Le jésuite et psychanalyste
Denis Vasse est mort
Ami de Françoise Dolto, le jésuite et psychanalyste
Denis Vasse est mort lundi 12 mars, à 84 ans. Il a forgé une œuvre où
la vérité se cherche par la parole.
« Être
chrétien, c’est consentir à ce qu’est l’homme. C’est devenir un homme selon
Dieu, selon ce qui se révèle dans le vivant et qui est la vie »,
confiait le jésuite et psychanalyste Denis Vasse à La Croix en
1999. Après de longues années d’écoute, auscultant le mystère d’une vie
toujours reçue, Denis Vasse est mort lundi 12 mars, à 84 ans, à
Francheville (Rhône).
Il avait fait un double choix : celui
de la psychanalyse et de la Compagnie de Jésus. Né en 1933 en Algérie, dans une famille de pieds noirs,
d’une mère institutrice et d’un père paysan, il fait sa médecine à Alger et
prend parti pour l’indépendance, ce qui lui vaudra de connaître la torture.
Des jésuites à l’école freudienne
Entré chez les jésuites en 1958, il étudie la
philosophie et commence une analyse. Il devient membre de l’École freudienne de
Paris, fondée par Lacan. « Pour moi, la terminologie lacanienne a été
une source inouïe en matière de réflexion théologique, témoignera-t-il. Cela
m’a offert la possibilité de parler de l’homme dans un discours qui n’est pas
immédiatement religieux (lequel) risque de devenir très vite moral,
normatif ». Son premier livre, Le Temps du désir (1969)
fera date, en revisitant la question de Dieu à partir du « désir de
l’Autre ».
Sans séparation, ni confusion, Denis Vasse va
travailler les champs psychanalytique et spirituel, avec fécondité. Dans le
cabinet qu’il ouvre à Villeurbanne en 1973, puis au Jardin couvert, à Lyon – un
espace d’accueil pour enfants dans l’esprit de la Maison verte de Dolto –, il
ne cesse « les allers et retours entre théorie et pratique, vérifiant
l’un par l’autre, constamment à la recherche de l’essentiel : la vérité au cœur de l’homme », souligne Marie-José d’Orazio-Clermont,
psychanalyste qui travailla avec lui.
Les trois grands piliers de l’homme
De là, naîtra une œuvre majeure, qui s’approfondit
livre après livre : « Le poids
du réel, la souffrance » (1983),
« La chair envisagée » (1988),
« Un parmi d’autres »,
(1988), « Inceste et jalousie » (1995), « La Dérision ou la joie » (1999)… « Pour
Denis Vasse, ce qui fonde l’homme, ses trois grands piliers, est constitué de
trois couples : l’homme et
la femme (la différence
sexuelle), la vérité et le mensonge, la vie et la mort. Quand
l’un est touché, les autres le sont aussi », résume Marie-José
d’Orazio-Clermont.
Dans le sillage de Françoise Dolto, qui deviendra une
amie proche, Denis Vasse participe au dialogue entre psychanalyse et
christianisme. « Il y avait entre eux une amitié presque filiale,
témoigne José-Marie d’Orazio-Clermont. Françoise disait qu’elle n’avait
jamais demandé à Denis Vasse de préfacer un de ses livres parce qu’il était
pour elle un égal ». En 1988, Denis Vasse prononcera l’homélie de sa
messe d’enterrement.
Création de la communauté du Pèlerin
Parallèlement à son travail d’analyste, le religieux
creuse les sources de la spiritualité chrétienne (Thérèse d’Avila, Thérèse de
Lisieux…) et de son ordre. En 1972, sur la Croix-Rousse à Lyon, il participe
avec quatre autres compagnons jésuites à la création de la communauté du
Pèlerin, « avec le désir de refonder une vie communautaire simple et
fraternelle dans l’esprit des débuts de la Compagnie », témoigne
Jean-Marc Furnon, jésuite qui l’a bien connu.
Homme « à la parole directe »,
« grande gueule », Denis Vasse laisse aussi le souvenir d’un
homme « très fraternel, très attentif ». « C’était
un véritable scanner à détecter la perversion, témoigne Jean-Marc
Furnon. Il pouvait dire les choses de manière directe et certains le
cherchaient un peu… Mais il avait un très bon jugement, qui a aidé énormément
de gens. »
Un homme de liens
Après cette vie féconde, la dernière décennie, au
cours laquelle Denis Vasse avait fait deux AVC, fut difficile. Du premier qui
lui avait fait perdre l’usage de la parole, handicap qu’il avait surmonté grâce
à une rééducation, il disait avec humour : « j’ai été
puni par où j’ai péché ! ». Le
second l’avait laissé paralysé et aphasique. Une épreuve douloureuse pour cet
homme de parole.
Ultime consolation peut-être, depuis l’annonce de son décès,
les conversations ont repris autour de son souvenir. « Je suis
appelée du monde entier, d’Amérique latine, du Canada…, se réjouit
Marie José d’Orazio-Clermont. Denis était un homme de liens et des gens
d’univers différents font lien à travers sa pensée. »
Car les livres de ce penseur exigeant et libre ont
navigué eux aussi sans se soucier des frontières. « Il a touché
des gens extrêmement loin de l’Église. J’ai vu des conversions,
témoigne avec pudeur Marie-José d’Orazio-Clermont. Les gens se demandaient : « Denis, d’où vous parlez ? La
force de votre parole, où
est-elle fondée ? »
Journal La Croix du 13/03/2018
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