirigée par Pierre Nora et Jacques Revel. En 1976, l'université de Cambridge publie même une version ramassée de sa thèse grâce au grand historien marxiste Eric Hobsbawn.
Et au Mexique ? La thèse y est publiée en 1973, en trois volumes, par la maison d'édition Siglo XXI, dont les sympathies sont à gauche. Jean Meyer raconte : "Son fondateur, Arnaldo Orfila, avait été limogé comme un malpropre des prestigieuses éditions publiques Fondo de cultura economica pour avoir publié Les Enfants de Sanchez. Autobiographie d'une famille mexicaine, d'Oscar Lewis." Un livre qui ne cadrait pas avec la lecture révolutionnaire de l'histoire du pays. Orfila ne suit pas l'avis de son conseil éditorial, qui qualifie cette thèse de "réactionnaire ".
BRISER LE TABOU
La thèse sera rééditée vingt-cinq fois, mais pendant un quart de siècle "les Mexicains lui ont réservé un silence absolu, gêné". Ce n'est qu'à la fin des années 1990, lorsque la démocratisation se double d'un aggiornamento idéologique, que le sujet revient sur la table. C'est d'abord l'historien Enrique Krauze, fondateur des éditions Clio, mais aussi collaborateur de la puissante chaîne Televisa, qui veutbriser le tabou sur la Christiade avant que les derniers témoins ne disparaissent. Il commande au cinéaste Nicolas Echevarria un documentaire sur la question. Ce dernier enregistre soixante-quinze heures de témoignages et en tire un film en quatre chapitres. Mais Emilio Azcarraga, "el Tigre", le patron de Televisa, en interdit la diffusion tant qu'il sera vivant. "Il a fallu attendre cinq ans pour qu'ils soient enfin programmés", confie Jean Meyer.
Le déblocage passe aussi par l'évolution de la situation de Jean Meyer au Mexique : revenu en touriste en 1972, profitant de "l'ouverture démocratique" promise par le président Luis Echeverria Alvarez, qui avait nommé l'écrivain Carlos Fuentesambassadeur à Paris, il est invité par le Colegio de Mexico à intégrer l'équipe travaillant sur une nouvelle histoire de la révolution.
LA RÉVOLUTION MEXICAINE RÉINTERPRÉTÉE
Aujourd'hui, les "cristeros" sont sortis des oubliettes. Les manuels scolaires en parlent. Jean Paul II a béatifié une trentaine de "martyrs". Les principaux Etats concernés, Jalisco, Zacatecas, Guanajuato, Queretaro, organisent des commémorations, construisent des monuments. Il y a même un circuit touristique et une marque de tequila Herradura Hacienda del Cristero. "La Christiade fait partie de la culture populaire," confirme le professeur Tenorio. Les Mexicains sont reconnaissants envers Jean Meyer de les avoir réconciliés avec leur passé. M. Krauze considère sa thèse comme "un des cinq principaux livres d'histoire de notre XXe siècle". Pour M. Lira, il a "réconcilié mémoire et histoire".
Juan Pedro Viqueira, du Colegio de Mexico, va plus loin : "Jean Meyer a ouvert la voie à une réinterprétation de la révolution mexicaine dans son ensemble, et sesidées ont été reprises par beaucoup d'historiens plus jeunes." Wikipédia en espagnol dresse la liste de ses ouvrages, une vingtaine. Le dernier, La Fable du crime rituel. L'antisémitisme européen, vient de paraître en Espagne. Sur Wikipédia en français, il reste inconnu. Les absents ont toujours tort.

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