mercredi 23 janvier 2019

Film : Le temps des égarés : dans le cadre des Rencontres cinématographiques des Droits de l'Homme


Film Le temps des égarés


LE TEMPS DES ÉGARÉS
Le temps des égarés
De Virginie Sauveur

Avec Claudia Tagbo, Biyouna, Jean-Pierre Lorit
Date de sortie mai 2018 (Arte)
Drame français
Salon-de-Provence le 9 février à  17h00 au Cinéma Les Arcades (Place Gambettta – Tarif 5 €)
Une ancienne réfugiée, devenue traductrice de l’OFPRA, extorque sans scrupules les demandeurs d’asile pour inventer les récits de leurs vies. Film proposé par la CIMADE. Débat avec la scénariste, Gaëlle Bellan, et Marie Hélène Desfours, avocate spécialisée en droits des étrangers.


“Le Temps des égarés”, un conte ultra-contemporain sur les réfugiés
Dans une fiction sur Arte, la réalisatrice Virginie Sauveur raconte avec humanité les épreuves qui attendent les migrants à leur arrivée en France. Et fustige ceux qui en profitent : en traductrice corrompue, la comique Claudia Tagbo se révèle impériale.
Ils sont un essaim, collés les uns aux autres dans la pénombre inconfortable d’un container. Ils sont une enfilade de silhouettes floues, courant à contre-jour vers l’eldorado qu’ils se sont imaginé. Un homme sort du lot qui s’éloigne et s’arrête. Dans son sac en plastique, le strict nécessaire : un bout de savon, une brosse à dents et un texte de Cyrano de Bergerac. Il commence une toilette de chat dans la mer, relève la tête, fixe la caméra. Maintenant, semble-t-il nous dire, regardez-moi dans les yeux et écoutez mon histoire.

Récits d’exilés à vendre
Ainsi commence Le Temps des égarés, sorte d’épopée contemporaine dans laquelle des héros venus de l’autre côté de la Méditerranée réussissent les exploits successifs de débarquer en France, de tracer leur chemin jusqu’à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) et, le cas échéant, de convaincre ceux qui les écoutent qu’ils méritent le droit d’asile. C’est à ce dernier stade de leur parcours que, dans ce téléfilm réalisé par Virginie Sauveur (Virage Nord), tout se joue.

Aider les réfugiés à dire l’indicible
« Quand j’ai découvert que le récit délivré à l’Ofpra, à l’écrit et à l’oral, primait sur les éventuelles pièces matérielles[souvent manquantes ou sujettes à caution, ndlr], j’ai immédiatement pensé à ceux qui, traumatisés ou craignant encore des représailles, n’étaient pas capables de raconter leur histoire », explique la scénariste Gaëlle Bellan. Dans la réalité, il arrive que des escrocs profitent des détresses pour faire commerce de leurs récits, qui fonctionnent tant que leur répétition ne saute pas aux oreilles des agents qui les collectent.
Dans la fiction, une traductrice (Claudia Tagbo) sature de billets de banque son existence vide de sens en vendant aux réfugiés les mots qui leur serviront de sésame. Gare à celui qui pense pouvoir s’en passer : rien n’est moins contestable que la chronique d’une destinée…

La réalité rejoint la fiction
Née il y a une dizaine d’années, l’idée de cette fiction mettant en scène des réfugiés (un terme que Gaëlle Bellan préfère à celui de « migrants ») trouve son aboutissement au moment où la loi asile-immigration, fraîchement votée, durcit les conditions d’entrée en France. « Lors d’une première projection du film, en janvier, un spectateur a fait remarquer que la présence d’une petite fille dans un centre de rétention n’était pas réaliste, poursuit la scénariste. L’un des personnages précise d’ailleurs que celle-ci est arrivée là “par erreur”. Or, désormais, ce cas de figure est parfaitement possible. » Désireuse de proposer « un film documenté mais pas documentaire », elle a rencontré des anciens agents de protection de l’Ofpra, et assisté à des audiences de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) pour rendre chaque situation incontestable.
Loin pourtant d’asséner un propos, Le Temps des égarés ressemble plutôt à un conte, dissimulant derrière ses protagonistes mille pistes de réflexion. De la traductrice impénétrable à l’humaniste égoïste, tous ont de bonnes raisons d’agir comme ils le font ; tant pis s’ils se montrent cruels quand on attend de la bienveillance, ou vénaux quand on les espère moraux… Surtout, ils ne sont plus la masse indistincte qu’évoquent les journaux ou les textes de loi, mais des individus dotés de visages et confrontés à des dilemmes, qui suscitent réflexion et empathie.
A contre-emploi, l’humoriste Claudia Tagbo se révèle impériale dans un rôle marmoréen — une nouvelle fois, la réalisatrice Virginie Sauveur démontre qu’elle n’a pas sa pareille pour révéler les comédiens. C’est sans doute grâce à cette intégrité face au « sujet » et à ceux qui l’incarnent, mais aussi à la poésie dont il fait preuve parfois, que ce téléfilm délicat a reçu trois prix au dernier festival de Luchon (dont celui de la meilleure fiction) et le prix du public au Fipa.

Télérama du 25 mai 2018



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